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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗

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— Il faut, marmonnait Mathieu, que Notre Seigneur soit l'infinie patience et l'infinie mansuetude... car il aura la une epouse peu commode.

Et, tout au fond de son c?ur paisible, le brave homme respira mieux quand la figure glacee de sa niece cessa de hanter le Grand Saint Bonaventure. Il s'installa avec sa s?ur dans une confortable existence a deux et gouta le plaisir de se faire dorloter.

A Marsannay, Catherine et Odette avaient trouve le village en ebullition. On y preparait la fete depuis plusieurs jours. La neige avait ete methodiquement chassee de la rue, unique et principale. A toutes les facades, meme les plus pauvres, pendaient les plus beaux draps et les pieces d'etoffe les plus vivement colorees que l'on avait pu trouver dans les coffres de mariage. Les plantes d'hiver, le gui argente enleve de haute lutte aux branches des vieux chenes, et le houx epineux decoraient les portes et les fenetres. Une puissante odeur de porc roti embaumait tout le pays car on avait egorge les cochons les plus gras pour preparer ce repas traditionnel dont le precieux animal faisait seul les frais.

Chez l'oncle Mathieu, le plus riche proprietaire de vignes de Marsannay avec les moines de Saint- Benigne, une meute de dix cochons avaient paye de leur vie le pantagruelique repas offert par le drapier a tous les bareuzais1 qui, le temps des vendanges venu, viendraient cueillir les grappes violettes dans ses vignes. Car l'oncle Mathieu etait un homme fort a son aise, meme s'il n'aimait pas etaler sa richesse. Pour arroser le repas, il avait fait mettre en perce six queues de vin de Beaune, de Nuits et de Romanee...

Le festin commenca presque vers le milieu du jour. La messe solennelle s'etait terminee tard. Tout le monde avait faim et soif, Catherine comme les autres. Avec Odette, elle s'etait installee a la table presidee par sa mere. Jacquette eclatait de joie dans une superbe robe de satin cramoisi fourree de petit-gris, que sa fille lui avait offerte. A l'autre table, Mathieu, tout velours puce et renard noir, le chaperon penche sur une oreille, encourageait les buveurs qui, cependant, n'en avaient guere besoin.

1. Vendangeurs.

Les propos fusaient, joyeux, egrillards, enlumines par le bon vin avec, de loin en loin, le refrain d'une vieille chanson de terroir. Tout cela composait une atmosphere de gaiete bon enfant a laquelle Catherine se laissait aller sans arriere-pensee. C'etait bon de s'amuser, d'etre jeune et belle comme le lui affirmaient les regards hardis de quelques jeunes gars.

Soudain, comme les marmitons, quatre par quatre, apportaient sur la table trois porcs rotis, tout luisants et dores dans leur peau craquante, un vacarme assourdissant se fit entendre a la porte de la salle. Une troupe d'hommes, des retardataires sans doute, se bousculait a qui entrerait le premier. On entendait force jurons, brailles a pleins poumons, au milieu desquels percait une voix haut perchee qui protestait furieusement :

— En voila un charivari ! s'ecria Mathieu en frappant du poing sur la table. Hola ! vous autres ! Ne vous battez pas ! Il y a place pour tout le monde !

Avec la violence d'un bouchon de Champagne qui saute de sa bouteille, le groupe d'hommes explosa et parvint a franchir le seuil de la salle. Catherine, stupefaite, put voir qu'ils trainaient apres eux une forme humaine gigotant qui avait l'air d'une enorme citrouille plantee sur de courtes jambes, a cela pres que la citrouille glapissait dans une langue inconnue.

— Regardez, maitre Mathieu, ce que nous avons trouve sur le chemin, s'ecria l'un des vignerons, un enorme gaillard a la figure couleur lie-de-vin.

D'un geste qui ne lui couta aucun effort apparent, le colosse saisit l'etrange bonhomme et le deposa assis sur la table, juste devant Mathieu. Apres quoi, il empoigna a deux mains la citrouille qui cachait jusqu'au cou le visage du petit homme. La barbe blanche et le visage de furet d'Abou-al-Khayr, le petit medecin de Cordoue, apparurent. La premiere toujours aussi blanche mais le second ecarlate de fureur et d'etouffement.

