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Les Sept Femmes De La Barbe-Bleue Et Autres Contes Merveilleux - France Anatole (смотреть онлайн бесплатно книга .txt) 📗

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V

«Il crut dans un quart d’heure, tout autour du parc, une si grande quantite de grands arbres et de petits, de ronces et d’epines entre lacees les unes dans les autres, que bete ni homme n’y auraient pu passer; en sorte qu’on ne voyait plus que le haut des tours du chateau; encore n’etait-ce que de bien loin.» (Contes de Perrault, pp. 87- 88.)

Une fois, deux fois, trois fois, cinquante, soixante, octante, nonante et cent fois Uranie referma l’anneau du Temps, et la Belle avec sa cour et Boulingrin aupres de la duchesse sur la banquette de l’antichambre dormaient encore.

Soit qu’on regarde le temps comme un mode de la substance unique, soit qu’on le definisse une des formes du moi sentant ou un etat abstrait de l’exteriorite immediate, soit qu’on en fasse purement une loi, un rapport resultant du processus des choses reelles, nous pouvons affirmer qu’un siecle est un certain espace de temps.

VI

Chacun sait la fin de l’enchantement et comment, apres cent cycles terrestres, un prince favorise par les fees traversa le bois enchante et penetra jus qu’au lit ou dormait la princesse. C’etait un principicule allemand qui avait une jolie moustache et des hanches orbiculaires et dont, aussitot reveillee, elle tomba ou plutot se leva amoureuse et qu’elle suivit dans sa petite principaute avec une telle precipitation qu’elle n’adressa pas meme une parole aux personnes de sa maison qui avaient dormi cent ans avec elle.

Sa premiere dame d’honneur en fut touchee et s’ecria avec admiration;

– Je reconnais le sang de mes rois.

Boulingrin se reveilla au cote de la duchesse de Cicogne en meme temps que la dauphine et toute sa maison. Comme il se frottait les yeux:

– Boulingrin, lui dit sa belle amie, vous avez dormi.

– Non pas, repondit-il, non pas, chere madame.

Il etait de bonne foi. Ayant dormi sans reves, il ne s’apercevait pas qu’il avait dormi.

– J’ai, dit-il, si peu dormi que je puis vous repeter ce que vous venez de dire a la seconde.

– Eh bien, qu’est-ce que je viens de dire?

– Vous venez de dire: «Je soupconne ici une sombre intrigue…»

Toute la petite Cour fut congediee aussitot que reveillee; chacun dut pourvoir selon ses moyens a sa refection et a son equipement.

Boulingrin et Cicogne louerent au regisseur du chateau une guimbarde du dix-septieme siecle, attelee d’un canasson deja fort vieux quand il s’etait endormi d’un sommeil seculaire, et se firent conduire a la gare des Eaux-Perdues, ou ils prirent un train qui les mit en deux heures dans la capitale du royaume. Leur surprise etait grande de tout ce qu’ils voyaient et de tout ce qu’ils entendaient. Mais, au bout d’un quart d’heure, ils eurent epuise leur etonnement et rien ne les emerveilla plus. Eux-memes ils n’interessaient personne. On ne comprenait absolument rien a leur histoire; elle n’eveillait aucune curiosite, car notre esprit ne s’attache ni a ce qui est trop clair ni a ce qui est trop obscur pour lui. Boulingrin, comme on peut croire, ne s’expliquait pas le moins du monde ce qu’il lui etait arrive. Mais, quand la duchesse lui disait que tout cela n’etait point naturel, il lui repondait:

– Chere amie, permettez-moi de vous dire que vous avez une bien mauvaise physique. Rien n’est qui ne soit naturel.

Il ne leur restait plus ni parent, ni amis, ni biens. Ils ne purent retrouver l’emplacement de leur demeure. Du peu d’argent qu’ils avaient sur eux, ils acheterent une guitare et chanterent dans les rues. Ils gagnerent ainsi de quoi manger. Cicogne jouait a la manille, la nuit, dans les cabarets, tous les sous qu’on lui avait jetes dans la journee et, pendant ce temps, Boulingrin, devant un saladier de vin chaud, expliquait aux buveurs qu’il est absurde de croire aux fees.

