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Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de (электронную книгу бесплатно без регистрации txt) 📗

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La mort a des formes plus aisees les unes que les autres, et prend diverses qualitez selon la fantasie de chacun. Entre les naturelles, celle qui vient d'affoiblissement et appesantissement, me semble molle et douce. Entre les violentes, j'imagine plus mal-aisement un precipice, qu'une ruine qui m'accable: et un coup trenchant d'une espee, qu'une harquebusade: et eusse plustost beu le breuvage de Socrates, que de me fraper, comme Caton. Et quoy que ce soit un, si sent mon imagination difference, comme de la mort a la vie, a me jetter dans une fournaise ardente, ou dans le canal d'une platte riviere. Tant sottement nostre crainte regarde plus au moyen qu'a l'effect. Ce n'est qu'un instant; mais il est de tel poix, que je donneroy volontiers plusieurs jours de ma vie, pour le passer a ma mode.

Puisque la fantasie d'un chacun trouve du plus et du moins, en son aigreur: puisque chacun a quelque choix entre les formes de mourir, essayons un peu plus avant d'en trouver quelqu'une deschargee de tout desplaisir. Pourroit on pas la rendre encore voluptueuse, comme les commourans d'Antonius et de Cleopatra? Je laisse a part les efforts que la philosophie, et la religion produisent, aspres et exemplaires. Mais entre les hommes de peu, il s'en est trouve, comme un Petronius, et un Tigillinus a Rome, engager a se donner la mort, qui l'ont comme endormie par la mollesse de leurs apprests. Ils l'ont faicte couler et glisser parmy la laschete de leurs passetemps accoustumez. Entre des garses et bons compagnons; nul propos de consolation, nulle mention de testament, nulle affectation ambitieuse de constance, nul discours de leur condition future: parmy les jeux, les festins, facecies, entretiens communs et populaires, et la musique, et des vers amoureux. Ne scaurions nous imiter cette resolution en plus honneste contenance? Puis qu'il y a des morts bonnes aux fols, bonnes aux sages: trouvons-en qui soient bonnes a ceux d'entre deux. Mon imagination m'en presente quelque visage facile, et, puis qu'il faut mourir, desirable. Les tyrans Romains pensoient donner la vie au criminel, a qui ils donnoient le choix de sa mort. Mais Theophraste Philosophe si delicat, si modeste, si sage, a-il pas este force par la raison, d'oser dire ce vers latinise par Ciceron:

Vitam regit fortuna, non sapientia .

La fortune aide a la facilite du marche de ma vie: l'ayant logee en tel poinct, qu'elle ne faict meshuy ny besoing aux miens, ny empeschement. C'est une condition que j'eusse acceptee en toutes les saisons de mon aage: mais en cette occasion, de trousser mes bribes, et de plier bagage, je prens plus particulierement plaisir a ne leur apporter ny plaisir ny deplaisir, en mourant. Elle a, d'une artiste compensation, faict, que ceux qui peuvent pretendre quelque materiel fruict de ma mort, en recoivent d'ailleurs, conjointement, une materielle perte. La mort s'appesantit souvent en nous, de ce qu'elle poise aux autres: et nous interesse de leur interest, quasi autant que du nostre: et plus et tout par fois.

En cette commodite de logis que je cherche, je n'y mesle pas la pompe et l'amplitude: je la hay plustost: Mais certaine propriete simple, qui se rencontre plus souvent aux lieux ou il y a moins d'art, et que nature honore de quelque grace toute sienne, Non ampliter sed munditer convivium. Plus salis quam sumptus .

