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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗

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— Ah ! ma chere dame, un homme sain comme mon ?il, lui disait la veuve, un homme parfaitement conserve, et qui peut donner encore bien de l’agrement a une femme.

La comtesse fit genereusement des observations a madame Vauquer sur sa mise, qui n’etait pas en harmonie avec ses pretentions. — Il faut vous mettre sur le pied de guerre, lui dit-elle. Apres bien des calculs, les deux veuves allerent ensemble au Palais-Royal, ou elles acheterent, aux Galeries de Bois, un chapeau a plumes et un bonnet. La comtesse entraina son amie au magasin de La Petite Jeannette, ou elles choisirent une robe et une echarpe. Quand ces munitions furent employees, et que la veuve fut sous les armes, elle ressembla parfaitement a l’enseigne du B?uf a la Mode. Neanmoins elle se trouva si changee a son avantage, qu’elle se crut l’obligee de la comtesse, et, quoique peu donnante, elle la pria d’accepter un chapeau de vingt francs. Elle comptait, a la verite, lui demander le service de sonder Goriot et de la faire valoir aupres de lui. Madame de l’Ambermesnil se preta fort amicalement a ce manege, et cerna le vieux vermicellier avec lequel elle reussit a avoir une conference ; mais apres l’avoir trouve pudibond, pour ne pas dire refractaire aux tentatives que lui suggera son desir particulier de le seduire pour son propre compte, elle sortit revoltee de sa grossierete.

— Mon ange, dit-elle a sa chere amie, vous ne tirerez rien de cet homme-la ! il est ridiculement defiant ; c’est un grippe-sou, une bete, un sot, qui ne vous causera que du desagrement.

Il y eut entre monsieur Goriot et madame de l’Ambermesnil des choses telles que la comtesse ne voulut meme plus se trouver avec lui. Le lendemain, elle partit en oubliant de payer six mois de pension, et en laissant une defroque prisee cinq francs. Quelque aprete que madame Vauquer mit a ses recherches, elle ne put obtenir aucun renseignement dans Paris sur la comtesse de l’Ambermesnil. Elle parlait souvent de cette deplorable affaire, en se plaignant de son trop de confiance, quoiqu’elle fut plus mefiante que ne l’est une chatte ; mais elle ressemblait a beaucoup de personnes qui se defient de leurs proches, et se livrent au premier venu. Fait moral, bizarre, mais vrai, dont la racine est facile a trouver dans le c?ur humain. Peut-etre certaines gens n’ont-ils plus rien a gagner aupres des personnes avec lesquelles ils vivent ; apres leur avoir montre le vide de leur ame, ils se sentent secretement juges par elles avec une severite meritee ; mais, eprouvant un invincible besoin de flatteries qui leur manquent, ou devores par l’envie de paraitre posseder les qualites qu’ils n’ont pas, ils esperent surprendre l’estime ou le c?ur de ceux qui leur sont etrangers, au risque d’en dechoir un jour. Enfin il est des individus nes mercenaires qui ne font aucun bien a leurs amis ou a leurs proches, parce qu’ils le doivent ; tandis qu’en rendant service a des inconnus, ils en recueillent un gain d’amour-propre : plus le cercle de leurs affections est pres d’eux, moins ils aiment ; plus il s’etend, plus serviables ils sont. Madame Vauquer tenait sans doute de ces deux natures, essentiellement mesquines, fausses, execrables.

— Si j’avais ete ici, lui disait alors Vautrin, ce malheur ne vous serait pas arrive ! je vous aurais joliment devisage cette farceuse-la. Je connais leurs frimousses.

