Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Elle le regarda s'eloigner en silence, inquiete de cette blessure que Gauthier venait d'infliger a son orgueil, mais elle n'osa pas le suivre. A cet instant, ils ne pouvaient se comprendre. Mais, quand il revint, un long moment apres, elle s'etait assise a l'ecart, enveloppee dans son grand manteau, regardant Sara qui tournait, au-dessus du feu, un cuissot de sanglier sur une broche improvisee. Il vint droit a elle, se laissa glisser a terre et posa sa tete sur les genoux de la jeune femme.
— Pardonne-moi, murmura-t-il... Je crois qu'il te faudra beaucoup de patience, mais j'essayerai de comprendre... de te comprendre !
Pour toute reponse, elle se pencha et posa ses levres dans les rudes cheveux noirs. Un moment, ils oublierent le froid, la nuit, la guerre et gouterent un peu de paix. Doucement, il l'enleva dans ses bras, l'emporta a l'ecart, la ou les regards des autres ne pourraient les atteindre. L'ombre de la petite chapelle s'etendit sur eux, les retranchant du monde. Arnaud enveloppa soigneusement Catherine dans plusieurs couvertures puis s'etendit pres d'elle, refermant sur eux deux son propre manteau.
— Tu es bien ? demanda-t-il.
— Tres bien... mais Arnaud, j'ai peur. Je voudrais tant etre arrivee, a cause de l'enfant. Il bouge beaucoup, tu sais...
— Nous essayerons de forcer l'allure. Tache de dormir, mon amour. Tu as besoin de paix et de calme.
Il baisa passionnement ses levres froides et elle finit par s'endormir. Longtemps, il la contempla, n'osant bouger pour ne pas l'eveiller, remue par une emotion profonde. Chaque jour qui passait la lui rendait plus chere et plus precieuse.
Plus loin, les Gascons s'etaient installes autour d'un autre feu ou rotissaient les lievres. Eux aussi semblaient en paix car, pour eux, la vie et la mort s'enchainaient, logiquement, en une chaine sans fin...
Mais quand, dans le jour bleme et pauvre du matin suivant, on se remit en route a travers les taillis denudes et le vent aigre venu du nord, Catherine constata que le physique d'Escorneb?uf avait subi quelques modifications. Le colosse tentait vainement de cacher entre son chapeau de fer et son manteau de cheval un visage qui, visiblement, en avait vu de cruelles. Un ?il magistralement poche, des egratignures encore fraiches et tout un assortiment de bleus, allant de l'azur au violet fonce, lui composaient une bien etrange physionomie. Cherchant le regard d'Arnaud, la jeune femme vit qu'il etait egalement fixe sur le sergent et qu'il etincelait d'une gaiete qui n'atteignait cependant pas les levres. Il sourit, pourtant, tendrement a sa femme, puis se tourna vers Gauthier. Le Normand, les yeux mi-clos, chevauchait paisiblement, les mains nouees sur le ventre, avec la mine satisfaite d'un gros chat qui vient de laper un bol de lait. 11 avait vraiment l'air trop bonasse pour ne pas etre a l'origine du bariolage matinal d'Escorneb?uf... Un dernier regard acheva de convaincre Catherine : celui, meurtrier, brulant de haine que le Gascon adressa au geant. Apparemment, il avait recu, dans la nuit, une severe correction qu'il n'etait pas pres d'oublier, mais, si Catherine s'en rejouissait, elle n'aimait guere trainer ainsi apres elle des rancunes en puissance qui menaceraient la securite du groupe et risquaient d'engendrer de graves conflits.
Le plateau granitique s'affaissa soudain et le chemin devala a flanc de coteau vers un etroit village ou ne se montrait pas le moindre signe de vie. Aucune cheminee ne fumait, rien ne bougeait... hormis, un peu en dehors, pres d'un calvaire, un groupe confus qui s'agitait bizarrement. Plusieurs hommes se penchaient sur quelqu'un qui bougeait frenetiquement.
Catherine vit qu'Arnaud, toujours en avant, s'etait arrete au bord de la descente et, debout sur ses etriers, regardait. Elle poussa Morgane pour le rejoindre, mais deja, piquant des deux, il foncait a tombeau ouvert dans le chemin raide. Les derniers rayons d'un soleil pale allumaient des reflets sur l'acier de l'epee qu'il avait tiree.
— Des malandrins, fit Gauthier aupres de Catherine. Ils attaquent quelqu'un. Je vais l'aider.