Et puis, c'est a faire a ceux que les affaires entrainent en plain hyver, par les Grisons, d'estre surpris en chemin en cette extremite. Moy qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S'il faict laid a droicte, je prens a gauche: si je me trouve mal propre a monter a cheval, je m'arreste. Et faisant ainsi, je ne vois a la verite rien, qui ne soit aussi plaisant et commode que ma maison. Il est vray que je trouve la superfluite tousjours superflue: et remarque de l'empeschement en la delicatesse mesme et en l'abondance. Ay-je laisse quelque chose a voir derriere moy, j'y retourne: c'est tousjours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine, ny droicte ny courbe. Ne trouve-je point ou je vay, ce qu'on m'avoit dict? comme il advient souvent que les jugemens d'autruy ne s'accordent pas aux miens, et les ay trouvez le plus souvent faux: je ne plains pas ma peine: J'ay apris que ce qu'on disoit n'y est point.

J'ay la complexion du corps libre, et le goust commun, autant qu'homme du monde: La diversite des facons d'une nation a autre, ne me touche que par le plaisir de la variete. Chaque usage a sa raison. Soyent des assietes d'estain, de bois, de terre: bouilly ou rosty; beurre, ou huyle, de noix ou d'olive, chaut ou froit, tout m'est un. Et si un, que vieillissant, j'accuse ceste genereuse faculte: et auroy besoin que la delicatesse et le choix, arrestast l'indiscretion de mon appetit, et par fois soulageast mon estomach. Quand j'ay este ailleurs qu'en France: et que, pour me faire courtoisie, on m'a demande, si je vouloy estre servi a la Francoise, je m'en suis mocque, et me suis tousjours jette aux tables les plus espesses d'estrangers.

J'ay honte de voir nos hommes, enyvrez de cette sotte humeur, de s'effaroucher des formes contraires aux leurs. Il leur semble estre hors de leur element, quand ils sont hors de leur village. Ou qu'ils aillent, ils se tiennent a leurs facons, et abominent les estrangeres. Retrouvent ils un compatriote en Hongrie, ils festoient ceste avanture: les voyla a se r'alier, et a se recoudre ensemble; a condamner tant de moeurs barbares qu'ils voyent. Pourquoy non barbares, puis qu'elles ne sont Francoises? Encore sont ce les plus habilles, qui les ont recognues, pour en mesdire: La pluspart ne prennent l'aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrez, d'une prudence taciturne et incommunicable, se defendans de la contagion d'un air incogneu.

Ce que je dis de ceux la, me ramentoit en chose semblable, ce que j'ay par fois apperceu en aucuns de noz jeunes courtisans. Ils ne tiennent qu'aux hommes de leur sorte: nous regardent comme gens de l'autre monde, avec desdain, ou pitie. Ostez leur les entretiens des mysteres de la cour, ils sont hors de leur gibier. Aussi neufs pour nous et malhabiles, comme nous sommes a eux. On dict bien vray, qu'un honneste homme, c'est un homme mesle.

Au rebours, je peregrine tressaoul de nos facons: non pour chercher des Gascons en Sicile, j'en ay assez laisse au logis: je cherche des Grecs plustost, et des Persans: j'accointe ceux-la, je les considere: c'est la ou je me preste, et ou je m'employe. Et qui plus est, il me semble, que je n'ay rencontre guere de manieres, qui ne vaillent les nostres. Je couche de peu: car a peine ay-je perdu mes girouettes de veue.

Au demeurant, la pluspart des compaignies fortuites que vous rencontrez en chemin, ont plus d'incommodite que de plaisir: je ne m'y attache point, moins asteure, que la vieillesse me particularise et sequestre aucunement, des formes communes. Vous souffrez pour autruy, ou autruy pour vous. L'un et l'autre inconvenient est poisant, mais le dernier me semble encore plus rude. C'est une rare fortune, mais de soulagement inestimable, d'avoir un honneste homme, d'entendement ferme, et de moeurs conformes aux vostres, qui aime a vous suivre. J'en ay eu faute extreme, en tous mes voyages. Mais une telle compaignie, il la faut avoir chosie et acquise des le logis. Nul plaisir n'a saveur pour moy sans communication. Il ne me vient pas seulement une gaillarde pensee en l'ame, qu'il ne me fasche de l'avoir produite seul, et n'ayant a qui l'offrir. Si cum hac exceptione detur sapientia, ut illam inclusam teneam, nec enuntiem, rejiciam . L'autre l'avoit monte d'un ton au dessus. Si contigerit ea vita sapienti, ut omnium rerum affluentibus copiis, quamvis omnia, qu? cognitione digna sunt, summo otio secum ipse consideret, et contempletur, tamen si solitudo tanta sit, ut hominem videre non possit, excedat e vita . L'opinion d'Archytas m'agree, qu'il feroit desplaisant au ciel mesme, et a se promener dans ces grands et divins corps celestes, sans l'assistance d'un compaignon.

