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Les Sept Femmes De La Barbe-Bleue Et Autres Contes Merveilleux - France Anatole (смотреть онлайн бесплатно книга .txt) 📗

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– On peut citer, dit M. Gerberoy, Brunhild, qui, piquee par une epine, s endormit et fut reveillee par Sigurd.

– Il y a aussi Guenillon, dit madame la duchesse de Cicogne, premiere dame de la reine.

Et elle fredonna:

Il m’envoya-t au bois

Pour cueillir la nouzille.

Le bois etait trop haut,

La belle trop petite.

Le bois etait trop haut,

La belle trop petite.

Elle se mit en main

Une tant verte epine.

Elle se mit en main

Une tant verte epine.

A la douleur du doigt

La belle s’est endormie

– A quoi pensez-vous, Cicogne, dit la reine? Vous chantez?

– Que Votre Majeste me pardonne, repondit la duchesse. C’est pour conjurer le sort.

Le roi fit publier un edit par lequel il defendait a toutes personnes de filer au fuseau ni d’avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort. Chacun obeit. On disait encore dans les campagnes «Le fuseau doit suivre le hoyau», mais c’etait par habitude, les fuseaux avaient couru.

III

Le Premier ministre qui, sous le faible roi Cloche, gouvernait la monarchie, M. de la Rochecoupee, respectait les croyances populaires, que tous les grands hommes d’Etat respectent. Cesar etait pontife maxime; Napoleon se fit sacrer par le pape; M. de la Rochecoupee reconnaissait la puissance des fees. Il n’etait point sceptique; il n’etait point incredule. Il n’arguait pas de faux l’oracle des sept marraines. Mais, n’y pouvant rien, il ne s’en inquietait point. C’etait son caractere de ne pas se soucier des maux auxquels il ne savait remedier. Du reste l’evenement annonce n’etait pas, selon toute apparence, imminent. M. de la Rochecoupee avait les vues d’un homme d’Etat, et les hommes d’Etat ne voient jamais au-dela du moment present. Je parle des plus perspicaces et des plus penetrants. Enfin, a supposer qu’un jour ou l’autre, la fille du roi s’endormit pour un siecle, ce n’etait a ses yeux qu’une affaire de famille, puisque la loi salique excluait les femmes du trone.

Il avait, comme il le disait, bien d’autres chats a fouetter. La banqueroute, la hideuse banque route, etait la, menacant de consumer les biens et l’honneur de la nation. La famine sevissait dans le royaume et des millions de malheureux mangeaient du platre au lieu de pain. Cette annee-la, le bal de l’Opera fut tres brillant et les masques plus beaux que de coutume.

Les paysans, les artisans, les gens de boutique et les filles de theatre s’affligeaient a l’envi de la malediction fatale qu’Alcuine avait donnee a l’innocente princesse. Au contraire les seigneurs de la Cour et les princes du sans royal s’y montraient fort indifferents. Et il y avait partout des hommes d’affaires et des hommes de science qui ne croyaient point a l’arret des fees, pour cette raison qu’ils ne croyaient pas aux fees.

Tel etait M. de Boulingrin, secretaire d’Etat aux Finances. Ceux qui se demanderont comment il pouvait n’y pas croire puisqu’il les avait vues, ignorent jusqu’ou peut aller le scepticisme dans un esprit raisonneur. Nourri de Lucrece, imbu des doctrines d’Epicure et de Gassendi, il impatientait souvent M. de la Rochecoupee par l’etalage d’un froid afeisme.

– Si ce n’est pour vous soyez croyant pour le public, lui disait le Premier ministre. Mais, en verite, il y a des moments ou je me demande, mon cher Boulingrin, qui de nous deux est le plus credule a l’endroit des fees. Je n’y pense jamais et vous en parlez toujours.

– M. de Boulingrin aimait tendrement madame la duchesse de Cicogne, femme de l’ambassadeur a Vienne, premiere dame de la reine, qui appartenait a la plus haute aristocratie du royaume, femme d’esprit, un peu seche, un peu regardante et qui perdait au pharaon ses revenus, ses terres et sa chemise. Elle avait des bontes pour M. de Boulingrin et ne se refusait pas a un commerce auquel elle n’etait point portee par temperament, mais qu’elle estimait convenable a son rang et utile a ses interets. Leur liaison etait formee avec un art qui revelait leur bon gout et l’elegance des m?urs regnantes; cette liaison s’avouait, depouillant par son aveu toute basse hypocrisie, et se montrait en meme temps si reservee, que les plus severes n’y voyaient rien a redire.

Pendant le temps que la duchesse passait chaque annee sur ses terres, M. de Boulingrin logeait dans un vieux pigeonnier separe du chateau de son amie par un chemin creux qui longeait une mare ou les grenouilles jetaient, la nuit, dans les joncs, leurs cris assidus.

Or, un soir, tandis que les derniers reflets du soleil teignaient d’une couleur de sang les eaux croupies, le secretaire d’Etat aux Finances vit, au carrefour du chemin, trois jeunes fees qui dansaient en rond et chantaient:

Trois filles dedans un pre…

Mon c?ur vole.

Mon c?ur vole,

Mon c?ur vole a votre gre.

Elles l’enfermerent dans leur ronde et agiterent vivement autour de lui leurs formes minces et legeres. Leurs visages, dans le crepuscule, etaient obscurs et limpides; leurs chevelures brillaient comme des feux follets.

Elles repeterent:

Trois filles dedans un pre…

tant que, etourdi, pret a tomber, il demanda grace.

Alors la plus belle, ouvrant la ronde;

– Mes s?urs, donnez conge a monsieur de Boulingrin qui va-t-au chateau baiser sa belle.

Il passa sans avoir reconnu les fees, maitresses des destinees, et, quelques pas plus loin, il rencontra trois vieilles besacieres qui marchaient toutes courbees sur leurs batons et ressemblaient de visage a trois pommes cuites dans les cendres. A travers leurs haillons passaient des os plus recouverts de crasse que de chair. Leurs pieds nus allongeaient demesurement des doigts decharnes, semblables aux osselets d’une queue de b?uf.

Du plus loin qu’elles l’apercurent, elles lui firent des sourires et lui envoyerent des baisers; elles l’arreterent au passage, l’appelerent leur mignon, leur amour, leur c?ur, le couvrirent de caresses auxquelles il ne pouvait echapper, car, au premier mouvement qu’il faisait pour fuir, elles lui enfoncaient dans la chair les crochets aigus qui terminaient leurs mains.

– Qu’il est beau! qu’il est joli! soupiraient elles.

Avec une longue frenesie elles le sollicitent a les aimer. Puis, voyant qu’elles ne parviennent point a ranimer ses sens glaces d’horreur, elles l’accablent d’invectives, le frappent a coups redoubles de leurs bequilles, le renversent a terre, le foulent aux pieds et, quand il est accable, brise, moulu, perclus de tous ses membres, la plus jeune, qui a bien quatre-vingts ans, s’accroupit sur lui, se trousse et l’arrose d’un liquide infect. Il en est aux trois quarts suffoque; et tout aussitot les deux autres, remplacant la premiere, inondent le mal heureux gentilhomme d’une eau tout aussi puante. Enfin toutes trois s’eloignent en le saluant d’un «Bonsoir, mon Endymion! Au revoir, mon Adonis! Adieu, beau Narcisse!» et le laissent evanoui,

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