— Non, reste !... Il n'aimerait pas que tu lui prennes cela...
En effet, au bas de la sente, Arnaud, dedaignant l'avantage que lui donnait son cheval, avait saute a terre et, l'epee haute, tombait comme la foudre sur les malandrins. Ce fut vite et bien fait. Le premier tomba sans un cri, la gorge traversee, le second avait tire un long couteau et fit face, mais, comme il attaquait, le poing gauche du chevalier, arme d'une dague, se leva et frappa. L'homme poussa un cri affreux. L'epee atteignit le troisieme comme il essayait de voler le cheval pour s'enfuir avec. Alors seulement Catherine vit qu'un homme etait couche sur les marches du calvaire, blesse sans doute. Arnaud, fichant en terre son epee sanglante, s'agenouillait pres de lui.
— Vite ! dit Catherine. Cette fois, il a besoin de nous...
Ses talons presserent le flanc de Morgane et toute la troupe, derriere elle, devala le coteau au grand trot. Devant le calvaire, Catherine et Sara mirent pied a terre, rejoignirent Arnaud.
— C'est un pelerin, dit-il... et qui semble bien miserable ! Comment peut-on attaquer quelqu'un de si depourvu !
Bah ! fit derriere lui la voix goguenarde d'Escorneb?uf. Ces pelerins cachent souvent sous leurs haillons plus d'or qu'on ne pense. J'en ai connu qui etaient de bonne prise et...
— Assez ! coupa Arnaud brutalement. Les errants de Dieu sont sacres ou devraient l'etre... Va voir s'il est possible de rester dans ce hameau. Il semble vide mais on ne sait jamais. Et souviens-toi de mes ordres : ne moleste personne !
— Oui, seigneur ! grogna le Gascon de mauvaise grace. Pied a terre, vous autres !
Tandis que Sara ouvrait le coffre de cuir qui contenait des remedes et des pansements, Catherine avait pris sur ses genoux la tete du pelerin evanoui. C'etait un vieillard si maigre que sa peau parcheminee semblait collee a son squelette.
Des broussailles grises de sa longue barbe et de ses cheveux jaillissaient un grand nez courbe et les globes proeminents de ses yeux sous les paupieres fripees. En verite, son equipement n'inspirait guere la convoitise. Le long manteau qu'il portait sur un pourpoint et des chausses rapiecees etait effiloche par les ronces du chemin, roussi par des soleils innombrables, verdi par les pluies. Des paquets de chiffons ou des taches rousses disaient les plaies enveloppaient ses pieds. Un vieux chapeau de feutre dont le bord retrousse etait timbre d'une coquille avait roule un peu plus loin, dans la boue epaisse du carrefour.
Avec emotion, tandis que Sara etanchait le sang qui coulait du front du vieillard, Catherine passait un doigt tremblant sur les coquilles cousues sur la vieille houppelande. L'homme lui rappelait son vieil ami Barnabe. Ce manteau, si semblable a celui dont le Coquillard s'habillait, aussi effiloche, aussi minable, portait cependant sur lui le poids de penitence et de renoncements qui n'avaient jamais ete le fait de Barnabe.
— Il vient de Compostelle, dit-elle d'une voix enrouee en passant d'une coquille a une petite effigie de saint Jacques, en etain, cousue au revers du pelerin.
— Il vient de plus loin encore, ma mie, fit la voix grave d'Arnaud. Regarde...
Il designait, pendues a une ficelle au cou du vieillard, une petite palme de plomb et une croix. Et Catherine, etonnee, le vit s'agenouiller dans la boue et baiser respectueusement les loques sanieuses des pieds de l'homme.
— Que fais-tu ?
— Je lui rends l'hommage du a ses pareils. Il vient de Jerusalem, Catherine. C'est un pelerin de Terre Sainte, un Grand Pelerin, et les pieds que je baise ont foule le sol qui porta le Seigneur.
Saisies, Catherine et Sara demeurerent immobiles. Le vieillard semblait, tout a coup, avoir grandi jusqu'a des dimensions surnaturelles et un profond sentiment de veneration s'emparait d'elles. Les pelerins de Terre Sainte etaient rares si les grands sanctuaires chretiens drainaient toujours des foules ferventes. Il fallait etre un bien grand saint... ou avoir commis un bien grand crime pour s'en aller si loin, a travers tant de dangers, demander grace et pardon !