Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Mon Dieu !... priait Catherine, machinalement, a mi-voix... Mon Dieu !
Elle ne savait rien dire de plus. Dans un pareil danger, seule la toute-puissance divine pouvait quelque chose... Les bras de Gauthier semblaient deux colonnes de chair massive, saillantes de muscles et de veines bleues tordues comme des cordes, qui retenaient la bete au-dessus de lui. D'un irresistible coup de reins, il parvint a retourner la situation, coucha le leopard sous lui, non sans essuyer encore quelques coups de griffes. L'animal s'essoufflait, tentait furieusement de liberer sa gorge de l'etau meurtrier. L'odeur du sang le rendait fou, mais Gauthier tenait bon. Ses mains enormes serraient, serraient, prenant bien garde de ne pas glisser sur la fourrure...
Le visage du grand Normand etait ecarlate, crispe et grimacant comme un masque demoniaque. Le sang coulait de son torse lacere, mais aucune plainte ne lui echappait. Soudain, il y eut un craquement suivi d'un feulement plaintif. Et Gauthier se releva, titubant. A ses pieds, le felin noir et jaune demeura immobile, l'echine rompue. Le grand corps ocelle s'etendit, les pattes retomberent. Un soupir de soulagement s'echappa de la poitrine des deux femmes. Anne de Craon eut un petit rire nerveux.
— Sang du Christ ! Mon garcon, vous eussiez fait un veneur redoutable ! Comment vous sentez-vous ?
Elle sauta a bas de son cheval, lancant les renes a Catherine, et courut vers Gauthier. A son tour, Catherine mit pied a terre et vint les rejoindre. Tandis que la vieille chatelaine palpait les epaules blessees du forestier, il regarda Catherine et murmura avec une immense surprise :
— Vous pleurez, dame Catherine, vous pleurez... pour moi ?
— J'ai eu si peur, mon ami ! fit la jeune femme en essayant bravement de sourire. Jamais je n'aurais cru que tu viendrais a bout de ce fauve !
Bah ! Si l'on oublie les griffes, il n'est guere plus fort qu'un gros solitaire. Il m'est arrive bien sou vent de lutter a mains nues avec les sangliers de la foret d'Ecouves.
Tirant son mouchoir, Catherine entreprit d'etancher le sang et de laver les blessures a l'eau d'une petite source qui coulait entre les rochers.
— Qu'allons-nous faire de lui ? demanda-t-elle a Anne qui sacrifiait bravement son voile et son mouchoir pour faire un pansement. Il est loin d'etre sauve. Ecoutez !
En effet, dans les profondeurs de la foret, les echos de la chasse semblaient plus proches. Les piqueurs sonnaient de la trompe a s'arracher la gorge.
— On dirait qu'ils se rapprochent ! dit Anne, l'oreille au guet. Nous n'avons plus une seconde a perdre. Sautez en croupe derriere moi, mon ami. La haquenee de dame Catherine est trop fragile pour votre poids... En selle, et vite ! Vos epreuves ne sont pas terminees, mais, du moins, nous allons essayer de vous arracher aux chiens. Vous ne pourriez pas soutenir, dans cet etat, la lutte contre une meute feroce.
Catherine remonta en selle sans aide tandis qu'Anne enfourchait de nouveau son grand alezan sur la croupe duquel Gauthier sauta a son tour.
— Allons ! fit joyeusement la vieille dame. Suivez- moi de pres, Catherine...
Malgre sa double charge, l'alezan dore s'enleva comme une plume. La petite jument blanche le suivit docilement. Il y avait beau temps que Morgane avait cesse de resister a Catherine. La race, en elle, avait senti une main souveraine et ne se rebellait plus. La course folle reprit. On franchit un ruisseau a l'eau claire comme du cristal qui avait des reflets ambres au soleil, brun rouge a l'ombre. Derriere, on trouva des rochers peu eleves que les chevaux escaladerent aisement.
— Pas de trace possible sur la pierre, cria Anne. Ne me serrez pas tant, mon ami, vous m'etouffez. Je ne suis pas le leopard, moi !
En effet, Gauthier avait ceinture l'intrepide chasseresse et ne mesurait pas suffisamment ses forces. Sous sa coiffure verte, elle etait tres rouge. Catherine l'entendit marmonner :
— Il y a bougrement longtemps qu'on ne m'a pas pince la taille !
