Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
— Appuyez-vous sur moi sans crainte... Sous le porche nous trouverons mes gens qui vous porteront chez vous.
Loyse avait couru en avant, ouvert la porte de l'eglise laissant entrer un large rai d'eclatante lumiere blonde, tout le soleil du dehors attenue malgre tout par l'ombre du profond porche. Catherine put voir le visage de celui qui la tenait ainsi dans ses bras : c'etait Garin de Brazey.
— Oh, messire, fit-elle confuse, ne vous donnez pas ce mal... Mon pied parait moins douloureux. D'ici quelques instants je pourrai certainement marcher assez bien.
— Vous parliez de foulure pourtant ?
— C'est que la douleur a ete si forte qu'elle m'a porte au c?ur mais je la sens qui s'eloigne. Cela va bien mieux ! Grand merci, messire...
Sous le porche, elle se degageait du bras qui la tenait et qui ne tenta pas de la retenir, executait en rougissant une gentille reverence un peu chancelante.
— J'ai honte, messire, d'avoir trouble vos prieres...
Quelque chose qui pouvait passer pour un sourire
passa sur le visage de l'orfevre.
En pleine lumiere, le bandeau noir sur son ?il prenait toute sa valeur tragique et, dans tout ce noir qui le vetait, Garin de Brazey etait assez effrayant.
— Vous n'avez rien trouble, fit-il brievement, et la honte sied a un visage aussi charmant.
Ce n'etait pas un compliment, rien qu'une constatation calme et sincere. D'ailleurs, Catherine n'eut pas le temps de voir augmenter sa confusion. Deja, le gardien de la couronne s'inclinait brievement et s'eloignait vers le coin de la place ou un valet vetu de violet et d'argent maintenait un cheval noir, plein de feu. Catherine le suivait des yeux.
Elle le vit sauter en selle avec aisance et il s'eloigna par la rue des Forges.
— Si tu as fini tes mines, declara la voix seche de Loyse, nous pourrions rentrer. Tu sais que mere nous attend et que l'oncle Mathieu a besoin de toi pour ses comptes.
Catherine, sans repondre, suivit sa s?ur. Le chemin n'etait pas long entre l'eglise et la maison de la rue du Griffon ou Mathieu Gautherin abritait son commerce de tissus et sa vie de famille. En sortant, Catherine se tordit le cou afin de voir, au-dessus des fantastiques gargouilles de pierre, sculptees avec un art diabolique en facade de la grande eglise communale, l'amusant personnage de fer qui, a l'aide d'un marteau, frappait les heures sur une grosse cloche de bronze. On appelait Jacquemart ce personnage que le duc Philippe le Hardi, grand-pere du duc actuel, avait pris au beffroi de Courtrai, nombre d'annees plus tot, pour en chatier les habitants revoltes. Depuis, Jacquemart faisait partie des habitudes dijonnaises. Il etait devenu l'un des plus importants citoyens de la ville et Catherine ne manquait jamais de lui envoyer un regard amical sur sa tourelle courte.
— Tu viens ? s'impatienta Loyse.
— Oui, je viens ! Va donc !
Les deux jeunes filles, toujours l'une derriere l'autre, longerent le pourpris de l'hotel des Ducs. En vue de la fleche de la chapelle ducale, cerclee a mi-hauteur de la couronne fleurdelisee d'or, Loyse se signa devotement. Catherine en fit autant puis toutes deux s'engouffrerent dans l'etroite et tortueuse rue de la Verrerie. Loyse allait bon train et semblait de plus mauvaise humeur que de coutume. Visiblement, la rencontre fortuite avec le sire de Brazey l'avait indisposee car, hormis peut-etre l'oncle Mathieu qui n'osait trop s'interroger sur les sentiments qu'elle lui portait, Loyse haissait et meprisait tous les hommes en masse. Catherine ne voulant pas exciter davantage sa hargne pressa le pas malgre la legere douleur qu'elle ressentait toujours. On prit la rue de la Draperie qui etait courte puis la rue du Griffon qui lui faisait suite. Un instant plus tard, Catherine et sa s?ur franchissaient le seuil de la boutique de Mathieu a l'enseigne du Grand Saint Bonaventure.
