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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗

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A le voir cligner des yeux dans la lumiere diffuse de l'escalier, elle songea qu'il ressemblait plus que jamais a un hibou deniche. Mais elle ne s'expliqua pas l'effroi qui semblait le posseder... Il la regarda sans surprise, comme si sa presence en ce lieu, a cette heure, etait toute naturelle. Il s'appuya a la muraille, respirant difficilement. Elle le vit porter une main tremblante a son col, tirer dessus pour en desserrer l'etreinte. Il avait l'air d'etouffer et fermait les yeux.

— Seigneur, chuchota-t-elle, vous etes souffrant ?

Les epaisses paupieres plissees battirent. Au comble

de la stupeur, Catherine vit une larme rouler le long du grand nez courbe. Dans le regard toujours si dur de Jean de Craon, il y avait du desespoir et aussi une sorte de desarroi presque enfantin. Elle se pencha vers lui, le toucha a l'epaule.

— Puis-je quelque chose pour vous ?

La voix de Catherine parut enfin percer l'etat de semi-somnambulisme dans lequel le vieux sire se mouvait. Il la regarda et un peu de vie revint dans ses yeux.

— Venez !... chuchota-t-il, ne restez pas ici !

— Mais il faut que je reste. Je veux voir votre petit- fils et...

— Voir Gilles ! Voir ce... Non, venez, venez vite, vous etes en danger...

Sa main seche et noueuse agrippa le bras de Catherine, l'entrainant irresistiblement. Cette main tremblait, mais soudain il la lacha, appuya sa tete au mur et se mit a vomir. Le visage ride avait pris une teinte verdatre dont Catherine s'epouvanta.

— Vous etes malade, tres malade, Seigneur ! Laissez-moi appeler.

— Surtout... n'en faites rien ! Merci de votre pitie, mais venez... venez !

La voix n'etait qu'un souffle et se brisait, mais deja Jean de Craon s'etait ressaisi et continuait a descendre. Parvenu a l'etage inferieur, il s'arreta, regarda en haut comme s'il craignait de voir paraitre quelque silhouette inquietante, puis reporta sur la jeune femme tremblante ses yeux vacillants.

— Dame Catherine, murmura-t-il, je vous demande de ne pas me poser de questions. Le hasard... et aussi la curiosite m'ont pousse a surprendre le secret des nuits de mon... de Gilles. C'est un secret d'horreur. En un instant, j'ai vu crouler a mes pieds tout ce qui avait ete ma vie, tout ce a quoi je croyais. Il ne me reste plus qu'a prier Dieu de me vouloir bien accueillir en son sein avant qu'il soit longtemps. Je suis...

Il s'arreta, cherchant le souffle qui lui manquait. Il acheva enfin, avec une infinie tristesse :

— Je suis un vieil homme maintenant et ma vie n'a pas toujours ete exemplaire, loin de la. Pourtant... je ne croyais pas avoir merite cela. Cette...

Sa figure anguleuse s'empourpra soudain sous la poussee d'une colere qui ne voulait pas sortir. Catherine hocha la tete et dit. tout doucement :

— Seigneur... je ne veux pas percer les secrets des votres. Mais j'ai une vie humaine a defendre. Demain a l'aube...

— Quoi donc ? fit Craon d'un air egare. Ah... votre servante ?

— Oui, je vous en prie...

Elle s'appuya a la muraille, videe soudain de ses forces, les yeux remplis de larmes.

— Pour la sauver, j'entrerais chez Satan lui-meme, balbutia-t-elle.

— Gilles est pire que Satan !...

Du visage palissant de Catherine, le regard du vieux sire glissa a sa taille deformee, s'y attacha comme s'il decouvrait subitement l'etat de la jeune femme. Et, dans ses yeux, elle revit l'effroi de tout a l'heure.

— C'est vrai, dit-il, vous allez etre mere... Vous portez un enfant en vous ! Un enfant... Mon Dieu !

Brusquement, il l'agrippa aux epaules, approcha du sien son visage crispe d'angoisse et souffla :

— Dame Catherine... Il ne faut pas que vous restiez dans ce chateau. C'est un lieu maudit. Il faut que vous partiez...

vite... cette nuit meme !

Ranimee, soudain, elle le regarda avec stupeur.

— Comment le pourrai-je ? Je suis prisonniere...

— Non, moi je vais vous faire sortir... tout de suite ! Qu'au moins je vous sauve, vous... qu'au moins il y ait dans ma vie cette bonne action.

