Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (читать книги онлайн полностью .txt) 📗
– Tout plaisir est mele de quelque peine, dit le roi; la pauvre petite aura peri. Puis il donna l'ordre de convoquer, dans une vaste cuisine, toutes les souris a bien des lieues a la ronde. Les trois souricelles etaient placees a part, sur le meme rang; a cote d'elles, une brochette recouverte d'un voile noir, en souvenir de la quatrieme, qui n'avait pas reparu. Il fut ordonne que personne ne pourrait emettre un avis sur ce qui allait se dire, avant que le roi eut exprime son opinion.
Je commencai par m'embarquer sur un navire qui vogua vers le nord. Je m'etai laisse dire que le maitre queux etait un habile homme, qui savait se tirer d'affaire, et que sur mer, en effet, il fallait pouvoir faire la cuisine avec peu de chose.» Peut-etre, m'etais-je dit, sera-t-il oblige de faire la soupe avec une brochette; nous verrons alors comme il s'y prendra.» Mais, pas du tout; il y avait la quantite de tranches de lard, de gros tonneaux de viande salee et de belle farine. Ma foi, je vecus dans l'abondance; il ne fut pas question de faire de la soupe a la brochette. Nous naviguames bien des nuits et des jours; le navire dansait effroyablement. Enfin nous arrivames a destination, tout a l'extreme nord. Je quittai le navire et m'elancai a terre. Je vis devant moi de grandes et epaisses forets de sapins et de bouleaux; une forte odeur de resine s'en degageait. D'abord je crus que cela sentait le saucisson; je me precipitai vers le bois; mais tout ce que j'y gagnai, ce fut un rude eternuement. En m'avancant, je trouvai de grands lacs. De loin, on croyait que c'etait une immense mare d'encre; mais, de pres, l'eau en etait claire et limpide. Une troupe de cygnes s'y tenait immobile. D'abord je pensai que c'etait un amas d'ecume; mais ils sortirent de l'eau, et je les reconnus. Moi, je me tins aux betes de mon espece. Je me liai avec des souris des champs et des bois; mais elles ne savent pas grand-chose, surtout en matiere d'art culinaire. Lorsque je leur parlai de la soupe a la brochette elles declarerent que la chose etait une pure impossibilite; je vis bien qu'elles ne connaissaient pas le secret que je poursuivais. Mais elles m'apprirent pourquoi l'odeur etait si forte dans la foret, pourquoi plantes et fleurs etaient si aromatiques. Nous etions au mois de mai, en plein printemps. Pres de la lisiere de la foret, s'elevait une grande perche, haute comme le mat d'un navire; tout en haut, des couronnes de fleurs, des rubans de couleur etaient attaches: c'etait l'arbre de mai. Les garcons de ferme et les servantes dansaient autour, au son d'un violon qu'ils accompagnaient en chantant a tue-tete. J'allai me blottir a l'ecart, dans une touffe de belle mousse bien douce; la lune donnait en plein sur ce tapis vert, couleur qui repose les yeux quand on les a fatigues. Tout a coup je vis surgir autour de moi toute une troupe de charmantes petites creatures; elles etaient conformees comme des hommes, mais mieux proportionnees. C'etaient des elfes: ils portaient de magnifiques habits, tailles dans les feuilles des plus belles fleurs, garnis avec les ailes des plus brillants scarabees; c'etait une delicieuse variete de couleurs. Ils avaient tous l'air de chercher quelque chose dans l'herbe; quelques-uns s'approcherent de moi.
– Voila juste ce qu'il nous faut, dit un des plus gentils de ces elfes, en montrant ma brochette, que je tenais dans ma patte. Et, plus il regardait mon baton de voyage, plus il en paraissait enchante.
– Je veux bien le preter, dis-je, mais il faudra me le rendre.
