Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
Mais c'etait encore de l'or que preferait la dame. Catherine se souvenait avoir entendu raconter comment, lorsque l'on etait venu arreter en pleine nuit et dans son propre lit son second mari, le diabolique Pierre de Giac, les soucis de la belle comtesse s'etaient uniquement portes sur sa vaisselle precieuse sur laquelle faisaient main basse les hommes d'armes charges de l'arrestation. Tandis que l'on emmenait son epoux vers un destin tragique la dame de Giac avait saute a bas de son lit, nue comme notre mere Eve, et poursuivi les voleurs, dans cet appareil sommaire, a travers les couloirs du chateau d'Issoudun.
En quelques instants Catherine fut prete. Elle accrocha l'aumoniere a sa ceinture, mais glissa la dague dans son corsage. Il y avait beau temps que le billet de Tristan avait ete brule dans la cheminee. Jetant la mante sur ses epaules, elle ouvrit sa porte avec decision.
— Je suis prete, dit-elle.
Sans un mot, la jeune fille qui attendait, nonchalamment etendue sur un banc garni de coussins, se leva, prit son chandelier et se dirigea vers l'escalier ou veillaient des gardes. A sa suite, Catherine traversa la cour, illuminee par le reflet des fenetres du logis royal vers lequel sa conductrice la dirigeait. En franchissant le seuil que gardaient deux statues de fer, Catherine eut la sensation d'entrer dans une immense coquille creuse tant cela resonnait des bruits de la fete. Malgre l'epaisseur des murs, violons, rebecs et luths faisaient rage, dominant le tumulte des voix, les rires bruyants, les cris de joie. Partout, des torches, des cierges enormes qui repandaient une intense lumiere, chaude et doree. Catherine s'inquieta. Allait-on la jeter au milieu de la fete, comme un oiseau de nuit arrache soudain a son ombre et lance dans le soleil ? Mais non... son guide depassait l'etage noble ou l'immense salle tenait a peu pres toute la place et la faisait monter plus haut, vers les combles du chateau. Poussee par la main de la jeune fille, une porte basse s'ouvrit soudain, dans l'ombre d'un couloir, et Catherine se retrouva au milieu d'une chambre de dimensions assez reduites mais qui avait l'air d'un ecrin, tellement les tentures de velours vert habillaient les murailles dont on ne voyait pas le moindre morceau.
D'epais et chatoyants tapis couvraient le sol. Malgre la tres douce temperature exterieure, un immense feu brulait dans la cheminee et semblait, curieusement, se propager aux tentures sur lesquelles de longues flammes d'or etaient brodees.
Au centre de cette chambre etrange et fastueuse, bourree d'objets precieux, la dame de La Tremoille se tenait debout dans un cercle de suivantes dont certaines, paresseusement couchees a terre sur des coussins, jouaient du luth ou croquaient des confiseries. Cette fois, la belle comtesse n'etait vetue que de soieries bleues, tres transparentes, sur lesquelles croulait la masse fauve de sa chevelure. Le tissu nuageux ne cachait que fort peu les formes opulentes de son corps, mais cela ne paraissait la gener nullement. Catherine se rendit compte au premier coup d'?il de l'etat d'agitation ou elle se trouvait, mordant ses levres et tordant ses doigts en arpentant nerveusement sa chambre.
— Voici la fille, gracieuse dame, fit, du seuil, la conductrice de Catherine.
La dame de La Tremoille eut une exclamation satisfaite puis, d'un geste autoritaire, montra la porte a ses suivantes.
— Sortez toutes ! Allez vous coucher. Et qu'on ne me derange sous aucun pretexte.
— Meme moi ? fit, avec une moue mecontente, la jeune fille qui avait amene Catherine et qui devait etre la favorite.
— Meme toi, Violaine. Je veux etre seule avec cette fille. Veille au-dehors afin que personne n'entre par surprise. Je t'appellerai quand j'aurai besoin de toi.
