Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
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C'etait une toute petite maison, modeste sous son toit de chaume delave. Pour ne pas risquer de faire peur aux habitants, Gauthier et Catherine laisserent leurs montures attachees a un arbre et grimperent a pied le raidillon qui menait jusqu'a la porte. Le bruit de leurs pas attira au seuil une vieille paysanne en coiffe jaune, qui tenait a la main une quenouille enveloppee d'osier. Elle devait etre tres agee car elle etait toute voutee et, de sa main libre, s'appuyait sur un baton de cornouiller, mais les yeux qu'elle leva sur les arrivants etaient demeures jeunes et percants : deux fleurs de pervenche dans un visage tanne, tout etoile de rides.
— N'ayez pas peur, bonne mere, dit Gauthier en adoucissant sa voix autant qu'il le pouvait, nous ne vous voulons aucun mal.
Seulement un renseignement.
— Entrez, mes beaux seigneurs, la maison vous est ouverte.
— Nous ne voulons pas vous deranger, dit a son tour Catherine, et nous avons peu de temps.
Tout en parlant, elle se detournait, regardait le paysage etendu a ses pieds. En effet, au-dela de la ligne noire des arbres, on apercevait les ruines de la leproserie. Du geste, elle les designa.
— Savez-vous ce qui s'est passe la-bas ?
La terreur se peignit sur le visage de la vieille qui se signa plusieurs fois et marmotta des paroles indistinctes, puis :
— C'est un lieu maudit... Il ne faut pas en parler, cela porte malheur.
— Cela depend, reprit Catherine en tirant une piece d'or qu'elle fit briller au soleil couchant avant de la glisser dans la main crochue de la vieille. Parlez, bonne mere, et vous en aurez une autre.
La vieille, l'?il incredule, commenca par mordre la piece pour s'assurer de sa valeur.
— De l'or ! dit-elle. Du bel et bon or ! Voila bien longtemps que je n'en ai vu. Que voulez-vous savoir, mon jeune damoiseau ?
— Quand la maladrerie a-t-elle brule ?
Malgre l'or, la vieille detourna la tete avec une visible repugnance a parler. Elle hesita, serra sa main ridee sur la piece et, enfin, se decida :
— Dans la nuit de jeudi, les lepreux sont devenus fous. Il faut dire... le moine qui les gardait et veillait sur eux... un saint !... est mort la veille de la piqure d'une vipere ; quel vacarme ils ont fait ! Tout le jour, on les a entendus pleurer, hurler... comme des demons ! .
« Les montagnes en tremblaient. C'etait comme si l'enfer s'etait ouvert d'un seul coup... Les gens du village ont eu peur. Ils ont cru que les lepreux allaient sortir, les attaquer.
« Ils ont couru a Carlat demander du secours. Alors les hommes d'armes sont venus... »
Elle s'arreta, jetant sur les ruines des regards encore effrayes de ce qu'ils avaient vu. De nouveau elle se signa.
— Alors ? demanda Catherine haletante.
—
Ils .sont arrives a la nuit, continua la vieille d'une voix qui faiblissait. Les lepreux criaient toujours leur douleur... C'etait affreux. Mais apres... c'a ete pire !
Catherine se sentait defaillir. Elle s'assit sur un banc de pierre place contre la chaumiere et essuya de sa manche la sueur qui lui coulait du front.
— Par pitie... Achevez !
—
Les hommes d'armes etaient des soudards, de vrais barbares, lanca la vieille avec une soudaine violence. Ils ont barricade le portail de la maladrerie... et puis ils ont mis le feu.
Un double cri d'horreur lui repondit. Catherine, frappee au c?ur, s'etait laissee aller contre le mur.
— Arnaud ! gemit-elle... Mon Dieu !
La vieille etait lancee, elle poursuivit avec une sorte de rage :
—
Les soldats etaient ivres parce que les gens du village les avaient fait boire pour qu'ils aient le courage d'aller jusqu'a la maladrerie. Ils hurlaient qu'il fallait detruire ce nid de reprouves...
que le val devait etre purifie... Toute la nuit, cela a brule. Mais, avant la minuit, on n'entendait plus crier... rien que le ronflement des flammes.
Elle se tut enfin et il etait temps. Catherine defaillait.
Gauthier, vivement, se pencha vers elle, la prit sous le bras.
— Venez, dit-il doucement... Nous allons partir...
