Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Catherine songea un instant qu'a cette heure Gilles devait dormir, mais elle se dirigea tout de meme d'un pas ferme vers ses appartements. Elle s'apercut bientot que c'etait une entreprise ardue. Sur chaque marche de l'escalier, il y avait au moins un homme endormi. Roules en boule ou etendus de tout leur long, les soldats sommeillaient la ou l'alcool les avait abattus, certains serrant encore contre leur poitrine un tonnelet ou un hanap. Partout, il y avait des flaques de vin d'ou emanait une odeur si ec?urante que Catherine dut chercher dans son corsage un sachet de parfum pour le tenir contre ses narines. Tout cela ronflait effroyablement, evoquant irresistiblement les grandes orgues dereglees d'un organiste fou.
Quelques femmes se melaient aux hommes, ronflant elles aussi, la bouche grande ouverte, les cheveux colles par le vin.
La lumiere, encore incertaine dans la haute vis de pierre, violacait les trognes enluminees tandis que la fraicheur de l'aube bleuissait la peau des filles. Certaines cherchaient instinctivement, du fond de leur sommeil, leurs vetements epars pour s'en proteger. Avec une grimace de degout, Catherine escalada tous ces corps affales, sans trop se soucier de l'endroit ou elle posait le pied.
Dans la grande salle, le meme desordre regnait, encore aggrave par les reliefs du festin qui avaient roule un peu partout.
Quelques seigneurs dormaient la, dans les hauts fauteuils ou ils avaient festoye. Catherine passa outre, gagnant l'autre aile. Enfin, elle parvint a la porte de la chambre de Gilles. Elle la connaissait parce que la vieille dame de Craon la lui avait montree en lui faisant visiter le chateau. De cha que cote du vantail, une torche achevait de se consumer et brasillait faiblement. Mais, en travers du seuil, un corps etait etendu. La lumiere d'un vitrail tombait d'aplomb sur le visage du dormeur et la jeune femme reconnut-Poitou, le page. Du pied, elle secoua le corps du garcon jusqu'a ce qu'avec un juron il s'eveillat.
— Qui va la ?
Il reconnut pourtant Catherine et fut debout en un clin d'?il. Lui aussi avait du abuser des vins. Sa figure aux traits amollis etait grise, ses yeux ternes et des plis de lassitude marquaient les coins de sa bouche.
— Dame, que voulez-vous ? demanda-t-il d'une voix enrouee.
— Voir ton maitre. Et sur l'heure !
Poitou haussa les epaules et entreprit maladroitement de refermer son pourpoint que, seule, la ceinture retenait.
— Il dort et je crains qu'il ne puisse vous entendre.
— Si tu veux dire par la qu'il est trop ivre pour comprendre ce que j'ai a lui dire, je n'en crois rien. Il ne l'etait pas trop, voici une heure, quand il fit arreter ma servante. J'entends qu'il s'explique. Va me le chercher !
Le garcon secoua la tete tandis que son visage s'assombrissait.
— Dame, je ne desire pas vous offenser et je vous supplie de me croire. Il y va de la vie pour quiconque oserait entrer dans la chambre de monseigneur Gilles.
— Que m'importe ta vie ? Je veux le voir, te dis- je ! cria Catherine exasperee.
— Il ne s'agit pas de ma vie, Dame, mais de la votre. Il me tuera, certes, si j'entre... mais le deuxieme coup de dague sera pour vous.
Malgre sa determination, Catherine hesita. Poitou etait sincere, visiblement, et il devait bien connaitre son maitre. D'un ton suppliant, le jeune page ajoutait, baissant la voix :
Croyez-moi, dame Catherine, je ne plaisante pas. Mieux vaut pour vous remettre a plus tard. Je dirai que vous etes venue, que vous voulez lui parler, mais partez, par pitie, partez ! A cette heure, Monseigneur n'est plus qu'un fauve dechaine. Il n'a...
Il n'en dit pas plus. La porte venait de s'ouvrir, livrant passage a Gilles de Rais en personne.