LA CHEMISE

C’etait un jeune berger nonchalamment etendu sur l’herbe de la prairie et charmant sa solitude aux sons du chalumeau… On lui avait enleve de force ses habits, mais… (Grand Dictionnaire de Pierre Larousse, article CHEMISE; t. IV, p.5; col. 4.)

I LE ROI CHRISTOPHE, SON GOUVERNEMENT, SES MURS, SA MALADIE

Christophe V n’etait pas un mauvais roi. Il observait exactement les regles du gouvernement parlementaire et ne resistait jamais aux volontes des Chambres. Cette soumission ne lui coutait pas beaucoup, car il s’etait apercu que, s’il y a plusieurs moyens d’arriver au pouvoir, il n’y en a pas deux de s’y maintenir ni deux facons de s’y comporter, que ses ministres, quels que fussent leur origine, leurs principes, leurs idees, leurs sentiments, gouvernaient tous d’une seule et meme facon et que, en depit de certaines divergences de pure forme, ils se repetaient les uns les autres avec une exactitude rassurante. Aussi portait-il sans hesitation aux affaires tous ceux que les Chambres lui designaient, preferant toutefois les revolutionnaires comme plus ardents a imposer leur autorite.

Pour sa part, il s’occupait surtout des affaires exterieures. Il faisait frequemment des voyages diplomatiques, dinait et chassait avec les rois ses cousins et se vantait d’etre le meilleur ministre des affaires etrangeres qu’on put rever. A l’interieur, il se soutenait aussi bien que le permettait le malheur des temps. Il n’etait ni tres aime ni tres estime de son peuple, ce qui lui assurait l’avantage precieux de ne jamais donner de deceptions. Exempt de l’amour public, il n’etait point menace de l’impopularite assuree a quiconque est populaire.

Son royaume etait riche. L’industrie et le commerce y florissaient sans toutefois s’etendre de facon a inquieter les nations voisines. Ses finances surtout commandaient l’admiration. La solidite de son credit semblait inebranlable; les financiers en parlaient avec enthousiasme, avec amour et les yeux mouilles de larmes genereuses. Quelque honneur en rejaillissait sur le roi Christophe.

Le paysan le rendait responsable des mauvaises recoltes; mais elles etaient rares. La fertilite du sol et la patience des laboureurs faisaient ce pays abondant en fruits, en bles, en vins, en troupeaux. Les ouvriers des usines, par leurs revendications continues et violentes effrayaient les bourgeois qui comptaient sur le roi pour les proteger contre la revolution sociale, les ouvriers de leur cote, ne pouvaient point le renverser, car ils etaient les plus faibles, et n’en avaient guere envie, ne voyant pas ce qu’ils gagneraient a sa chute. Il ne les soulageait point ni ne les opprimait davantage afin qu’ils fussent toujours une menace et jamais un danger.

Ce prince pouvait compter sur l’armee: elle avait un bon esprit. L’armee a toujours un bon esprit; toutes les mesures sont prises pour qu’elle le garde; c’est la premiere necessite de l’Etat. Car, si elle le perdait, le gouvernement serait aussitot renverse. Le roi Christophe protegeait la religion. A vrai dire, il n’etait pas devot et, pour ne point penser contrairement a la foi, il prenait l’utile precaution de n’en examiner jamais aucun article. Il entendait la messe dans sa chapelle et n’avait que des egards et des faveurs pour ses eveques, parmi lesquels se trouvaient trois ou quatre ultramontains qui l’abreuvaient d’outrages. La bassesse et la servilite de sa magistrature lui inspiraient un insurmontable degout. Il ne concevait pas que ses sujets pussent supporter une si injuste justice; mais ces magistrats achetaient leur honteuse faiblesse envers les forts par une inflexible durete a l’egard des faibles. Leur severite rassurait les interets et commandait le respect.

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