Mais, presque insensible, elle demeurait inerte. La vieille la regardait avec curiosite.
—
Le jeune seigneur semble souffrir. Connaissait-il l'un de ces malheureux ?
—
Le jeune seigneur est une femme, repliqua Gauthier brievement. Elle connaissait... en effet, l'un d'eux.
Catherine n'entendait plus rien. Son corps lui semblait fait de pierre et, dans sa tete vide, une seule pensee sonnait comme un battant de cloche.
— Il est mort ! Ils me l'ont tue !
Elle avait tout oublie de ce que lui avait dit Gauthier. Il n'y avait plus, devant ses yeux qui ne voyaient rien, qu'un brasier flambant dans la nuit. Et son c?ur lui faisait mal comme si des griffes de fer tentaient de l'arracher de sa poitrine.
La vieille, silencieusement, etait rentree dans sa maison. Elle en ressortit portant une ecuelle.
— Tenez, pauvre dame, dit-elle, buvez ca. Ce sont des herbes macerees dans du vin. Cela vous fera du bien.
Catherine but, se sentit un peu mieux et voulut se lever, mais la vieille s'interposa.
— Non, restez. La nuit vient et les chemins ne sont pas surs. Si personne ne vous attend, restez jusqu'au matin... J'ai peu de choses a vous offrir, mais je l'offre simplement.
Gauthier consulta seulement le visage pale de la jeune femme qui paraissait ne se soutenir qu'a peine. Elle etait incapable de retourner a Montsalvy cette nuit.
— Nous resterons, dit-il simplement. Merci a vous.
Toute la nuit, Gauthier la passa au chevet du matelas de paille sur lequel Catherine, etendue, cherchait en vain le sommeil. Toute la nuit il essaya de faire passer dans l'ame meurtrie de la jeune femme la confiance qui habitait la sienne. Il redit, il repeta sans se lasser, toujours les memes choses. Catherine n'avait pas vu de fantome. Elle avait vu Arnaud lui-meme, echappe sans doute a l'incendie avec l'aide de Fortunat... et les deux hommes avaient du fuir en prenant les chevaux. Mais elle ne voulait plus le croire. Arnaud n'avait aucune raison de fuir Montsalvy. La, il pouvait, au moins, chercher refuge chez Saturnin qui, malgre la peur du mal, l'eut accueilli... Non, retorquait Gauthier, le maitre craignait trop de contaminer les siens.
S'il avait approche sa mere, c'est parce qu'il la savait mourante... et Fortunat, peut- etre, l'avait conduit a une autre maladrerie. On disait que, vers Conques, il en existait une...
— Ne desesperez pas, dame Catherine... Nous allons rentrer a Montsalvy et, dans quelques jours, vous verrez revenir Fortunat.
Croyez-moi.
— Je voudrais bien te croire, soupirait Catherine, mais je n'ose pas. Tant de fois, j'ai ete decue.
— Je sais. Mais avec du courage, de l'obstination, on peut venir a bout de l'adversite. Un jour, dame Catherine, vous aussi...
— Non. Ne dis plus rien. J'essayerai d'etre raisonnable...
J'essayerai de te croire...
Mais elle n'y parvenait pas. Le jour levant la trouva aussi abattue, aussi desesperee. Elle remercia genereusement la vieille paysanne de son hospitalite puis, dans une gloire de soleil qui blessait a la fois ses yeux las et son c?ur lourd, elle reprit avec Gauthier le chemin de Montsalvy.
Du magnifique paysage de la vallee de la Truyere avec ses vertes pentes boisees Catherine ne vit rien. Elle chevauchait, le dos rond, les yeux mi-clos, trainant son c?ur comme un boulet. La vision de l'autre nuit l'avait tellement persuadee de la mort d'Arnaud que le monde entier, tout a coup, avait perdu sa couleur. Elle ne voyait ni l'exuberante verdure des arbres, ni les fleurs des champs, ni les haies fleuries, ni l'eclat du soleil. C'etait comme si quelque chose etait mort en elle. Son esprit vide ne trouvait meme plus une priere pour implorer du ciel un secours quelconque. A deux doigts du blaspheme, Catherine ne pensait a Dieu que pour l'accuser d'injuste cruaute. De quel prix ne lui faisait-il pas payer chacune des faveurs qu'il lui accordait si parcimonieusement ?