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Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗

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Au-dehors, le jour de printemps devait s'annoncer beau, mais, derriere les epaisses murailles du donjon, il penetrait a peine par les etroites fenetres, franchissant, gris et terne, les petites vitres serties de plomb. Le feu etait eteint si les chandelles, pres d'en faire autant, brulaient encore. L'epaule de Catherine lui faisait si mal que, malgre sa lassitude, elle se leva pour chercher de l'eau dans une aiguiere posee un peu plus loin. Mais a peine eut-elle mis le pied a terre que la chambre se mit a tourner autour d'elle tandis que tout se brouillait dans son esprit. Elle poussa un gemissement et se laissa retomber sur le lit, videe de ses forces. Elle se sentait affreusement faible et miserable.

Secouee de frissons, elle ramena les draps sur son corps extenue. Si elle appelait ? Peut-etre qu'une servante viendrait s'occuper d'elle.

A cet instant meme, la porte s'ouvrit doucement, laissant passer d'abord la tete barbue, puis l'enorme corps de La Tremoille. Avant d'entrer, le gros chambellan jeta un coup d'?il circulaire dans la chambre, puis, rassure par l'absence de Gilles, referma la porte sur lui avec beaucoup de soin et s'avanca vers le lit sur la pointe des pieds.

Les yeux grands ouverts, Catherine le regardait approcher avec angoisse. La Tremoille portait une vaste robe de chambre en soie vert pomme, abondamment garnie d'or a son habitude, et un bonnet de nuit se drapait sur son crane a peu pres chauve. Cette tenue terrifia

"Catherine : le gros chambellan avait-il l'intention de prendre immediatement la place abandonnee par Gilles ? Prete a hurler, la jeune femme mordit le drap pour s'en empecher.

Cependant, La Tremoille, un large sourire aux levres, se penchait sur elle et, lui voyant les yeux ouverts :

— J'ai entendu partir mon cousin et j'ai pense a te rendre une petite visite, ma jolie biche. De toute cette nuit je n'ai pas dormi tant j'etais occupe de toi. Heureusement, elle est terminee, cette maudite nuit, et, de cette heure, tu m'appartiens.

Sa main grasse se tendait vers la rondeur d'une epaule dessinee par la couverture et, impatiemment, faisait glisser le tissu, cherchant la douceur de la peau. C'etait l'epaule meurtrie de Catherine qui gemit de douleur tandis que La Tremoille retirait precipitamment sa main et la considerait avec stupeur : elle etait tachee de sang.

— Par pitie, messire, gemit Catherine, ne me touchez pas. J'ai si mal !

Pour toute reponse, La Tremoille empoigna les draps et les rejeta au pied du lit. Le corps, marbre de bleu, griffe et macule de sang sec ou frais, apparut. Le gros chambellan devint violet de colere.

— Le chien puant. Comment a-t-il ose l'abimer de la sorte ; quand elle m'etait reservee ! Il me le paiera ! Oh ! oui ! il me le paiera !

Malgre sa souffrance, Catherine regardait avec stupeur cette masse de graisse que la colere faisait trembloter comme une gelee, mais La Tremoille prit cet etonnement pour de la terreur. Avec une douceur inattendue, il remonta le drap de soie sur le corps blesse.

N'aie pas peur, petite ! Je ne te ferai aucun mal, moi... Je ne suis pas une brute et je venere trop la beaute pour en user avec cette barbarie.

Tu m'appartenais et il a ose te frapper, te blesser alors que tu devais venir chez moi des ce matin.

Apparemment, songea Catherine, c'etait ce qu'il pardonnait le moins : que Gilles eut ose abimer quelque chose qu'il considerait comme son bien. Son indignation eut sans doute ete aussi forte pour un chien, ou un cheval, ou une piece d'orfevrerie... Mais elle decida d'en profiter tout de meme.

— Seigneur, pria-t-elle, ne pourriez-vous envoyer une servante qui soignerait mon epaule ? Elle me fait affreusement mal et...

— Je vais non seulement envoyer des servantes, mais encore des valets. On va te transporter chez moi sur l'heure, belle Tchalai... c'est bien la ton nom, n'est-ce pas ?... Tu seras soignee, reconfortee, et moi je veillerai sur toi jusqu'a ton retablissement total.