Depuis son retour de Flandres, Catherine avait l'impression de vivre dans une peau qui n'etait pas tout a fait la sienne et dans laquelle elle se sentait mal a l'aise. Elle avait eu beaucoup de mal a rentrer dans l'ordre familial, si soigneusement etabli depuis des annees, si immuable et l'orniere ou roulait sa vie tranquille de petite bourgeoise lui
semblait
maintenant
bien
plus
profonde,
etrangement
inconfortable.
Il avait fallu une toute petite chose pour l'arracher a son univers paisible, un peu incolore et pour la jeter dans des chemins inconnus. Il avait fallu une simple gifle appliquee sur la joue d'un pelletier gantois trop entreprenant pour dechainer le destin. Cette gifle avait retarde leur depart de Bruges tout en la jetant presque aux bras du duc Philippe et ce retard les avait amenes a point nomme pour porter secours a un chevalier blesse. Une minute, Catherine avait vu s'entrouvrir les portes d'un avenir eblouissant et puis ces portes s'etaient refermees, avec le claquement sec d'une autre gifle. En principe, le cercle etait ferme, d'une gifle a l'autre, mais la jeune fille savait bien qu'il n'en etait rien, que quelque chose viendrait.
Pour en etre sure, il lui suffisait de regarder le superbe perroquet qui sommeillait sur son perchoir dore, dans un coin de sa chambre, pres de la fenetre, un magnifique oiseau aux plumes bleues touchees d'ecarlate qu'un page avait apporte un matin au nom du duc et que l'oncle Mathieu avait eu bonne envie de renvoyer d'ou il venait.
Catherine rit toute seule en se rappelant l'arrivee de l'oiseau et la stupeur indignee du drapier devant cet animal etrange dont l'?il rond et arrogant l'examinait sans indulgence. En apprenant que l'oiseau etait pour Catherine et que le duc en personne l'envoyait, Mathieu etait devenu rouge de colere.
— Monseigneur Philippe nous fait trop d'honneur ! fit-il au page impassible qui attendait qu'on le debarrassat de son fardeau, mais ma niece est fille et ne doit pas recevoir de si precieux cadeau.
Il ne savait comment expliquer son idee sans blesser son seigneur, mais le page avait bien compris ce que cela voulait dire.
— Je ne peux remporter Gedeon, dit-il. Ce serait offenser Monseigneur.
— Mais moi, repliqua Mathieu, Monseigneur m'offense en supposant que ma niece pourrait accueillir ses hommages. La reputation d'une fille est fragile.
C'est alors que Gedeon, trouvant que la discussion s'eternisait, etait entre dans le debat. Ouvrant son grand bec rouge qui le faisait ressembler vaguement de profil a l'oncle Mathieu, il avait clame :
— Gloirrrrrrrre... au duc ! Gloirrrrrre... au duc !...
Mathieu avait ete tellement stupefait d'entendre parler l'oiseau qu'il avait laisse le page repartir sans plus songer a le retenir. Et Catherine qui s'etouffait de rire avait pu emporter dans sa chambre le papegeai.
Il continuait a hurler. Depuis, Gedeon etait la grande recreation de la maison, et meme de l'oncle Mathieu. Tous deux se disputaient ferocement.
Apres s'etre recoiffee devant son miroir, Catherine s'appretait a redescendre quand le pas d'un cheval dans la rue l'attira a la fenetre.
Une epaisse couche de poussiere se levait sous les pas de l'animal car les rues de Dijon n'etaient pas encore pavees. Passant lentement entre la double rangee de maisons aux fenetres desquelles s'agitaient les menageres, elle reconnut Garin de Brazey et n'eut pas le temps de s'etonner. L'argentier, la tete levee, l'avait apercue a sa fenetre et la saluait gravement. Rougissante, elle rendit le salut et se retira au fond de la piece ne sachant trop comment interpreter cette nouvelle rencontre, suivant de si pres la premiere. Venait-il acheter des etoffes
? Mais non, le pas du cheval s'eloignait. Lissant machinalement du doigt sa jupe de toile vert amande garnie d'un simple galon blanc, la jeune fille descendit retrouver Mathieu.
Elle trouva le drapier dans le reduit ou il serrait ses livres. Penche sur le pupitre de bois noir, une plume d'oie a l'oreille, il faisait des comptes dans un enorme livre relie en parchemin tandis que, dans la boutique, ses aides deballaient un gros colis de tissus tout juste arrive d'Italie. Voyant que Mathieu etait trop absorbe pour lui preter attention, elle alla aider le vieux Pierre a ranger les nouvelles pieces.