Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
— Tu l'as tuee ? balbutia-t-elle eperdue.
— Elle s'est tuee elle-meme... Je n'ai pas vraiment voulu frapper.
La dague s'est enfoncee seule.
Un instant, ils demeurerent la, face a face, avec ce cadavre entre eux deux. Arnaud tendit la main a sa femme :
— Viens !... Il faut tenter de fuir ! Les eunuques ont du donner l'alarme. Notre seule chance etait d'atteindre le passage secret avant d'etre rejoints.
Sans hesiter, elle mit sa main dans la paume tendue, se laissa entrainer a travers les massifs de fleurs et de feuilles. Mais il etait deja trop tard. Arnaud avait raison : leur chance etait de contraindre Zobeida a leur montrer le passage secret. Maintenant, l'instant etait passe. Le jour venait et, en meme temps, le jardin s'eveillait. Aux quatre horizons, des pas, des appels se faisaient entendre. Le couple, cerne, hesita un instant sur la route a suivre.
— Il est trop tard ! murmura Arnaud. Nous n'avons pas le temps de courir vers le mur de la ville haute. Regarde !...
De tous cotes surgissaient des eunuques, avec leurs sinistres sabres courbes aux lames desquels le soleil levant arrachait des eclairs.
Derriere le rideau d'arbustes ou les deux Montsalvy avaient laisse le cadavre de Zobeida, des cris aigus s'elevaient, les « You !... You !... »
de desespoir oblige des servantes et des esclaves.
— Nous sommes perdus ! constata calmement Arnaud. Il nous reste seulement a savoir bien mourir.
— Si je demeure avec toi, je crois que je saurai mourir, fit Catherine en serrant plus fort la main de son epoux. Ce n'est pas la premiere fois que nous regarderons, ensemble, la mort en face.
Rappelle-toi Rouen...
— Je n'ai pas oublie ! repondit Arnaud avec un fugitif sourire.
Mais, ici, il n'y a pas de Jean Son pour venir a notre secours !...
— Il y a Abou-al-Khayr... et Gauthier et Josse, mon ecuyer qui s'est engage dans les troupes du Calife pour entrer en Al Hamra !...
Nous ne sommes pas seuls !
Arnaud regarda sa femme avec admiration.
— Josse ? Qui est encore celui-la ?
— Un truand parisien qui faisait le pelerinage pour le rachat de ses peches... Il m'est tres devoue.
Malgre le danger imminent, malgre les silhouettes menacantes dont le cercle, inexorablement, se refermait autour d'eux, Arnaud ne put s'empecher de rire.
— Tu m'etonneras toujours, Catherine ! Si tu rencontrais Satan, ma mie, tu serais capable de lui passer une laisse au cou et d'en faire le plus obeissant des petits chiens ! Je constate egalement avec plaisir que tu as su trainer jusqu'ici cette montagne de muscles et d'obstination normande que l'on nomme Gauthier. Essaie maintenant ton pouvoir sur ceux-la ! ajouta-t-il, changeant de ton et designant ceux qui approchaient.
Deux groupes distincts s'avancaient maintenant vers le couple, arrete entre un bassin et un buisson de roses. En tete de l'un, Catherine et Arnaud pouvaient reconnaitre les eunuques porte-torches de tout a l'heure precedant le corps, souleve par dix femmes, de la princesse.
L'homme qui conduisait l'autre, Catherine le reconnut a son turban de brocart pourpre : c'etait le Grand Vizir, Aben-Ahmed Banu Saradj...
— Tu as raison ! murmura-t-elle. Nous sommes perdus ! Celui-la te hait et n'a aucune raison de m'aimer...
Les deux groupes firent leur jonction avant d'atteindre le couple.
Banu Saradj regarda longuement le corps que les femmes deposaient devant lui, enveloppe dans ses voiles d'azur, puis, calmement, il marcha vers les deux jeunes gens. Catherine, instinctivement, avait cherche refuge aupres d'Arnaud dont le bras entourait ses epaules. La mort qui s'avancait vers eux sous l'aspect de cet homme, jeune et elegant, lui semblait plus terrible encore que celle apportee par le cobra, peut-etre parce que mourir est affreux quand, apres tant de peines, on a enfin retrouve l'amour et le bonheur. Le jardin etait beau, dans la lumiere doree du petit matin. Les fleurs, rafraichies par la nuit, semblaient plus eclatantes et l'eau avait des reflets bleus, ravissants.
