Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
Quant a la vie privee de la nouvelle dame de parage, elle etait sans histoires. Les jours passaient, paisibles et sans a-coups aupres de Garin, presque tous semblables. L'argentier recevait peu, n'aimant pas a etaler outre mesure sa fortune parce qu'il savait combien la grande richesse attire la jalousie. S'il tenait e un certain decorum, a un faste reel dans l'enceinte de ses demeures, c'etait pour la seule joie de ses yeux et son unique satisfaction personnelle. Aux grands banquets, aux fetes bruyantes, il preferait une partie d'echecs au coin du feu, la compagnie d'un livre, la contemplation de sa collection d'objets rares et, depuis quelque temps, la compagnie d'Abou-al-Khayr dont il appreciait la science et la sagesse orientale.
Les deux hommes avaient de longs entretiens auxquels Catherine assistait frequemment mais qui la faisaient bailler d'ennui car elle ne s'interessait pas, comme Garin, aux mysteres de la medecine et a la; science, dangereuse et subtile, des poisons. Le petit medecin maure, s'il etait pour son epoque un remarquable praticien, etait encore beaucoup plus brillant toxicologue.
Enfin vint le temps ou les princesses, Marguerite et Anne, quitterent Dijon avec leur suite. La longue file de chevaux, de haquenees, de chariots et de mules chargees de coffres, protegee par une puissante escorte armee contre les convoitises des pillards, franchit la porte Guillaume dans les derniers jours de mars. Bien vite, derriere elle, l'enceinte fortifiee et le dessin fantastique des tours et des clochers qui faisaient ressembler Dijon, de loin, a une foret de lances, s'estomperent.
La gaiete, normalement de mise dans une expedition de ce genre, etait cependant absente du convoi comme Catherine le constata sans surprise. La sante de la duchesse Marguerite s'etait alteree, dans les dernieres semaines et a son profond regret elle avait du renoncer a escorter ses filles. C'etait la comtesse Ermengarde qui la representait et devait chaperonner les deux princesses.
Bien assise sur sa selle, emmitouflee d'une immense pelisse couleur lie-de-vin et toute doublee de renard roux, Ermengarde de Chateauvillain chevauchait a cote de Catherine. Ni l'une ni l'autre ne parlait, preferant contempler la jeune verdure qui commencait a poindre sur les branches, respirer l'air vif du matin et jouir du soleil.
Ce soleil qui entrait si difficilement dans les rues tortueuses, encaissees et empuanties de la ville... Catherine avait toujours aime les voyages, meme tres courts et celui-ci lui rappelait celui qu'elle avait fait l'annee precedente avec l'oncle Mathieu et qui avait ete si fertile en evenements.
Quant a la comtesse Ermengarde, elle aimait aussi les voyages mais pour une tout autre raison que sa jeune compagne. Outre la curiosite extreme qu'elle portait a toutes choses, elle aimait se laisser porter, au long de routes interminables par le pas doux et mesure de sa monture.
Cela lui permettait de dormir tres confortablement et elle retirait de ces siestes au grand air un grand bien-etre et un appetit accru.
Le Duc de Bourgogne attendait ses s?urs a Amiens, ou devaient etre celebrees les doubles fiancailles, fruit de negociations menees depuis plusieurs mois avec le regent anglais et le Duc de Bretagne. Il avait fait choix d'une ville episcopale, en principe neutre, pour ne pas peiner le Duc de Savoie, puisque les negociations patronnees par ce dernier, n'etaient pas considerees comme rompues. Mais, en fait, l'eveque d'Amiens etait a sa devotion et il se trouvait chez lui autant que sur ses propres terres.
