Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (читать книги онлайн полностью .txt) 📗
Tous en etaient enchantes et surtout le prince qui l'appelait sa petite enfant trouvee.
Elle continuait a danser et danser mais chaque fois que son pied touchait le sol. C'etait comme si elle avait marche sur des couteaux aiguises. Le prince voulut l'avoir toujours aupres de lui, il lui permit de dormir devant sa porte sur un coussin de velours.
Il lui fit faire un habit d'homme pour qu'elle put le suivre a cheval. Ils chevauchaient a travers les bois embaumes ou les branches vertes lui battaient les epaules, et les petits oiseaux chantaient dans le frais feuillage. Elle grimpa avec le prince sur les hautes montagnes et quand ses pieds si delicats saignaient et que les autres s'en apercevaient, elle riait et le suivait la-haut d'ou ils admiraient les nuages defilant au-dessous d'eux comme un vol d'oiseau migrateur partant vers des cieux lointains.
La nuit, au chateau du prince, lorsque les autres dormaient, elle sortait sur le large escalier de marbre et, debout dans l'eau froide, elle rafraichissait ses pieds brulants. Et puis, elle pensait aux siens, en bas, au fond de la mer.
Une nuit elle vit ses soeurs qui nageaient enlacees, elles chantaient tristement et elle leur fit signe. Ses soeurs la reconnurent et lui dirent combien elle avait fait de peine a tous. Depuis lors, elles lui rendirent visite chaque soir, une fois meme la petite sirene apercut au loin sa vieille grand-mere qui depuis bien des annees n'etait montee a travers la mer et meme le roi, son pere, avec sa couronne sur la tete. Tous deux lui tendaient le bras mais n'osaient s'approcher autant que ses soeurs.
De jour en jour, elle devenait plus chere au prince; il l'aimait comme on aime un gentil enfant tendrement cheri, mais en faire une reine! Il n'en avait pas la moindre idee, et c'est sa femme qu'il fallait qu'elle devint, sinon elle n'aurait jamais une ame immortelle et, au matin qui suivrait le jour de ses noces, elle ne serait plus qu'ecume sur la mer.
– Ne m'aimes-tu pas mieux que toutes les autres? semblaient dire les yeux de la petite sirene quand il la prenait dans ses bras et baisait son beau front.
– Oui, tu m'es la plus chere, disait le prince, car ton coeur est le meilleur, tu m'est la plus devouee et tu ressembles a une jeune fille une fois apercue, mais que je ne retrouverai sans doute jamais. J'etais sur un vaisseau qui fit naufrage, les vagues me jeterent sur la cote pres d'un temple desservi par quelques jeunes filles; la plus jeune me trouva sur le rivage et me sauva la vie. Je ne l'ai vue que deux fois et elle est la seule que j'eusse pu aimer d'amour en ce monde, mais toi tu lui ressembles, tu effaces presque son image dans mon ame puisqu'elle appartient au temple. C'est ma bonne etoile qui t'a envoyee a moi. Nous ne nous quitterons jamais.
«Helas! il ne sait pas que c'est moi qui ai sauve sa vie! pensait la petite sirene. Je l'ai porte sur les flots jusqu'a la foret pres de laquelle s'eleve le temple, puis je me cachais derriere l'ecume et regardais si personne ne viendrait. J'ai vu la belle jeune fille qu'il aime plus que moi.»
La petite sirene poussa un profond soupir. Pleurer, elle ne le pouvait pas.
– La jeune fille appartient au lieu saint, elle n'en sortira jamais pour retourner dans le monde, ils ne se rencontreront plus, moi, je suis chez lui, je le vois tous les jours, je le soignerai, je l'adorerai, je lui devouerai ma vie.
Mais voila qu'on commence a murmurer que le prince va se marier, qu'il epouse la ravissante jeune fille du roi voisin, que c'est pour cela qu'il arme un vaisseau magnifique… On dit que le prince va voyager pour voir les Etats du roi voisin, mais c'est plutot pour voir la fille du roi voisin et une grande suite l'accompagnera… Mais la petite sirene secoue la tete et rit, elle connait les pensees du prince bien mieux que tous les autres.
– Je dois partir en voyage, lui avait-il dit. Je dois voir la belle princesse, mes parents l'exigent, mais m'obliger a la ramener ici, en faire mon epouse, cela ils n'y reussiront pas, je ne peux pas l'aimer d'amour, elle ne ressemble pas comme toi a la belle jeune fille du temple. Si je devais un jour choisir une epouse ce serait plutot toi, mon enfant trouvee qui ne dis rien, mais dont les yeux parlent.