— Je ne partirai pas sans Sara...

— Allez vous preparer. Je vais la chercher. Faites vite, puis descendez et attendez-moi pres de la porterie.

Il avait deja un pied sur la marche inferieure pour descendre au rez-de-chaussee quand Catherine le retint.

— Mais, dit-elle, monseigneur Gilles ? Que dira- t-il ? N'aurez-vous pas a craindre...

Soudain, le vieux Craon redevint en une seconde le seigneur hautain et dur qu'elle avait connu.

— Rien ! coupa-t-il. Si bas que soit tombe le sire de Rais, je suis toujours son grand-pere ! Il n'osera pas ! Allons, pressez-vous ! Il faut qu'a l'aube vous soyez hors d'atteinte.

Catherine ne se le fit pas dire deux fois. Oubliant a la fois sa fatigue et sa peur, elle retroussa a deux mains sa robe et se mit a courir vers sa chambre, priant tout bas pour que cet espoir ne fut pas vain et que rien ne vint faire revenir le vieux sire sur sa decision genereuse. Elle fit hativement un ballot des choses les plus precieuses qu'elle possedat et des quelques vetements de Sara, glissa l'or qui lui restait dans la poche cousue sur sa chemise, s'enveloppa etroitement de sa mante, prit celle de Sara sur son bras, puis, jetant le ballot sur son epaule, elle sortit sans se retourner de cette chambre ou elle avait passe des heures penibles. Il y avait longtemps qu'elle ne s'etait sentie aussi legere !

Quand elle atteignit la porterie, elle vit Craon qui sortait du quartier des prisons suivi d'une forme chancelante. A la lumiere de la torche qu'il tenait a la main, Catherine reconnut Sara bien qu'elle fut amaigrie et horriblement pale. Elle courut a elle, les bras ouverts.

— Sara... ma bonne Sara ! Enfin je te retrouve !

Sans repondre, la bohemienne se serra contre elle

en sanglotant. C'etait la premiere fois que Catherine voyait pleurer Sara et elle en conclut que les nerfs de la pauvre femme avaient du etre soumis a rude epreuve.

— C'est fini, murmura-t-elle tendrement, on ne te fera plus de mal...

Mais Jean de Craon tournait vers le fond obscur de la cour un regard inquiet.

— Ce n'est pas le moment de parler. Venez. Il faut encore passer dans la basse-cour et prendre des chevaux aux ecuries. Pressez-vous. Je vais ouvrir la petite porte.

D'un enorme trousseau de clefs qu'il portail a sa ceinture, il tira une clef, l'introduisit dans la serrure de la poterne qui donnait dans la premiere enceinte.

— Mais... les hommes de garde ? chuchota Catherine.

— Si vous me suivez pas a pas, ils ne vous verront pas. Je vais eteindre la torche. Nous devons prendre certaines precautions pour ne pas donner l'eveil. Rien ne vous sauverait si Gilles etait alerte !

Ce fut l'obscurite totale. S'y engloutirent le decor imposant de la cour d'honneur et le sinistre bucher, derisoire maintenant, mais qui stimulait la hate de sortir des deux femmes. La porte pourtant ne s'ouvrait pas. Catherine entendait Jean de Craon respirer vite et fort et s'en inquietait.

— Pourquoi n'ouvrez-vous pas ? demanda-t-elle.

— Parce que je reflechis. Je dois changer mon plan initial. Les gardes de l'ecurie vous verraient. Ecoutez moi bien. Je vais ouvrir et vous sortirez seules. La basse-cour n'est eclairee que vers les ecuries et vers le poste de garde. Encore est-ce tres peu. Vous longerez le mur jusqu'au renfoncement pres de la poterne et la vous m'attendrez. Je vais me rendre ouvertement a l'ecurie, prendre deux chevaux et je sortirai avec eux en disant que je vais a l'abbaye. Je vais parfois chercher l'abbe pour chasser le heron au petit jour, c'est la seule chasse que je puisse encore suivre. De plus, il n'est pas rare que je sorte la nuit. Mes insomnies sont connues et j'aime errer sur les bords de Loire. Vous vous glisserez dehors en meme temps que les chevaux. Les hommes ne vous verront pas. La, vous sauterez en selle et vous franchirez le pont. De l'autre cote de la langue de terre vous trouverez un passeur. A Montjean, vous serez en surete, a condition de ne pas vous attarder.

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