Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
— Je devrais savoir, ami Tristan, que vous n'oubliez jamais rien.
Je vous confie donc dame Catherine. Vous savez combien elle m'est chere et combien precieuse m'est sa securite. Le castel de Mesvres appartient a mon cousin Louis d'Amboise. Vous n'avez rien a craindre. Vous pourrez vous y reposer, vous restaurer et rendre a ces dames des vetements plus convenables a leur rang...
Au prix de sa vie Catherine eut ete incapable de dire quel sentiment la poussa a s'approcher de Pierre et a demander anxieusement :
— Ou allons-nous ensuite, messire Pierre ? Ou nous reverrons-nous ? Je peux aller a Chinon, maintenant ? Je veux voir la fin de La Tremoille.
Il pencha sur elle sa haute silhouette, ota le lourd chapeau de fer qui l'ecrasait et le jeta dans un fourre.
— Qu'au moins je voie un peu votre doux visage avant de vous quitter. Bien sur, vous allez a Chinon, ou la reine Yolande doit venir joindre son gendre apres votre succes. Vous l'y retrouverez quand tout sera fait. Vous pourriez, bien sur, aller vers elle a Angers, mais vous devez etre lasse. A Chinon, vous vous reposerez. Allez a l'auberge de la Croix du Grand Saint-Mexme, proche le Grand Carroi. Dites que je vous envoie et vous aurez l'aubergiste a vos pieds. Il est bon et fidele sujet du Roi et, parce qu'il a, jadis, loge la Pucelle, il se ferait bruler tout vif en memoire d'elle. Recommandez la discretion a maitre Agnelet et vous ne verrez ame qui vive. Votre deuil, d'ailleurs, vous vaudra respect et solitude.
Il y eut un silence. Si profond que Catherine et Pierre auraient pu entendre battre leurs c?urs... Les autres, par discretion, s'etaient un peu ecartes. Elle leva vers lui un regard lumineux de reconnaissance et lui tendit ses mains qu'il mit genou en terre pour recevoir, comme tout a l'heure, dans la chambre des supplices.
Merci, mon chevalier, murmura Catherine etranglee par l'emotion.
Merci pour tout. Comment vous dire tout ce que j'eprouve a cet instant ? Il faudrait tant de mots qui ne me viennent pas.
— Ma douce dame, seul me mene l'amour de vous... Si vous aviez peri, ma vie s'arreterait. Ne cherchez pas les mots.
Il appuya ses levres sur les deux mains qu'il serrait. Alors, Catherine se pencha vivement et posa un baiser sur les courts cheveux blonds du jeune homme avant de degager doucement ses mains.
— A bientot, messire. Et Dieu vous garde ! Aidez- moi, sire ecuyer. Elle se tournait vers Armenga pour qu'il la remit en selle ; a lui aussi elle dit sa reconnaissance, qu'il accepta avec un sourire courtois. Sara et Tristan se rapprocherent. Elle leva la main, salua joyeusement Pierre qui, debout dans l'herbe, ne la quittait pas des yeux.
— Quand nous nous reverrons, je serai redevenue Catherine, lui lanca-t-elle joyeusement. Oubliez vite l'Egyptienne ! Aussi vite que je veux l'oublier moi- meme ! Encore merci a vous deux !
Le layon ouvrait un fosse clair entre les falaises noires de la foret.
Il semblait mener jusqu'a l'infini. Tristan et Sara sur les talons, Catherine piqua des deux et, au grand galop, s'elanca vers l'horizon.
Le soleil se couchait dans une gloire rutilante qui habillait de pourpre les hautes murailles grises de Chinon et les toits d'ardoises de la ville, solidement ceinturee de remparts qui avaient l'air de jaillir de la Vienne. Sur la riviere incendiee, les barques des bateliers glissaient sans bruit vers les arches noires du vieux pont, sous le cri des martins-pecheurs et le vol rapide des hirondelles. C'etait un beau soir, doux et tiede, deja tout charge de l'odeur des foins, qui s'alanguissait sur toute la vallee lorsque Catherine, suivie de Sara et de Tristan l'Hermite, franchit la premiere enceinte a la porte de Besse et longea les murs de la collegiale Saint-Mexme. Un peu plus loin, une nouvelle porte et un nouveau pont- levis se montraient : la porte de Verdun qui donnait acces a la ville proprement dite. La-haut, couronnant le tout, le triple chateau s'etirait en une perspective qui paraissait interminable. Fort Saint-Georges, jadis construit par les Plantagenets, chateau du Milieu et, tout la- bas, le Coudray domine par les trente-cinq metres de son enorme donjon cylindrique... Certes, Chinon-la-Villefort meritait son surnom et Catherine contemplait avec une joie profonde le majestueux piege de pierre ou viendrait bientot se prendre son ennemi.