Et il baisait ses levres rouges, jouait avec ses longs cheveux et posait sa tete sur son coeur qui se mettait a rever de bonheur humain et d'une ame immortelle.
– Toi, tu n'as surement pas peur de la mer, ma petite muette cherie! lui dit-il lorsqu'ils monterent a bord du vaisseau qui devait les conduire dans le pays du roi voisin.
Il lui parlait de la mer tempetueuse et de la mer calme, des etranges poissons des grandes profondeurs et de ce que les plongeurs y avaient vu. Elle souriait de ce qu'il racontait, ne connaissait-elle pas mieux que quiconque le fond de l'ocean? Dans la nuit, au clair de lune, alors que tous dormaient a bord, sauf le marin au gouvernail, debout pres du bastingage elle scrutait l'eau limpide, il lui semblait voir le chateau de son pere et, dans les combles, sa vieille grand-mere, couronne d'argent sur la tete, cherchant des yeux a travers les courants la quille du bateau. Puis ses soeurs arriverent a la surface, la regardant tristement et tordant leurs mains blanches. Elle leur fit signe, leur sourit, voulut leur dire que tout allait bien, qu'elle etait heureuse, mais un mousse s'approchant, les soeurs replongerent et le garcon demeura persuade que cette blancheur apercue n'etait qu'ecume sur l'eau.
Le lendemain matin le vaisseau fit son entree dans le port splendide de la capitale du roi voisin. Les cloches des eglises sonnaient, du haut des tours on soufflait dans les trompettes tandis que les soldats sous les drapeaux flottants presentaient les armes.
Chaque jour il y eut fete; bals et receptions se succedaient mais la princesse ne paraissait pas encore. On disait qu'elle etait elevee au loin, dans un couvent ou lui etaient enseignees toutes les vertus royales.
Elle vint, enfin!
La petite sirene etait fort impatiente de juger de sa beaute. Il lui fallut reconnaitre qu'elle n'avait jamais vu fille plus gracieuse. Sa peau etait douce et pale et derriere les longs cils deux yeux fideles, d'un bleu sombre, souriaient. C'etait la jeune fille du temple…
– C'est toi! dit le prince, je te retrouve-toi qui m'as sauve lorsque je gisais comme mort sur la greve! Et il serra dans ses bras sa fiancee rougissante. Oh! je suis trop heureux, dit-il a la petite sirene. Voila que se realise ce que je n'eusse jamais ose esperer. Toi qui m'aimes mieux que tous les autres, tu te rejouiras de mon bonheur.
La petite sirene lui baisait les mains, mais elle sentait son coeur se briser. Ne devait-elle pas mourir au matin qui suivrait les noces? Mourir et n'etre plus qu'ecume sur la mer!
Des herauts parcouraient les rues a cheval proclamant les fiancailles. Bientot toutes les cloches des eglises sonnerent, sur tous les autels des huiles parfumees brulaient dans de precieux vases d'argent, les pretres balancerent les encensoirs et les epoux se tendirent la main et recurent la benediction de l'eveque.
La petite sirene, vetue de soie et d'or, tenait la traine de la mariee mais elle n'entendait pas la musique sacree, ses yeux ne voyaient pas la ceremonie sainte, elle pensait a la nuit de sa mort, a tout ce qu'elle avait perdu en ce monde.
Le soir meme les epoux s'embarquerent aux salves des canons, sous les drapeaux flottants.
Au milieu du pont, une tente d'or et de pourpre avait ete dressee, garnie de coussins moelleux ou les epoux reposeraient dans le calme et la fraicheur de la nuit.
Les voiles se gonflerent au vent et le bateau glissa sans effort et sans presque se balancer sur la mer limpide. La nuit venue on alluma des lumieres de toutes les couleurs et les marins se mirent a danser.
La petite sirene pensait au soir ou, pour la premiere fois, elle avait emerge de la mer et avait apercu le meme faste et la meme joie. Elle se jeta dans le tourbillon de la danse, ondulant comme ondule un cygne pourchasse et tout le monde l'acclamait et l'admirait: elle n'avait jamais danse si divinement. Si des lames aigues transpercaient ses pieds delicats, elle ne les sentait meme pas, son coeur etait meurtri d'une bien plus grande douleur. Elle savait qu'elle le voyait pour la derniere fois, lui, pour lequel elle avait abandonne les siens et son foyer, perdu sa voix exquise et souffert chaque jour d'indicibles tourments, sans qu'il en eut connaissance. C'etait la derniere nuit ou elle respirait le meme air que lui, la derniere fois qu'elle pouvait admirer cette mer profonde, ce ciel plein d'etoiles.