— Mais... monseigneur de Rais ?

Un pli mechant se forma au coin des grosses levres humides.

— Tu n'en entendras plus parler ! Chez moi, nul n'ose entrer sans ma permission, lui comme les autres ! Il sait trop que, s'il se le permettait, je le renverrais au plus vite dans son manoir d'Anjou.

Attends-moi... je reviens.

II allait sortir, mais, pousse par une convoitise qu'il ne pouvait tout de meme pas maitriser, il posa, pardessus le drap, sa main sur la cuisse de Catherine et la caressa.

— Plus vite tu seras guerie, petite, et plus vite je serai heureux !

Car, ensuite, tu seras tres gentille avec moi, n'est-ce pas ?

— Je suis votre servante, seigneur..., balbutia Catherine, inquiete d'entendre son souffle se faire plus court, mais, pour l'heure, je me sens si mal, si mal...

Il retira sa main a regret, mais ce fut pour lui tapoter la joue.

— Allons, il faut etre raisonnable ! Ce n'en sera que plus agreable plus tard.

Cette fois, il sortit reellement, a une vitesse dont Catherine, soulagee, eut cru pareille masse incapable. La porte claqua derriere lui avec un bruit de tonnerre. Ne pouvant penser davantage, la jeune femme ferma les yeux, attendant qu'on vint s'occuper d'elle. La pensee d'aller chez La Tremoille ne lui faisait pas peur. Rien ne pouvait etre pire que la nuit affreuse qu'elle venait de vivre... et puis n'etait-ce pas cela qu'elle etait venue chercher : l'entree chez son ennemi ?

Quelques instants plus tard, deux vieilles servantes, si laides et si ridees qu'elles rappelerent a Catherine la vieille phuri dai, vinrent s'occuper d'elle. Ses blessures furent lavees, enduites de baume, pansees sans que les deux vieilles eussent profere une parole. Elles etaient extraordinairement semblables et, dans leurs vetements noirs, ressemblaient a des statues funebres, mais leurs mains avaient une agilite et une souplesse extremes. Quand elles en eurent fini avec elle, Catherine se sentit deja mieux. Et lorsqu'elle voulut les remercier, les deux vieilles s'inclinerent sans repondre et allerent s'asseoir au pied du lit, sans plus bouger que des souches. Au bout d'un moment, l'une d'elles claqua dans ses mains et des valets apparurent portant une sorte de civiere sur laquelle les deux vieilles placerent Catherine revetue d'une chemise, de sa dalmatique blanche et d'une couverture de laine.

Le cortege s'engagea dans l'etroit escalier du donjon pour gagner l'etage superieur a la porte duquel attendaient deux valets porteurs de torches. L'un d'eux se pencha lorsque la civiere passa aupres de lui et Catherine retint une exclamation de surprise. Sous la livree aux aiglettes d'azur de La Tremoille, elle venait de reconnaitre, barbu et abondamment chevelu, Tristan l'Hermite en personne !

Elle ne chercha meme pas a comprendre comment il etait venu la.

Une veritable maree de soulagement la submergea ; fermant les yeux, elle se laissa emporter vers sa nouvelle prison.

La facon dont on installa Catherine lui donna une idee du prix que le Grand Chambellan attachait a sa personne. Introduite dans l'une des tourelles qui accolaient le donjon, elle ne vit d'abord qu'un grand lit a courtines de serge rouge qui occupait la plus grande partie de cette petite chambre, eclairee par une mince fenetre. Catherine y fut couchee fort soigneusement sur des matelas fort doux puis laissee a la garde des deux vieilles, ce qui ne lui causa aucun plaisir. Il y en avait toujours une dans sa chambre accroupie au pied du lit, aussi immobile et silencieuse qu'une pierre.

La jeune femme decouvrit bientot la raison de ce silence. Les deux femmes, deux jumelles, etaient muettes. Il y avait bien longtemps qu'on leur avait coupe la langue afin de les rendre definitivement discretes. Elles etaient Grecques d'origine, comme La Tremoille en informa Catherine, mais sans lui apprendre par quel obscur cheminement ces femmes etaient venues du marche aux esclaves d'Alexandrie a la cour du roi Charles VII. Le Grand Chambellan les avait gagnees aux echecs, voici bien des annees, au prince d'Orange.

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