Mais que le temps marchait vite. Deja l'aventure d'Amboise, avec ses rebondissements tragiques ou simplement douloureux, lui semblait loin. Et il n'y avait que trois jours, trois jours que Tristan et Pierre de Breze l'avaient arrachee a la mort dans les caves du chateau royal. Apres la separation dans la foret, Catherine, Sara et Tristan, toujours sous leurs costumes de soldats, avaient gagne le petit chateau de Mesvres ou, enfin, Catherine avait pu redevenir elle-meme. Apres un bain, un savonnage et un brossage vigoureux de sa peau, elle s'etait frottee a l'esprit-de-vin puis enduite d'une creme grasse a base de graisse de porc, puis lavee encore et elle avait eu la joie de voir sa peau redevenir presque aussi claire que par le passe. Il ne restait plus qu'un leger hale dore, du beaucoup plus a la vie au grand air qu'a la teinture du pauvre Guillaume l'Enlumineur. Elle avait aussi rejete les fausses nattes noires qu'elle avait portees, lave ses cheveux qui montraient maintenant une assez large bande doree, une fois debarrassee de la pate noire dont elle enduisait les racines. Helas, pour retrouver sa couleur normale, il fallait couper et couper tres court.
Catherine n'avait pas hesite. Elle s'etait assise sur un tabouret et avait tendu a Sara une paire de ciseaux.
— Allons, enleve tout ce qui est noir.
Avec une debauche de soupirs, Sara s'etait executee. Au sortir de ses mains, la tete de Catherine ne portait plus qu'un chaume dore et dru, a peine fonce aux pointes qu'elle coiffa a la maniere d'un garcon.
Elle avait l'air, sous cette courte tignasse, d'un jeune page, mais, chose curieuse, n'y perdait rien de sa feminite.
— C'est affreux, decreta Sara. Et je ne veux pas te voir comme ca !
— Sois sans crainte, moi non plus.
Maintenant, vetue de cendal noir sous une cape de damas de meme couleur, Catherine, portant une haute coiffure en forme de croissant de mousseline noire empesee qui lui enserrait le visage, etait redevenue une noble dame - tandis que Sara avait retrouve les vetements confortables d'une servante de bonne maison et que Tristan avait reintegre son costume de daim noir. Les passants et les commeres sur le pas des portes se retournaient au passage de cette femme, si belle et si eclatante dans son deuil austere.
Passe la porte de Verdun, les trois voyageurs suivirent une rue animee. Chacun, la journee faite, baguenaudait paisiblement entre les etals et les etablis tandis que des enfants, armes de pots, s'en allaient au vin ou a la moutarde. Une brise legere faisait chanter les grandes enseignes peintes et decoupees sur leurs tringles de fer. Par toutes les fenetres ouvertes, on pouvait apercevoir les feux flambants dans les cuisines ou les menageres s'activaient autour des marmites. Bien sur, les boutiques n'etaient plus garnies comme autrefois. La guerre avait sevi si durement sur le royaume que rien n'arrivait de l'etranger et que le ravitaillement se faisait mal, mais la belle saison etait venue et la terre, tout de meme, produisait dans ce pays ou l'Anglais n'etait point passe. Les drapiers, les pelletiers et les epiciers etaient les plus atteints, prives qu'ils etaient des grandes foires de jadis, mais les fruitiers montraient de beaux legumes, voire des fleurs fraiches.
La riviere donnait son poisson, les campagnes leurs volailles. Une bonne odeur de chou et de lard emplissait la rue et fit sourire Catherine.
— J'ai faim, dit-elle gaiement. Et vous ?
— Je pourrais manger mon cheval, fit Tristan avec une affreuse grimace. J'espere que cette auberge sera bonne.