Le regard lourd de Banu Saradj, curieusement vide, se posa sur Arnaud.
— C'est toi, n'est-ce pas, qui as tue la princesse ?
— C'est moi, en effet ! Elle voulait supplicier ma femme, je l'ai tuee.
— Ta femme ?
— Celle-ci est ma femme, Catherine de Montsalvy, venue me rejoindre au prix des plus grands perils.
Les prunelles noires du Grand Vizir glisserent un instant sur Catherine, chargees d'une ironie qui la fit rougir. Cet homme, en effet, l'avait surprise dans les bras du Calife et l'evocation des perils courus par elle devait, fatalement, l'amuser. Elle en eut honte, se reprocha le demi-sourire du Maure parce que c'etait Arnaud qui en faisait les frais.
— C'etait sans doute ton droit, remarqua Banu Saradj, mais tu as verse le sang meme du Commandeur des Croyants et, pour ce crime, tu mourras...
— Soit, prends ma vie, mais laisse partir mon epouse ! Elle est innocente.
— Non ! protesta Catherine farouchement en s'accrochant a son epoux. Ne nous separe pas, Vizir ! S'il meurt, je veux mourir aussi...
— Ce n'est pas moi qui deciderai de votre sort, intervint Banu Saradj. Le Calife approche de sa ville. Dans une heure, il aura rejoint Al Hamra. Tu oublies trop vite, femme, que tu lui appartiens. Quant a cet homme...
Il n'ajouta rien qu'un geste autoritaire. Quelques-uns des gardes qui l'escortaient s'avancerent. Malgre ses cris, et sa defense desesperee, Catherine fut arrachee d'Arnaud dont les mains furent liees derriere le dos tandis que la jeune femme etait remise aux servantes du harem.
— Reconduisez-la chez elle, recommanda le Vizir d'un ton d'ennui, et faites-la garder de pres. Mais, surtout, qu'elle se taise !
— Je me tairai, hurla Catherine hors d'elle a la vue de son epoux charge de liens et entoure de gardes, si tu me laisses avec lui, si tu me donnes a moi aussi des chaines.
— Sois courageuse, Catherine, supplia Montsalvy. J'ai besoin de ton courage.
— Baillonnez-la, ordonna Banu Saradj. Ces cris sont insupportables !
Les femmes s'abattirent sur elle comme une nuee de guepes, l'etouffant, l'aveuglant meme. Une echarpe fut nouee, serree sur sa bouche, une autre entrava ses mains, une autre encore lia ses pieds, puis, comme un simple paquet, la jeune femme fut emportee, sur les epaules des servantes, vers l'appartement de sultane qu'elle avait quitte, au debut de cette nuit qui s'achevait, avec au c?ur un si grand espoir. La rage la brulait si fort qu'elle n'avait meme pas envie de pleurer ! Dieu allait-il permettre cette injustice ? Arnaud devrait-il mourir pour avoir abattu cette demente sanguinaire qui voulait lui faire subir les pires supplices ? Non... ce n'etait pas possible, cela ne pouvait pas etre possible !...
Au prix d'une douloureuse torsion de cou, elle parvint a tourner la tete, a apercevoir encore une fois son epoux. Entre les cimeterres etincelants, il s'en allait vers les prisons tres droit, tres fier malgre ses liens, haute silhouette noble dans la lumiere matinale. Des larmes jaillirent des yeux de Catherine, ameres et brulantes, chargees de desespoir.
— Je te sauverai... promit-elle tout bas. Dusse-je me trainer aux pieds du Calife, baiser la poussiere sous ses pas, je lui arracherai ta grace...
Elle etait prete, une fois encore, a n'importe quelle folie. Pourtant, elle savait bien qu'il etait desormais un prix dont Arnaud ne voudrait, en aucun cas, qu'elle payat sa vie sauve... Il l'avait reprise. Elle n'etait plus qu'a lui. Tandis qu'on l'emportait, elle entendit, dans l'air bleu du matin, eclater le son aigre des fifres et des tambours rythmant la longue acclamation de la foule. Muhammad venait de rentrer dans Grenade...
Quand, vers le soir, on vint chercher Catherine pour la conduire aupres du Calife, elle sentit l'espoir se faire plus vif en elle. Pourtant, la journee n'avait guere ete encourageante.