Impressionnee peut-etre par la peur qui habitait la voix du page, Catherine, a sa vue, eut un mouvement de recul. Il etait seulement vetu de chausses rouges, lacees etroitement a la taille. Son torse epais, couvert de poils noirs et frises, etait nu. Sous la peau brune roulaient des muscles lourds. Son aspect et l'odeur forte qui emanait de lui evoquaient vraiment ce fauve dont Poitou avait parle, tandis que le reflet rouge d'un vitrail, ou passait le soleil levant, accentuait l'expression demoniaque du visage. Les yeux injectes de sang eurent un eclair en reconnaissant Catherine. D'une bourrade, il repoussa le page qui allait dire quelque chose, puis sa main s'abattit sur le bras de la jeune femme qui eut l'impression d'etre prise dans un etau.
— Viens ! dit-il seulement.
En franchissant, trainee par lui, le seuil de la chambre, Catherine sentit la peur l'envahir. Les volets etaient clos, les rideaux tires et il regnait dans cette chambre une obscurite presque totale. Seule une vacillante lampe a huile posee sur un coffre repandait une lumiere incertaine. La chaleur etait etouffante et l'odeur du vin, de relents humains revulsa de nouveau la jeune femme. Elle tenta de degager son bras mais Gilles la tenait bien.
— Lachez-moi ! cria-t-elle d'une voix etranglee par la peur.
Il ne parut pas entendre. Il l'entraina ainsi jusque vers le grand lit defait dont les draps trainaient a terre. Dans la lueur rougeatre de la lampe, la jeune femme vit une forme humaine bouger parmi les coussins et les couvertures. Le bras de Gilles plongea dans cette direction et ramena une fille gemissante, vetue seulement de ses longs cheveux noirs.
— Va-t'en ! fit-il, toujours du meme ton monocorde et comme absent.
La fille balbutia quelque chose. Catherine, eberluee, vit que son corps adolescent etait marque de curieuses raies sombres... et aussi qu'elle semblait au comble de la terreur. Elle devait etre tres jeune, a peine quinze ans, et, pour se proteger, elle tenta de chercher refuge derriere l'une des colonnes du lit. Mal lui en prit. Gilles saisit un fouet a chiens qui trainait sur les marches du lit et l'en cingla par trois fois.
— J'ai dit, va-t'en ! aboya-t-il.
La fillette hurla, mais courut en trebuchant vers la porte. Un instant, Catherine vit luire l'eclair blanc de son corps dans la clarte du dehors. La stupeur qui l'avait saisie devant l'etrange tournure que prenait sa demarche fit place a une terreur folle. Elle comprit que Poitou n'avait rien exagere et qu'a cette heure le maitre de Champtoce n'avait plus rien d'humain.
Elle voulut, elle aussi, courir vers la porte et vers le jour, mais, de nouveau, la terrible main s'abattit sur elle.
— Pas toi, grogna-t-il. Toi, tu restes !
Il jeta le fouet et, sans plus d'explications, la prit dans ses bras. Du coup, le souffle coupe, Catherine crut etouffer. Elle etait ecrasee contre une poitrine dure et velue. Elle eut la sensation d'etre prise entre les pattes d'un de ces ours qu'elle avait vus, a Hesdin, dans la menagerie de Philippe de Bourgogne. Celui-la sentait la sueur et le vin. Ec?uree, Catherine se debattit, frappant de ses poings, le repoussant de toutes ses forces. Ce n'etait pas facile. L'ivresse qui le tenait decuplait ses forces qui, en temps normal, etaient respectables. La jeune femme sentit la chaleur humide de sa bouche sur son cou et perdit l'equilibre. Il la soulevait de terre pour la jeter sur le lit. Il geignait contre elle, prononcant des paroles qu'elle ne pouvait comprendre. Il etait au-dela de tout entendement. Pour lui echapper, il fallait ruser...
Cessant brusquement de lutter, elle se laissa porter sur le lit, mais, a peine son dos eut-il touche le matelas que, profitant du desequilibre momentane que le geste de la poser avait occasionne a Gilles, elle roula sur elle-meme et glissa dans la ruelle avec la rapidite d'un eclair. Aussitot, le lit cria sous le poids de Gilles qui, pensant se jeter sur Catherine, s'abattit de toute sa hauteur. Il ne rencontra que le vide et poussa un hurlement de rage. Mais deja la jeune femme avait couru a une fenetre, tire les rideaux, claque le volet. Un flot de soleil inonda la chambre et aveugla un instant l'homme encore etendu sur le lit.