Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (читать книги онлайн полностью .txt) 📗
– Assez de toutes ces fadaises, ce sont viandes creuses! s'ecria le roi. A la suivante!
– Psch, psch! entendit-on tout a coup. Une petite souris, la quatrieme de la bande, celle qu'on avait crue morte, venait d'entrer dans la cuisine. Elle se precipita comme une fleche au milieu de l'assemblee, renversant la brochette couverte d'un crepe, qui avait ete placee la en son souvenir.
IV Ce que dit la quatrieme souris lorsqu'elle prit la parole avant la troisieme
Je me suis tout d'abord rendue dans la capitale d'un vaste pays, pensant que dans une grande ville je trouverais plus facilement des renseignements utiles. Comme je n'ai pas la memoire des noms, j'ai oublie celui de cette ville. J'avais fait le voyage dans la charrette d'un contrebandier; elle fut saisie et conduite au palais de justice. Je me glissai en bas et me faufilai dans la loge du portier. Je l'entendis causer d'un homme qu'on venait d'amener en prison pour quelques propos inconsideres contre l'autorite.
– Il n'y a pas la de quoi fouetter un chat, dit le portier. C'est de l'eau claire comme la soupe a la brochette: mais cela peut lui couter la tete. A ces mots je dressai les oreilles; je me dis que j'etais peut-etre sur la bonne piste pour apprendre la recette. Du reste, le pauvre prisonnier m'inspirait de l'interet, et je me mis en quete de sa cellule. Je la trouvai et j'y penetrai par un trou. Le prisonnier etait pale; avait une longue barbe et de grands yeux brillants. Le prisonnier gravait des vers et des dessins; il avait l'air de bien s'ennuyer, et je fus la bienvenue aupres de lui. Il me jeta des miettes de pain, me donna de douces paroles et sifflota pour me faire approcher; mes gentillesses le distrayaient; je pris peu a peu entiere confiance en lui, et nous devinmes une paire d'amis. Il partageait son pain avec moi, et de son fromage il me donnait mieux que la croute; nous avions aussi quelquefois du saucisson: bref, je faisais bombance. Mais ce n'etait pas tout cela qui me faisait plaisir; j'etais fiere et heureuse de l'attachement de cet excellent homme. Il me caressait et me choyait; il avait une vraie affection pour moi, et je le lui rendais bien. J'en oubliai le but de mon grand voyage; je ne fis plus attention a ma brochette qui, un beau jour, glissa dans la fente du plancher, ou elle est encore. Je restai donc, me disant que, moi partie, le pauvre prisonnier n'aurait plus personne avec qui partager son pain et son fromage, ce qui paraissait lui faire tant de plaisir. Ce fut lui qui s'en alla. La derniere fois que je le vis, tout triste qu'il avait l'air, il me cajola avec tendresse et me donna toute une tranche de pain et la plus grosse moitie de son fromage. En sortant de sa cellule, il regarda en arriere et m'envoya un baiser de la main. Il ne revint plus; je n'ai jamais su ce qu'il est devenu.» Soupe a la brochette», disait le concierge quand il etait question de lui. Ces mots me rappelerent l'objet de mon voyage, et je retournai dans la loge. Habituee aux bontes du prisonnier, je ne me mefiais plus assez des hommes, je me montrais imprudemment. Le concierge m'attrapa, me caressa aussi, mais pour ensuite me fourrer dans une cage. Quelle horrible prison! On a beau courir, courir, on ne fait que tourner sans avancer, et l'on rit de vous aux eclats. Le vilain portier m'avait enfermee pour servir d'amusement a sa petite fille. Un jour, me voyant toute desolee et essoufflee apres une galopade desesperee que j'avais faite dans la roue de ma cage: «Pauvre petite creature», dit-elle, et, tirant le verrou, elle me laissa sortir. J'attendis que la nuit fut devenue bien sombre; alors, par les toits du palais de justice, je gagnai une vieille tour qui y etait attenante; elle n'etait habitee que par un veilleur de nuit et un hibou. Le hibou valait mieux que sa mine; il etait vieux, il avait beaucoup d'experience et d'entregent. Il croyait descendre du fameux hibou, oiseau favori de Minerve, la deesse de la sagesse; le fait est qu'il connaissait l'envers et l'endroit des choses. Quand ses petits emettaient quelque opinion inconsideree: «Allons donc! disait-il; ne faites donc pas de soupe a la brochette.» Quand ils entendaient cela, les jeunes savaient qu'ils avaient dit une sottise. Le hibou me donna la bienvenue et me promit de me proteger contre tous les animaux malfaisants; mais il me prevint que, si l'hiver etait dur, il me croquerait. Comme je vous ai dit, c'etait un animal tres avise, et rien ne lui en imposait.
