Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗
Naturellement destine a l’exploitation de la pension bourgeoise, le rez-de-chaussee se compose d’une premiere piece eclairee par les deux croisees de la rue, et ou l’on entre par une porte-fenetre. Ce salon communique a une salle a manger qui est separee de la cuisine par la cage d’un escalier dont les marches sont en bois et en carreaux mis en couleur et frottes. Rien n’est plus triste a voir que ce salon meuble de fauteuils et de chaises en etoffe de crin a raies alternativement mates et luisantes. Au milieu se trouve une table ronde a dessus de marbre Sainte-Anne, decoree de ce cabaret en porcelaine blanche ornee de filets d’or effaces a demi, que l’on rencontre partout aujourd’hui. Cette piece, assez mal plancheiee, est lambrissee a hauteur d’appui. Le surplus des parois est tendu d’un papier verni representant les principales scenes de Telemaque, et dont les classiques personnages sont colories. Le panneau d’entre les croisees grillagees offre aux pensionnaires le tableau du festin donne au fils d’Ulysse par Calypso. Depuis quarante ans cette peinture excite les plaisanteries des jeunes pensionnaires, qui se croient superieurs a leur position en se moquant du diner auquel la misere les condamne. La cheminee en pierre, dont le foyer toujours propre atteste qu’il ne s’y fait de feu que dans les grandes occasions, est ornee de deux vases pleins de fleurs artificielles, vieillies et encagees, qui accompagnent une pendule en marbre bleuatre du plus mauvais gout. Cette premiere piece exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il faudrait appeler l’ odeur de pension. Elle sent le renferme, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle penetre les vetements ; elle a le gout d’une salle ou l’on a dine ; elle pue le service, l’office, l’hospice. Peut-etre pourrait-elle se decrire si l’on inventait un procede pour evaluer les quantites elementaires et nauseabondes qu’y jettent les atmospheres catarrhales et sui generisde chaque pensionnaire, jeune ou vieux. Eh ! bien, malgre ces plates horreurs, si vous le compariez a la salle a manger, qui lui est contigue, vous trouveriez ce salon elegant et parfume comme doit l’etre un boudoir. Cette salle, entierement boisee, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd’hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprime ses couches de maniere a y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquee de buffets gluants sur lesquels sont des carafes echancrees, ternies, des ronds de moire metallique, des piles d’assiettes en porcelaine epaisse, a bords bleus, fabriquees a Tournai. Dans un angle est placee une boite a cases numerotees qui sert a garder les serviettes, ou tachees ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il s’y rencontre de ces meubles indestructibles, proscrits partout, mais places la comme le sont les debris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un barometre a capucin qui sort quand il pleut, des gravures execrables qui otent l’appetit, toutes encadrees en bois noir verni a filets dores ; un cartel en ecaille incrustee de cuivre ; un poele vert, des quinquets d’Argand ou la poussiere se combine avec l’huile, une longue table couverte en toile ciree assez grasse pour qu’un facetieux externe y ecrive son nom en se servant de son doigt comme de style, des chaises estropiees, de petits paillassons piteux en sparterie qui se deroule toujours sans se perdre jamais, puis des chaufferettes miserables a trous casses, a charnieres defaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevasse, pourri, tremblant, ronge, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l’interet de cette histoire, et que les gens presses ne pardonneraient pas. Le carreau rouge est plein de vallees produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin, la regne la misere sans poesie ; une misere econome, concentree, rapee. Si elle n’a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n’a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture.