– Rendre! rendre! s'ecrierent-ils en choeur. Et ils saisirent la brochette, que je leur abandonnai. Ils s'en allerent en dansant vers un endroit ou la mousse n'etait pas trop touffue. La ils ficherent en terre ma brochette. Maintenant je compris ce qu'ils voulaient: c'etait d'avoir aussi leur arbre de mai. Ils se mirent a le decorer; jamais je ne vis pareille magnificence. Des petites araignees vinrent couvrir le petit baton de fils d'or, et y suspendirent des bannieres finement tissees, qui volaient au vent; au clair de la lune, la blancheur en etait si resplendissante, que j'en eus les yeux eblouis. Puis ces industrieuses bestioles allerent prendre les couleurs les plus eclatantes aux ailes des papillons endormis, et vinrent en barioler leurs charmants tissus. Quelques petales de fleurs, quelques gouttes de rosee qui brillaient comme des diamants, furent places ca et la avec gout. Je ne reconnaissais plus ma brochette; jamais il n'y eut sur cette terre d'arbre de mai comparable a celui-la. On alla querir les elfes pour qui on avait prepare toutes ces merveilles, les seigneurs et les belles dames; ceux que j'avais d'abord vus n'etaient que des serviteurs. On m'invita a m'approcher pour jouir de la fete, mais pas trop pres, car, en remuant, j'aurais pu ecraser de mon poids quelqu'un de la societe. Les danses commencerent. Quelle delicieuse musique j'entendis alors! A travers tout le bois resonnaient des chants d'oiseaux. C'etait un son plein et harmonieux, et fort comme celui d'un millier de cloches de verre. Le tout etait accompagne du doux susurrement des branches d'arbre; je distinguai aussi le tintement des clochettes bleues qui etaient suspendues a ma brochette, qui, elle-meme, frappee avec une tige de fleur par un des elfes, rendait le son le plus melodieux. Jamais je n'aurais cru la chose possible. Ce petit baton devenait un instrument de musique: tout depend de la facon dont on s'y prend. J'etais transportee, touchee jusqu'aux larmes; quoique je ne sois qu'une petite souris, j'ai la sensibilite vive, et je pleurai de joie. Que la nuit me parut courte! Mais en cette saison, il n'y a pas a dire, le soleil se leve de bon matin. A l'aurore vint un coup de vent, qui emporta dans les airs toute cette splendide decoration de l'arbre de mai; encore un instant, et tout cela disparut. Six elfes vinrent poliment me rapporter ma brochette, me remerciant beaucoup, et ils demanderent si, en retour du service que je leur avais rendu, je ne voulais pas exprimer un voeu; que, s'il etait en leur pouvoir de l'accomplir, ils le feraient bien volontiers. Je saisis la balle au bond, et je les priai de me dire comment se prepare la soupe a la brochette.
– Mais tu viens de le voir, repondit le chef de la bande. Tu ne reconnaissais plus ton petit baton; tu as bien vu tout le parti que nous en avons tire.
– Mais je ne parle pas an figure, repliquai-je. C'est d'une veritable soupe qu'il s'agit. Et je leur contai toute l'histoire.
– Vous voyez bien, ajoutai-je, que le roi des souris ni son puissant empire ne sauraient tirer aucun profit de toutes les belles choses dont vous avez orne ma brochette, meme si je pouvais les reproduire; ce serait un charmant spectacle, mais bon seulement pour le dessert, quand on n'a plus faim. Alors le petit elfe plongea son petit doigt dans le calice d'une violette et le promena ensuite sur la brochette:
– Fais attention, dit-il. Quand tu seras de retour aupres de ton roi, touche son museau de ton baton, sur lequel tu verras eclore, meme au plus froid de l'hiver, les plus belles violettes. Comme cela je t'aurai au moins fait un petit don en recompense de ta complaisance, et meme j'y ajouterai encore quelque chose. A ces mots, la souricelle approcha la brochette de l'auguste museau de son souverain et, en effet, le petit baton se trouva entoure du plus joli bouquet de violettes; c'etait une odeur delicieuse; mais elle n'etait pas du gout de la gent souriciere, et le roi ordonna aux souris qui etaient pres du foyer de mettre leurs queues sur les restes du feu, pour remplacer cette fade senteur, bonne, dit-il, pour les hommes tout au plus, par une agreable odeur de roussi.
– Mais, dit alors le roi, le petit elfe n'avait-il pas promis encore autre chose?
– Oui, repondit la souris, il a tenu parole. C'est encore une jolie surprise du plus bel effet: «Les violettes, dit-il, c'est pour la vue et l'odorat, je vais maintenant t'accorder quelque chose pour l'ouie.» Et la souris retourna sa brochette. Les fleurs avaient disparu; il ne restait plus que le petit morceau de bois. Elle se mit a le mouvoir comme un baton de chef d'orchestre et a battre la mesure. Dieu! quelle drole de musique on entendit! Ce n'etaient plus les sons divins qui avaient retenti dans la foret pour le bal des elfes; c'etaient tous les bruits imaginables qui peuvent se produire dans une cuisine. Les souris etaient tout oreille. On entendait le petillement des sarments, le ronflement du four, le bouillonnement de la soupe, le crepitement de la graisse, le bruit continu d'une piece de viande qui rotit et se rissole. Soudain on aurait dit qu'un coup de vent venait d'activer le feu, de facon que pots et casseroles deborderent, et ce qui en tomba sur les charbons fit un grand tintamarre. Puis plus rien, silence complet. Peu a peu commenca un leger bruit, comme un chant doux et plaintif; c'est la bouilloire qui s'echauffe: le son devient plus fort, l'eau entre en ebullition. C'est de nouveau un bacchanal produit par une douzaine de casseroles, les unes en majeur, les autres en mineur. La petite souris brandit son baton avec une rapidite de plus en plus grande: les pots ecument, jettent de gros bouillons qui produisent un gargouillement bruyant; tout deborde, tout se sauve, c'est comme un sifflement infernal. Puis un nouveau coup de vent passe par la cheminee. Hou! hah! quel fracas! La petite souris, effrayee, laisse tomber son baton. On n'entend plus rien.