Mais il vaut mieux encore estre seul, qu'en compaignie ennuyeuse et inepte. Aristippus s'aymoit a vivre estranger par tout,

Me si fata meis paterentur ducere vitam,

Auspiciis ,

je choisirois a la passer le cul sur la selle:

visere gestiens,

Qua parte debacchentur ignes,

Qua nebul? pluviique rores .

Avez-vous pas des passe-temps plus aisez? dequoy avez-vous faute? Vostre maison est-elle pas en bel air et sain, suffisamment fournie, et capable plus que suffisamment? La majeste Royalle y a peu plus d'une fois en sa pompe. Vostre famille n'en l'aisse-elle pas en reiglement, plus au dessoubs d'elle, qu'elle n'en a au dessus, en eminence? Y a il quelque pensee locale, qui vous ulcere, extraordinaire, indigestible?

Qu? te nunc coquat et vexet sub pectore fixa .

Ou cuidez-vous pouvoir estre sans empeschement et sans destourbier? Nunquam simpliciter fortuna indulget . Voyez donc, qu'il n'y a que vous qui vous empeschez: et vous vous suivrez par tout, et vous plaindrez par tout. Car il n'y a satisfaction ca bas, que pour les ames ou brutales ou divines. Qui n'a du contentement a une si juste occasion, ou pense-il le trouver? A combien de milliers d'hommes, arreste une telle condition que la vostre, le but de leurs souhaits? Reformez vous seulement: car en cela vous pouvez tout: la ou vous n'avez droict que de patience, envers la fortune. Nulla placida quies est, nisi quam ratio composuit .

Je voy la raison de cet advertissement, et la voy tresbien. Mais on auroit plustost faict, et plus pertinemment, de me dire en un mot: Soyez sage. Ceste resolution, est outre la sagesse: c'est son ouvrage, et sa production. Ainsi fait le medecin, qui va criaillant apres un pauvre malade languissant, qu'il se resjouysse: il luy conseilleroit un peu moins ineptement, s'il luy disoit: Soyez sain. Pour moy, je ne suis qu'homme de la commune sorte. C'est un precepte salutaire, certain, et d'aisee intelligence: Contentez vous du vostre: c'est a dire, de la raison: l'execution pourtant, n'en est non plus aux plus sages, qu'en moy: C'est une parole populaire, mais elle a une terrible estendue: Que ne comprend elle? Toutes choses tombent en discretion et modification.

Je scay bien qu'a le prendre a la lettre, ce plaisir de voyager, porte tesmoignage d'inquietude et d'irresolution. Aussi sont ce nos maistresses qualitez, et pr?dominantes. Ouy; je le confesse: Je ne vois rien seulement en songe, et par souhait, ou je me puisse tenir: La seule variete me paye, et la possession de la diversite: au moins si quelque chose me paye. A voyager, cela mesme me nourrit, que je me puis arrester sans interest: et que j'ay ou m'en divertir commodement. J'ayme la vie privee, par ce que c'est par mon choix que je l'ayme, non par disconvenance a la vie publique: qui est a l'avanture, autant selon ma complexion. J'en sers plus gayement mon Prince, par ce que c'est par libre eslection de mon jugement, et de ma raison, sans obligation particuliere. Et que je n'y suis pas rejecte, ny contrainct, pour estre irrecevable a tout autre party, et mal voulu: Ainsi du reste. Je hay les morceaux que la necessite me taille: Toute commodite me tiendroit a la gorge, de laquelle seule j'aurois a despendre:

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