Lorsque le cortege des deux princesses arriva sur la Somme, apres un voyage sans histoire a travers la Champagne devastee, la comtesse Ermengarde n'avait guere fait entendre autre chose que des monosyllabes de plus en plus rogues a mesure que l'on avancait. C'est que, sur tout le passage de la fastueuse cavalcade, on n'avait guere rencontre que des hommes, des femmes et des enfants aux corps trop maigres et mal vetus, de haillons, des figures creusees par la faim ou luisaient des regards de loups. Partout l'Anglais et les routiers, partout la misere, la faim, la peur, la haine. L'hiver qui se terminait avait ete terrible. La famine, nee des recoltes pillees et brulees sur pied, avait ravage des lieues et des lieues de terre, moissonne des populations entieres. Nombre de villages etaient vides quand ils montraient autre chose que quelques madriers a demi calcines. Ce voyage, commence par Catherine avec un si vif plaisir tant que l'on etait en Bourgogne, s'etait mue peu a peu en un cauchemar permanent. Le c?ur serre, la jeune femme fermait les yeux quand les hommes d'armes de l'escorte repoussaient avec brutalite, du bois de leurs lances, un groupe miserable qui osait demander la charite. Pourtant, chaque fois que le fait s'etait presente, la princesse Anne etait intervenue avec indignation, reprochant violemment aux soldats leur durete. Son c?ur genereux se fondait de pitie a la vue de tant de miseres et, inlassablement elle donnait, donnait encore, donnait tout ce dont elle pouvait disposer, laissant derriere elle un lumineux village de douceur et de compassion. Si Garin ne s'y etait respectueusement, mais fermement oppose, elle eut distribue au long de sa route les trente mille ecus d'or que portaient les mules et qui representaient une partie de la dot princiere, de cent mille ecus, destinee au duc anglais. Cette dot entretenait une colere latente chez dame Ermengarde.
— Que lui faut-il encore a ce godon rapace ? confia-t-elle a Catherine quand les murs d'Amiens furent en vue. Il etrangle a plaisir le pays de France qu'il occupe contre toute justice, il prend pour femme la plus douce, la plus belle, la meilleure de nos filles et encore il reclame de l'or, lui qui devrait passer sa vie a genoux et baiser la poussiere pour rendre grace au ciel d'une telle faveur ! En verite, je creve de rage, dame Catherine !... de rage, entendez-vous bien, quand je vois notre Duc tendre la main a l'ennemi seculaire du Royaume et lui donner sa propre s?ur...
— Je crois qu'il desire surtout se venger du roi Charles. Il le hait si fort.
— Il veut se venger, mais il souhaite encore plus prendre sa place, grogna la comtesse. C'est deloyaute de la part d'un vassal, meme s'il est prince et meme s'il veut oublier sa vassalite. Les lois de l'honneur ne se discutent pas !
Un sourire etira brievement les levres de Catherine, sechees par le vent glacial qui s'etait leve et chassait les nuages sur les tours d'Amiens.
— Des paroles dangereuses a prononcer, Comtesse, dangereuses a entendre peut-etre si le duc en avait vent, fit-elle malicieusement.
Mais la grosse dame posa soudain sur elle un regard si fier et si direct qu'elle se sentit rougir.
— Il n'ignore point ma facon de penser, dame Catherine. Une femme de mon rang ne s'abaisse pas a dissimuler, meme en face d'un duc de Bourgogne ! Ce que je vous dis a vous, je le dirais aussi bien a lui !
Catherine ne pouvait se defendre d'une certaine admiration.
Ermengarde tonitruante, obese, un peu comique meme n'en etait pas moins d'une grande et bonne race que rien, ni la graisse envahissante, ni les atours excentriques, ne pourraient jamais cacher. Sa grandeur, sa dignite etaient instinctives et surpassaient tous les petits travers humains. Amie sure, elle etait une ennemie redoutable. Il valait mieux etre de son cote.
A Amiens, les princesses allerent rejoindre leur frere. Il les attendait au palais de l'eveque, tandis que leur suite s'en allait prendre logement dans les maisons reservees a cet effet. Ermengarde, bien entendu, suivit celles dont elle avait la garde, tandis que Catherine et son mari s'installaient dans une maison, proche de la grande cathedrale blanche, et dont les fenetres arriere donnaient sur un canal tranquille.
Cette maison, petite mais confortable, appartenait a l'un des plus gros drapiers de la ville avec qui le grand argentier avait d'etroites relations d'affaires. Garin, par avance, y avait envoye son majordome Tiercelin avec son valet, son secretaire et les femmes de Catherine sous les ordres de Sara. Ils avaient apporte avec eux, sous bonne escorte, le plus gros des bagages et, en entrant dans la maison du drapier, Catherine trouva que tout avait ete dispose au mieux pour l'accueillir.