Comme tous les esprits retrecis, madame Vauquer avait l’habitude de ne pas sortir du cercle des evenements, et de ne pas juger leurs causes. Elle aimait a s’en prendre a autrui de ses propres fautes. Quand cette perte eut lieu, elle considera l’honnete vermicellier comme le principe de son infortune, et commenca des lors, disait-elle, a se degriser sur son compte. Lorsqu’elle eut reconnu l’inutilite de ses agaceries et de ses frais de representation, elle ne tarda pas a en deviner la raison. Elle s’apercut alors que son pensionnaire avait deja, selon son expression, ses allures. Enfin il lui fut prouve que son espoir si mignonnement caresse reposait sur une base chimerique, et qu’elle ne tirerait jamais rien de cet homme-la, suivant le mot energique de la comtesse, qui paraissait etre une connaisseuse. Elle alla necessairement plus loin en aversion qu’elle n’etait allee dans son amitie. Sa haine ne fut pas en raison de son amour, mais de ses esperances trompees. Si le c?ur humain trouve des repos en montant les hauteurs de l’affection, il s’arrete rarement sur la pente rapide des sentiments haineux. Mais monsieur Goriot etait son pensionnaire, la veuve fut donc obligee de reprimer les explosions de son amour-propre blesse, d’enterrer les soupirs que lui causa cette deception, et de devorer ses desirs de vengeance, comme un moine vexe par son prieur. Les petits esprits satisfont leurs sentiments, bons ou mauvais, par des petitesses incessantes. La veuve employa sa malice de femme a inventer de sourdes persecutions contre sa victime. Elle commenca par retrancher les superfluites introduites dans sa pension. « Plus de cornichons, plus d’anchois : c’est des duperies ! » dit-elle a Sylvie, le matin ou elle rentra dans son ancien programme. Monsieur Goriot etait un homme frugal, chez qui la parcimonie necessaire aux gens qui font eux-memes leur fortune etait degeneree en habitude. La soupe, le bouilli, un plat de legumes, avaient ete, devaient toujours etre son diner de predilection. Il fut donc bien difficile a madame Vauquer de tourmenter son pensionnaire, de qui elle ne pouvait en rien froisser les gouts. Desesperee de rencontrer un homme inattaquable, elle se mit a le deconsiderer, et fit ainsi partager son aversion pour Goriot par ses pensionnaires, qui, par amusement, servirent ses vengeances. Vers la fin de la premiere annee, la veuve en etait venue a un tel degre de mefiance, qu’elle se demandait pourquoi ce negociant, riche de sept a huit mille livres de rente, qui possedait une argenterie superbe et des bijoux aussi beaux que ceux d’une fille entretenue, demeurait chez elle, en lui payant une pension si modique relativement a sa fortune. Pendant la plus grande partie de cette premiere annee, Goriot avait souvent dine dehors une ou deux fois par semaine ; puis, insensiblement, il en etait arrive a ne plus diner en ville que deux fois par mois. Les petites parties fines du sieur Goriot convenaient trop bien aux interets de madame Vauquer pour qu’elle ne fut pas mecontente de l’exactitude progressive avec laquelle son pensionnaire prenait ses repas chez elle. Ces changements furent attribues autant a une lente diminution de fortune qu’au desir de contrarier son hotesse. Une des plus detestables habitudes de ces esprits lilliputiens est de supposer leurs petitesses chez les autres. Malheureusement, a la fin de la deuxieme annee, monsieur Goriot justifia les bavardages dont il etait l’objet, en demandant a madame Vauquer de passer au second etage, et de reduire sa pension a neuf cents francs. Il eut besoin d’une si stricte economie qu’il ne fit plus de feu chez lui pendant l’hiver. La veuve Vauquer voulut etre payee d’avance ; a quoi consentit monsieur Goriot, que des lors elle nomma le pere Goriot. Ce fut a qui devinerait les causes de cette decadence. Exploration difficile ! Comme l’avait dit la fausse comtesse, le pere Goriot etait un sournois, un taciturne. Suivant la logique des gens a tete vide, tous indiscrets parce qu’ils n’ont que des riens a dire, ceux qui ne parlent pas de leurs affaires en doivent faire de mauvaises. Ce negociant si distingue devint donc un fripon, ce galantin fut un vieux drole. Tantot, selon Vautrin, qui vint vers cette epoque habiter la Maison Vauquer, le pere Goriot etait un homme qui allait a la Bourse et qui, suivant une expression assez energique de la langue financiere, carottaitsur les rentes apres s’y etre ruine. Tantot c’etait un de ces petits joueurs qui vont hasarder et gagner tous les soirs dix francs au jeu. Tantot on en faisait un espion attache a la haute police ; mais Vautrin pretendait qu’il n’etait pas assez ruse pour en etre. Le pere Goriot etait encore un avare qui pretait a la petite semaine, un homme qui nourrissait des numeros a la loterie. On en faisait tout ce que le vice, la honte, l’impuissance engendrent de plus mysterieux. Seulement, quelque ignoble que fussent sa conduite ou ses vices, l’aversion qu’il inspirait n’allait pas jusqu’a le faire bannir : il payait sa pension. Puis il etait utile, chacun essuyait sur lui sa bonne ou mauvaise humeur par des plaisanteries ou par des bourrades. L’opinion qui paraissait plus probable, et qui fut generalement adoptee, etait celle de madame Vauquer. A l’entendre, cet homme si bien conserve, sain comme son ?il et avec lequel on pouvait avoir encore beaucoup d’agrement, etait un libertin qui avait des gouts etranges. Voici sur quels faits la veuve Vauquer appuyait ses calomnies. Quelques mois apres le depart de cette desastreuse comtesse qui avait su vivre pendant six mois a ses depens, un matin, avant de se lever, elle entendit dans son escalier le froufrou d’une robe de soie et le pas mignon d’une femme jeune et legere qui filait chez Goriot, dont la porte s’etait intelligemment ouverte. Aussitot la grosse Sylvie vint dire a sa maitresse qu’une fille trop jolie pour etre honnete, mise comme une divinite, chaussee en brodequins de prunelle qui n’etaient pas crottes, avait glisse comme une anguille de la rue jusqu’a sa cuisine, et lui avait demande l’appartement de monsieur Goriot. Madame Vauquer et sa cuisiniere se mirent aux ecoutes, et surprirent plusieurs mots tendrement prononces pendant la visite, qui dura quelque temps. Quand monsieur Goriot reconduisit sa dame, la grosse Sylvie prit aussitot son panier, et feignit d’aller au marche, pour suivre le couple amoureux.

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