Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Il haussa les epaules et se dirigea vers la porte, puis, se retournant, il lanca a Sara : Du mal ? Allons donc ! Il suffit de voir les choses sous leur vrai jour. Apres tout, rien n'oblige dame Catherine a quitter cette maison ou elle sera toujours traitee selon ses merites... C'est-a-dire en reine ! Je ne vois pas qu'il y ait la rien de si tragique. Vous devriez lui dire, ma fille, qu'il y a, pour une femme intelligente, tout interet a hurler avec les loups. La partie est jouee... et gagnee. Rien ne peut plus atteindre la puissance de mon cousin... ni la mienne !
— Rien ?...
Sara, brusquement, venait de lacher Catherine qui faillit s'effondrer a terre. La zingara etait devenue bleme tandis que ses yeux se dilataient, devenaient enormes et fixes. Elle etendit un bras et marcha vers le marechal d'un pas saccade d'automate, si semblable a une somnambule qu'il fronca les sourcils et recula... Comprenant que Sara etait prise d'une de ces etranges crises de clairvoyance au cours desquelles le voile de l'avenir se dechirait devant elle, Catherine avait cesse de pleurer et retenait sa respiration. La voix de la bohemienne s'eleva, monocorde :
— Ta puissance a des pieds d'argile et de cendre, Gilles de Rais... Il y a du sang, des flots de sang autour de toi, tellement de sang qu'il t'engloutit et te submerge... Il y a des hurlements de douleur, des bouches qui crient vengeance, des mains qui appellent la justice. Et la justice viendra... en son temps... Je vois une grande ville pres de la mer... une foule enorme... un triple gibet ! J'entends le son des cloches et des prieres... Tu seras pendu, Gilles de Rais... et le feu devorera ton corps !
La voix prophetique s'eteignit. Alors, avec un cri de terreur, le seigneur de Rais s'enfuit en courant...
Toute la nuit, les echos du chateau retentirent du bruit du banquet et de la fete. Dans la grande salle, Gilles, sa famille et ses capitaines festoyaient, mais, dans les cuisines, les salles de gardes et les dependances, les hommes d'armes menaient joyeuse vie avec les servantes. Les cris, les rires et les chansons a boire parvenaient a percer meme l'epaisseur des murs de Champtoce montaient des cours, des escaliers jusqu'a la chambre ou les yeux secs mais le c?ur serre, Catherine cherchait en vain un moyen d'echapper a sa prison.
— Pourquoi ne t'ai-je pas ecoutee, repetait-elle inlassablement a Sara, pourquoi suis-je venue dans ce guepier ?
J'aurais du courir a Bourges, voir la Reine a tout prix...
— Tu ignorais le traquenard tendu. Tout etait bien combine. Le premier corps de garde t'aurait arretee, jetee dans quelque basse-fosse.
— En suis je plus avancee entre les murs de ce chateau ? Je suis prise et bien prise. Jusqu'a mon corps, deja alourdi, qui me tient captive. Comment faire, comment sortir ?
— Calme-toi, murmura Sara en caressant doucement les cheveux denoues de la jeune femme, calme- toi, je t'en supplie. Dieu t'enverra un secours, j'en suis certaine. Il faut esperer, prier... et guetter l'occasion favorable. La premiere chose, vois-tu, est de sortir d'ici. Ensuite...
— Ensuite courir au secours d'Arnaud et...
— Tu veux dire courir a Sully ? Risquer de tomber entre les mains de La Tremoille pour le seul plaisir d'etre dans les memes prisons que lui ? Que non pas ! Chercher un refuge, oui ; et ensuite celui qui saura vous defendre et faire entendre raison au Roi... meme s'il faut courir jusqu'en Provence pour demander justice a Madame Yolande. Essaie de te reposer, ma mignonne, l'esprit est plus clair quand il est plus dispos. Je suis la, pres de toi. Je veillerai sur toi. A nous deux, nous en sortirons...
Bercee par la voix de sa vieille amie, Catherine, peu a peu, s'apaisa, reprit courage. Mais, au lever du jour, un poing ferre ebranla la porte. Comme dans un cauchemar, Catherine vit des hommes d'armes envahir sa chambre. Le cri qu'elle poussa fut sans echo. Avant qu'elle ait pu seulement protester, Sara avait ete arrachee de ses bras, malgre les efforts qu'elle faisait pour la retenir, entrainee dans le couloir...