Mais les cavaliers ne ralentissaient pas pour autant. Le bruit de la chasse s'estompait dans le lointain et, bientot, une etendue d'eau aux eclats de mercure brilla entre les arbres clairsemes. Naseaux fumants, les deux betes jaillirent de la foret.
— C'est seulement un petit bras de la Loire, dit Anne. Il faut traverser. Ce n'est pas profond...
Elle lanca son cheval dans l'eau, la franchit aisement et reprit pied sur une grande prairie ou paissaient des moutons. La silhouette noire d'un vieux berger en houppelande se dessinait sur les nuages d'un ciel qui s'obscurcissait. On parvint bientot au fleuve proprement dit. Il s'etalait, large, jaune et tumultueux, grossi des dernieres pluies. De l'autre cote se dressaient des maisonnettes, un chateau et un petit port avec des navires ronds, tasses dedans comme des ?ufs dans une couveuse. Anne de Craon arreta son cheval au bord de l'eau, designa le village de sa houssine.
— La-bas, c'est Montjean, le fief de ma fille Beatrice, la mere de la dame de Rais. Elle n'a jamais eu a se louer de son gendre. Les hommes de Gilles ne s'aventurent jamais sur ses terres depuis qu'il a tente de les arracher a Beatrice en menacant de la noyer en Loire. Savez-vous nager, mon garcon ?
— Comme un saumon, noble dame ! Il ferait beau voir qu'un Normand ne sut pas nager.
— Peut-etre, mais vous avez perdu beaucoup de sang. Aurez-vous la force de traverser ? La Loire est rude a cet endroit. Malheureusement, votre salut est a ce prix.
— J'aurai la force, repondit le Normand, les yeux sur Catherine qui lui souriait. Et, une fois a Montjean, que ferai-je ?
— Allez au castel. Dites au senechal Martin Berlot que je vous envoie et attendez.
— Quoi ? Ne puis-je demander du secours pour dame Catherine ?
Anne de Craon haussa les epaules.
— Il n'y a pas dix soldats a Montjean et le seul nom de Gilles les fait rentrer sous terre. Ce sera deja beaucoup que Berlot vous recoive sans histoire. S'il se fait tirer l'oreille, dites-lui que je le ferai pendre a la premiere occasion ; cela le decidera. Quant au reste, mieux vaudra voir venir et attendre que votre maitresse parvienne a sortir du guepier ou elle est tombee. A moins, ajouta-t-elle avec hauteur, que vous ne preferiez rentrer chez vous...
— La ou est dame Catherine, la est mon chez-moi ! affirma Gauthier avec un orgueil qui contrebalancait celui d'Anne.
Celle-ci eut un mince sourire.
— Tete dure, hein ? Tu n'es pas normand pour rien, l'ami ! Fais vite maintenant, il faut que nous rentrions.
Pour toute reponse, Gauthier glissa a terre, se tourna vers Catherine qui, les larmes aux yeux, le regardait du haut de sa selle.
— Dame, fit-il ardemment, je suis toujours votre serviteur et je vous attendrai autant qu'il vous plaira. Prenez soin de vous.
— Prends soin de toi ! repondit la jeune femme, enrouee par l'emotion. J'aurais peine a te perdre, Gauthier.
Spontanement, elle lui tendit sa main sur laquelle, avec une brusquerie maladroite, il appuya ses levres. Puis, sans se retourner, il courut au bord de la petite greve, plongea dans le fleuve. Les deux femmes le virent fendre l'eau d'une nage puissante. Ses immenses bras frappaient le flot jaunatre comme un forgeron son enclume et, tracant un sillon ecumeux, Gauthier se dirigea vers le milieu du fleuve. Catherine, lentement, se signa.
— Dieu le protege... murmura-t-elle, bien qu'il ne croie pas en lui.
Anne de Craon eut un bref eclat de rire. Ses yeux vifs se poserent sur la jeune femme avec amusement.
— J'aimerais bien savoir, ma chere, ou diable vous recrutez vos serviteurs. Vous n'en avez que deux, mais ils sont pittoresques ; une fille de Boheme et un paien nordique. Peste !
— Oh, fit Catherine avec un sourire melancolique, j'avais mieux encore, un medecin maure... un homme merveilleux !
Une echarpe de brume qui trainait a ras de l'eau engloutit bientot la grosse tete rousse du Normand. Anne de Craon fit volter son cheval.