Violaine sortit de mauvaise grace et referma la porte derriere elle. Les autres s'etaient deja eclipsees. Les deux ennemies, la grande dame et la fausse bohemienne, demeurerent face a face, s'examinant... Avec une joie feroce mais bien feminine, Catherine decouvrait que la beaute de sa rivale se fanait deja. De petites rides marquaient, au coin des yeux et de la belle bouche rouge, la peau tres blanche et douce comme un velours, des cernes violets entouraient les prunelles gris vert. La graisse enrobait legerement les hanches et les longues cuisses, alourdissait les seins gonfles qui flechissaient un peu. La belle rousse vivait trop douillettement, trop somptueusement et avec trop d'exces. La debauche et la volupte la marquaient d'un stigmate indelebile... Mais Catherine se garda bien de montrer le plaisir qu'elle eprouvait. Elle avait trop conscience de ce regard qui la detaillait, la deshabillait meme avec impudence. Elle rougit en entendant la voix seche de la dame s'ecrier :
— Qu'attends-tu pour t'agenouiller devant moi ? Ton echine est-elle si raide qu'elle t'interdise de saluer tes maitres ?
Catherine se mordit les levres et se traita de sotte. Elle avait un instant oublie son personnage et, pour un peu, eut aborde la comtesse en egale. Elle se hata d'obeir, baissant la tete et, masquant son embarras d'un mensonge, murmura :
— Pardonnez-moi, noble dame, mais j'ai oublie un instant ou j'etais. Mes yeux etaient eblouis. Je me suis crue dans la demeure de la reine des keshalyi, les fees de notre peuple.
Un sourire d'orgueilleuse satisfaction eclaira le visage maussade de la dame. De si bas qu'il vint, l'encens, meme grossier, lui plaisait toujours.
— Releve-toi ! lui dit-elle. Ou plutot, assieds-toi sur ce coussin.
Ce que j'ai a te dire peut etre long.
Elle designait un coussin pose sur les marches de son lit. Catherine s'y laissa glisser tandis que la comtesse s'asseyait sur le lit meme. Son regard ne quittait pas le visage de Catherine, le detaillant avec une attention qui devenait genante. Au bout d'un moment, que la jeune femme jugea long comme une eternite, la belle comtesse murmura :
— Tu es vraiment tres belle... trop belle ! Tu ne retourneras pas aupres de monseigneur. Tu pourrais etre dangereuse a la longue, car il est stupide avec les femmes. Et toi, tu as l'air intelligent.
— Que ferai-je donc ? osa demander Catherine. Si je ne retourne pas, je risque...
— Rien du tout. Si tu me sers a ma convenance je te garderai peut-
etre et tu n'auras rien a craindre. Sinon...
La phrase demeuree en suspens etait suffisamment menacante pour que Catherine se gardat d'en demander la fin. Elle se contenta de baisser la tete humblement, attendant ce qui allait suivre.
— Je ferai de mon mieux, dit-elle seulement.
La dame de La Tremoille prit un temps. D'un air songeur, elle tendit son bras nu, prit une coupe de vin posee sur les marches du lit et la vida lentement jusqu'a la derniere goutte. Catherine vit se gonfler sa gorge opulente. Puis la dame rejeta la coupe vide, pencha vers Catherine son visage que le vin rougissait un peu, son regard qui devenait luisant.
— On dit que les filles de ta race sont habiles aux enchantements, a la divination et aux breuvages etranges. On dit que l'avenir s'ouvre devant vous, que vous savez comment provoquer le malheur, la mort... ou l'amour. Est-ce vrai ?
— Peut-etre, repondit Catherine prudemment.
Elle commencait a voir ou l'autre voulait en venir et pensait qu'il y avait la une chance. Que cette femme, avide et perverse, crut a son habilete ou a son devouement, et elle l'amenerait peut-etre ou elle voulait l'amener, et son epoux avec elle.
— Connais-tu, reprit la comtesse d'une voix plus basse, le philtre qui donne l'amour, qui fait couler le feu dans les veines, qui abolit la sagesse, la pudeur, meme la repulsion ! Connais-tu cette potion magique qui livre un etre a un autre ?
Catherine releva la tete et obligea son regard a rencontrer celui de son ennemie. Elle se souvenait de la brulante experience vecue dans les bras de Fero et ne mentit qu'a peine en affirmant : Oui, je la connais. Le besoin d'amour qu'elle donne devient torture et devore tout le corps si l'on ne le satisfait pas. Il n'est personne, homme ou femme, qui puisse lui resister.