– Tenez, me dit-il une fois, le veilleur de nuit s'imagine etre un personnage parce que, quand il y a un incendie, il reveille toute la ville avec les fanfares qu'il tire de son cor; mais il ne sait absolument rien faire au monde que de sonner de la trompe. Tout cela, c'est de la soupe a la brochette. Je l'interrompis pour le prier de me donner la recette de ce mets:
– Comment! dit-il, vous ne savez pas que c'est une facon de parler inventer par les hommes? Chacun la prend plus ou moins dans son sens; mais au fond ce n'est que l'equivalent de rien du tout.
– Bien! m'ecriai-je frappee de cette explication. Ce que vous dites la aneantit toutes mes illusions sur cette fameuse soupe; mais apres tout, c'est bien la verite, et la verite est ce qu'il y a de plus precieux au monde. Et je quittai la tour et je me hatai de revenir parmi vous, vous apportant non pas la soupe, mais quelque chose de bien plus estimable, la verite. Les souris, me disais-je, passent avec raison pour une race eclairee; et notre roi, renomme pour son esprit, sera enchante de posseder la verite, et il me fera reine.
– Ta verite n'est que mensonge! s'ecria la troisieme souris qui n'avait pas eu son tour de parole. Je sais preparer la soupe, vous allez le voir de vos yeux.
V La merveilleuse recette
Moi, continua la troisieme souris, je ne suis pas allee chercher des renseignements a l'etranger; je suis restee dans notre pays, qui en vaut bien un autre et ou l'on trouve tout ce qu'on veut. J'ai tout tire de mon propre fonds, de mes longues reflexions. Voici ce que j'ai trouve: Placez une marmite sur le feu; bien. Versez-y de l'eau, encore plus, tout plein jusqu'au bord. Voyons maintenant, activez bien le feu. Du bois, du charbon: il faut que cela cuise a gros bouillons. C'est cela! Le moment est venu. Jetez-y la brochette. Dans cinq minutes ce sera pret. Il ne manque plus qu'une chose. Que notre gracieux souverain daigne remuer le liquide bouillant avec son auguste queue, pendant deux minutes au moins; mais, pour que le regal soit parfait, il faut bien tourner une minute de plus.
– Faut-il que ce soit justement ma queue? demanda le roi.
– Oui, sire! repondit la souris. Les queues de vos sujets n'ont pas cette vertu unique dont est douee celle de Votre Majeste! L'eau continuait a bouillonner bruyamment. Le roi s'approcha de la marmite avec l'air le plus digne et le plus courageux qu'il put prendre, et etendit sa queue en rond, comme quand les souris ecrement un pot a lait, pour ensuite lecher leur queue. Mais a peine eut-il ressenti la chaleur et la vapeur, qu'il sauta en bas du foyer et s'ecria:
– Oui, c'est bien cela! c'est la vraie recette. Tu seras la reine. Quant a la soupe, nous la preparerons une autre fois, quand nous celebrerons nos noces d'or. Alors, en l'honneur de ce beau jour, nous en regalerons a gogo tous nos pauvres pendant une semaine. Et le mariage fut aussitot celebre en grande pompe. Lorsque tout fut mange et bu, et que chacun s'en retourna chez soi, plusieurs souris, entre autres les amies et parentes des trois evincees, marmottaient entre elles:
– Ce n'est pas la du tout de la soupe a la brochette; c'est de la soupe a la queue de souris. Quant aux recits qu'elles avaient entendus, elles trouvaient telle aventure interessante, telle autre insipide et mal racontee. De meme, lorsque l'histoire se repandit dans le monde, les avis furent tres partages; les uns la declaraient amusante, d'autres n'y voyaient que des fadaises. Enfin la voila telle quelle: la critique, en general, n'est que de la soupe a la brochette.