— Monseigneur Gilles m'a donne l'ordre d'arreter la sorciere ! cria le sergent en laissant retomber derriere lui la lourde porte de chene.
Catherine, alors, comprit qu'elle etait seule, definitivement abandonnee de tous et du Ciel meme. Secouee de sanglots, desesperee, elle s'ecroula parmi ses oreillers.
La crise de desespoir ne fut que passagere. Catherine ne s'y etait abandonnee que parce que cette nuit d'angoisse lui avait fait toucher le fond de son courage. Mais l'instinct combatif etait trop solidement ancre en elle pour qu'elle ne relevat pas la tete et ne se jetat pas a corps perdu dans la bataille. Une colere folle bouillonnait dans sa tete, rechauffant ses muscles epuises, renvoyant au c?ur le sang qui se glacait dans ses veines, jouant le role salutaire d'un revulsif. Elle sauta de son lit comme on s'evade, fit une toilette rapide et assez sommaire, se contentant de baigner d'eau son visage gonfle par les larmes et de savonner ses mains. Mais elle prit son temps pour se coiffer, lustrant et relustrant ses cheveux, surtout pour laisser a ses traits le temps de redevenir normaux. Catherine savait depuis longtemps que sa beaute etait sa meilleure arme et que, si elle voulait gagner cette nouvelle bataille, il ne s'agissait pas de l'affronter avec le visage ravage d'une victime. Son instinct lui disait qu'avec un homme tel que Gilles de Rais la faiblesse etait le plus lourd desavantage !
Rafraichie, coiffee, elle mit un peu de parfum, une robe de velours brun doublee de satin blanc et ourlee d'une mince bande d'hermine et, renoncant aux trop solennelles coiffures a cornes, a bourrelets ou au hennin, se contenta d'entourer sa tete d'un voile blanc. Elle prit-des gants, un missel et, pour commencer, s'en alla a la chapelle ou, a cette heure, l'aumonier du chateau avait coutume de dire, pour les serviteurs, une messe du lever du jour. Le secours de Dieu lui paraissait indispensable dans sa solitude et sa faiblesse.
Les suites de la fete se faisaient sentir, la aussi. Hormis le chapelain et un enfant de ch?ur, la petite chapelle etait vide et Catherine eut l'impression d'avoir Dieu pour elle toute seule. C'etait, en verite, une toute petite chapelle, mais ravissante. La passion de Gilles de Rais pour la perfection en avait fait une chose de beaute, un ecrin bleu pour un autel de precieuse orfevrerie et pour un immense crucifix d'or massif sur croix d'ebene comme Catherine n'en avait jamais vu.
Bleues etaient les voutes angevines dont les caissons s'etoilaient d'or, bleus les vitraux teintes de grisailles qui faisaient chanter plus haut leur profondeur, bleus les coussins qui parsemaient les bancs seigneuriaux, bleus enfin les tapis dont l'epaisseur donnait a cette chapelle quelque chose de trop luxueux et de trop sensuel. C'etait un hymne a la puissance de Gilles plus qu'a la gloire de Dieu. Il devait venir la pour y rever d'un ciel fastueux ou, comme ici, il aurait la premiere place et regnerait en maitre sur les foules a genoux.
Mais, pour le moment, l'esprit de Catherine etait ferme a la splendeur de l'oratoire. Les yeux clos, les mains jointes, elle pria de toute son ame pour obtenir la force necessaire et pour que s'eloignat d'elle cette peur qui l'affaiblissait. Elle recut la communion avec ferveur puis, durant de longues minutes encore, elle implora la Sainte Mere de Dieu pour tous ceux qu'elle aimait et qui, comme elle-meme, etaient en grand peril. Enfin, un peu reconfortee, elle quitta la chapelle au moment ou le guetteur, mal reveille, se decidait a corner l'ouverture des portes. Le temps etait clair, ce matin, et l'aurore rosissait les flaques d'eau dans la cour. Les rustauds de cuisine, baillant eperdument, transportaient avec nonchalance les bassines de detritus que des marmitons expulsaient des cuisines. Le chateau s'appretait a balayer les dernieres vapeurs de l'enorme ripaille et a commencer une nouvelle journee.