Cette piece est dans tout son lustre au moment ou, vers sept heures du matin, le chat de madame Vauquer precede sa maitresse ; saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes d’assiettes, et fait entendre son rouroumatinal. Bientot la veuve se montre, attifee de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis, elle marche en trainassant ses pantoufles grimacees. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez a bec de perroquet ; ses petites mains potelees, sa personne dodue comme un rat d’eglise, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle ou suinte le malheur, ou s’est blottie la speculation, et dont madame Vauquer respire l’air chaudement fetide sans en etre ec?uree. Sa figure fraiche comme une premiere gelee d’automne, ses yeux rides, dont l’expression passe du sourire prescrit aux danseuses a l’amer renfrognement de l’escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas sans l’argousin, vous n’imagineriez pas l’un sans l’autre. L’embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus est la consequence des exhalaisons d’un hopital. Son jupon de laine tricotee, qui depasse sa premiere jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s’echappe par les fentes de l’etoffe lezardee, resume le salon, la salle a manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. Quand elle est la, ce spectacle est complet. Agee d’environ cinquante ans, madame Vauquer ressemble a toutes les femmes qui ont eu des malheurs. Elle a l’?il vitreux, l’air innocent d’une entremetteuse qui va se gendarmer pour se faire payer plus cher, mais d’ailleurs prete a tout pour adoucir son sort, a livrer Georges ou Pichegru, si Georges ou Pichegru etaient encore a livrer. Neanmoins, elle est bonne femme au fond, disent les pensionnaires, qui la croient sans fortune en l’entendant geindre et tousser comme eux. Qu’avait ete monsieur Vauquer ? Elle ne s’expliquait jamais sur le defunt. Comment avait-il perdu sa fortune ? Dans les malheurs, repondait-elle. Il s’etait mal conduit envers elle, ne lui avait laisse que les yeux pour pleurer, cette maison pour vivre, et le droit de ne compatir a aucune infortune, parce que, disait-elle, elle avait souffert tout ce qu’il est possible de souffrir. En entendant trottiner sa maitresse, la grosse Sylvie, la cuisiniere, s’empressait de servir le dejeuner des pensionnaires internes.
Generalement les pensionnaires externes ne s’abonnaient qu’au diner, qui coutait trente francs par mois. A l’epoque ou cette histoire commence, les internes etaient au nombre de sept. Le premier etage contenait les deux meilleurs appartements de la maison. Madame Vauquer habitait le moins considerable, et l’autre appartenait a madame Couture, veuve d’un Commissaire-Ordonnateur de la Republique francaise. Elle avait avec elle une tres-jeune personne, nommee Victorine Taillefer, a qui elle servait de mere. La pension de ces deux dames montait a dix-huit cents francs. Les deux appartements du second etaient occupes, l’un par un vieillard nomme Poiret ; l’autre, par un homme age d’environ quarante ans, qui portait une perruque noire, se teignait les favoris, se disait ancien negociant, et s’appelait monsieur Vautrin. Le troisieme etage se composait de quatre chambres, dont deux etaient louees, l’une par une vieille fille nommee mademoiselle Michonneau ; l’autre, par un ancien fabricant de vermicelles, de pates d’Italie et d’amidon, qui se laissait nommer le Pere Goriot. Les deux autres chambres etaient destinees aux oiseaux de passage, a ces infortunes etudiants qui, comme le pere Goriot et mademoiselle Michonneau, ne pouvaient mettre que quarante-cinq francs par mois a leur nourriture et a leur logement ; mais madame Vauquer souhaitait peu leur presence et ne les prenait que quand elle ne trouvait pas mieux : ils mangeaient trop de pain. En ce moment, l’une de ces deux chambres appartenait a un jeune homme venu des environs d’Angouleme a Paris pour y faire son Droit, et dont la nombreuse famille se soumettait aux plus dures privations afin de lui envoyer douze cents francs par an. Eugene de Rastignac, ainsi se nommait-il, etait un de ces jeunes gens faconnes au travail par le malheur, qui comprennent des le jeune age les esperances que leurs parents placent en eux, et qui se preparent une belle destinee en calculant deja la portee de leurs etudes, et, les adaptant par avance au mouvement futur de la societe, pour etre les premiers a la pressurer. Sans ses observations curieuses et l’adresse avec laquelle il sut se produire dans les salons de Paris, ce recit n’eut pas ete colore des tons vrais qu’il devra sans doute a son esprit sagace et a son desir de penetrer les mysteres d’une situation epouvantable aussi soigneusement cachee par ceux qui l’avaient creee que par celui qui la subissait.