— Avez-vous jamais vu plus vilain macaque ?

s'esclaffa le vigneron. Je l'ai trouve sur la route avec deux grands diables, noirs comme Satan lui-meme, perches tous trois sur des mules, serieux comme Careme-prenant ! J'ai pense que vous aimeriez voir ces phenomenes avant qu'on les jette a la riviere. On n'a pas toujours l'occasion de rire un peu, pas vrai ?

— Mais, s'ecria Mathieu qui avait reconnu le medecin maure, c'est mon ami du Grand Charlemagne, c'est le seigneur Abou-al-Khayr en personne ! Malheureux ! Tu veux jeter mes amis a la riviere ?

Qu'allais-tu faire, mon Dieu, qu'allais-tu faire !

Il s'empressait de faire descendre Abou-al-Khayr de la table, lui offrait un siege et un verre de vin que, dans son trouble, le petit musulman avala sans sourciller. Il avait eu tres peur, mais il reprenait peu a peu ses couleurs habituelles et ne cachait pas son plaisir de retrouver Mathieu, ni son soulagement.

— J'ai cru ma derniere heure venue, mon ami... Allah soit beni de m'avoir conduit entre vos mains. Mais s'il n'est pas trop tard pour sauver mes serviteurs, j'aimerais beaucoup qu'on ne les jetat pas non plus a l'eau !

Un ordre de Mathieu propulsa le vigneron coupable, un peu confus de la tournure prise par les evenements, vers la sortie, tandis qu'avec l'aide de Jacquette, etonnee de l'etendue des relations de son frere, le petit medecin remettait de l'ordre dans sa toilette et reinstallait son turban jaune suivant la bonne regle. Mais les yeux vifs d'Abou avaient deja repere Catherine qui se tenait un peu a l'ecart, n'osant approcher.

L'arrivee soudaine du Cordouan avait fait battre son c?ur a un rythme desordonne. Garin n'avait-il pas dit que l'Arabe s'etait attache a la personne d'Arnaud de Montsalvy ? Par lui, elle apprendrait sans doute bien des choses sur celui qui hantait son c?ur et son esprit.

Autour de la table l'agitation creee par l'entree sensationnelle du petit medecin se calmait. Installe dans un fauteuil bourre de coussins, nanti d'une ecuelle d'etain et d'un gobelet, Abou-al-Khayr achevait de reprendre ses esprits. Son regard, fixe sur Catherine avec une insistance presque genante, revint vers la table servie, s'arreta sur les vastes plats dont Mathieu s'appretait a lui faire les honneurs...

Le drapier resta en arret, couteau en l'air, au moment precis ou il allait attaquer le plus gras des cochons rotis. Avec un cri d'horreur, Abou-al-Khayr venait de bondir sur ses pieds et, repoussant son fauteuil qui chut a terre avec un bruit de tonnerre, s'enfuyait a toutes jambes jusqu'a la cheminee ou il restait tapi, plus blanc que sa barbe, tremblant de tous ses membres et glapissant sur le mode suraigu.

— Allons bon ! fit Mathieu, que lui arrive-t-il encore ? Eh, mon compere, ne vous sauvez pas ! Venez plutot que nous goutions ensemble a ce roti. Qu'est-ce donc qui vous fait peur seant ?

— Du porc !... fit Abou d'une voix grelottante, du porc !... animal impur !... chair maudite et defendue !... Un vrai croyant ne peut s'approcher d'une table ou l'animal immonde est servi...

Interdit, les yeux ronds, Mathieu regardait tour a tour le petit medecin tremblant de frayeur et le cochon innocent, si appetissant sur son plat.

— Qu'est-ce donc qu'il veut dire la ? Impurs, mes cochons ?

grogna-t-il vexe.

Ce fut Odette qui le tira d'embarras. Quittant sa place elle vint se placer pres de Mathieu. Catherine vit qu'elle avait bien du mal a garder son serieux.

— A la cour du roi Charles, j'ai vu venir une fois un mage infidele de la race de cet homme. Madame la duchesse d'Orleans, bonne chretienne cependant, esperait en sa magie pour guerir le roi. Cet homme refusait toujours qu'on lui servit du porc que sa religion considere comme impur.

Le Prophete a dit : « Tu ne mangeras pas la chair de l'animal immonde

», rencherit Abou, de son coin.

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