Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
Moi, je trouve Caboche magnifique.
Furieuse l'adolescente tapa du pied.
— Pas moi ! Et si tu l'avais vu, hier soir, chez nous, criant et menacant mon pere, tu ne le trouverais pas magnifique du tout.
— Il a menace maitre Legoix ? Mais pourquoi ?
Instinctivement, Landry avait baisse la voix de plusieurs tons, bien que personne ne fit attention a eux et que le vacarme fut intense.
Catherine en fit autant. A voix basse, elle raconta a son ami comment, la veille au soir, alors que la nuit etait presque en son mitan, Caboche etait venu chez eux avec Pierre Cauchon et le cousin Guillaume Legoix ; le riche boucher de la rue d'Enfer Les trois chefs de l'insurrection parisienne avaient une intention bien arretee en franchissant le seuil de l'orfevre : obtenir l'adhesion de Gaucher Legoix a leur mouvement. Cinquantenier de la milice parisienne, Gaucher etait l'un des chefs communaux les plus respectes et les mieux ecoutes. Peut-etre parce qu'il etait un homme calme, ami de la paix et qui avait toute violence en horreur. La vue du sang le faisait defaillir bien qu'il fut brave et doue d'un tranquille courage.
Cette horreur physique du sang etait la raison pour laquelle ce fils de grand boucher avait abandonne la corporation et la maison paternelle pour se placer comme apprenti chez maitre Andre d'Epernon, le grand orfevre, creant ainsi, avec les orgueilleux Legoix, incapables de comprendre ses delicatesses, une totale rupture.
Peu a peu, le talent de Gaucher avait amene l'aisance dans la maison du Pont-au-Change. Couvertures d'evangeliaires, plats ouvrages, gardes d'epees ou de poignards, salieres, nefs de table sortaient de plus en plus frequemment de son modeste atelier pour des destinations toujours plus elevees. En verite, le renom de Gaucher Legoix grandissait sur la place de Paris et son appui n'etait pas negligeable pour les trois meneurs.
Ils s'etaient heurtes a un refus net. Sans grandes phrases, Gaucher leur avait signifie son intention de demeurer fidele au Roi et au Prevot de Paris qui etait justement Andre d'Epernon.
— Je tiens ma charge de par le Roi et de par Mes- sire le Prevot, je ne ferai pas marcher mes hommes contre la demeure de mon souverain.
Ton souverain est fou, son entourage traitre, avait fulmine Guillaume Legoix, le cousin boucher. Le vrai roi c'est Monseigneur de Bourgogne. Hors lui, point de salut !...
Gaucher ne s'etait pas trouble devant le gros visage, rouge de colere du maitre-boucher.
— Quand Monseigneur de Bourgogne aura recu l'onction sainte, alors je plierai le genou devant lui et l'appellerai mon Roi. Mais jusque-la je ne reconnais pour maitre que Charles, Sixieme du nom, que Dieu nous veuille rendre en sante et sain jugement !
Ces simples paroles avaient eu le don de dechainer la fureur des trois visiteurs. Tous s'etaient mis a crier comme des sourds a la grande terreur de Catherine et des femmes qui, tapies au coin de l'atre, attendaient la fin du debat.
Comme ces hommes lui semblaient mechants, dresses tous trois, grands et forts, autour de la frele silhouette de son pere. Mais, dans sa petite taille, c'etait encore lui qui etait le plus grand parce que son visage ferme demeurait serein et qu'il ne criait pas.
Caboche, soudain, avait brandi un poing noueux sous le nez de l'orfevre.
— Vous avez jusqu'a demain soir pour vous decider, maitre Legoix. Si vous n'etes pas avec nous, vous serez contre nous et en subirez les consequences. Vous savez ce qui arrive a ceux qui tiennent pour les Armagnacs ?
— Si vous voulez dire que vous brulerez ma maison, je ne pourrai vous en empecher. Mais vous ne me ferez pas marcher contre ma conscience. Je ne suis pas Armagnac, pas plus que Bourguignon. Je suis bon Francais de France, craignant Dieu et servant son roi. Jamais je ne leverai les armes contre lui !
Laissant aux mains de ses comperes l'obstine orfevre, Caboche s'etait alors approche de Loyse. Contre son propre corps, Catherine avait senti se raidir celui de sa s?ur quand l'ecorcheur s'etait plante devant elle. A cette epoque ou il etait courant, dans les grandes familles, de marier les filles a peine formees, les treize ans de l'adolescente pouvaient comprendre bien des choses.
D'ailleurs Simon Caboche ne cachait nullement le gout qu'il avait pour Loyse. Il ne manquait pas une occasion de la poursuivre quand, par hasard, il pouvait la rencontrer. Ce qui n'etait pas toujours facile car Loyse, hormis pour se rendre aux offices a la proche eglise Saint-Leufroy, situee au bout du pont, ou bien pour aller porter des secours a la recluse de Sainte-Opportune, ne quittait pratiquement jamais la maison de ses parents. C'etait une fille silencieuse et secrete dont les dix-sept ans avaient plus de gravite que bien des ages murs. Elle allait et venait dans la maison, a pas legers, sans faire plus de bruit qu'une souris, ses yeux bleus continuellement baisses, le beguin de toile toujours etroitement serre sur les nattes d'un blond pale, menant deja aupres des siens la vie du cloitre a laquelle, depuis son plus jeune age, elle aspirait.
Catherine admirait sa s?ur mais la craignait un peu et ne la comprenait pas du tout. Loyse eut ete jolie et fraiche si elle n'avait tant aime les mortifications et si elle avait su sourire. Mince sans maigreur, avec un joli corps souple et flexible, elle avait des traits fins, le nez un peu trop long mais une bouche bien dessinee et un teint tres blanc, presque transparent. Catherine, qui eclatait de vitalite, qui n'aimait que le bruit, le mouvement, la gaiete et les chansons, ne s'expliquait pas ce qui pouvait, en cette future nonne, attirer le gigantesque, le tonitruant Caboche si visiblement jouisseur et materialiste. Quant a Loyse elle- meme, il etait bien evident que Caboche lui faisait horreur et qu'elle n'etait pas loin de voir en lui l'incarnation du Diable. Elle se signa d'ailleurs precipitamment quand il vint vers elle. Caboche fit la grimace.
— Je ne suis pas messire Satan, ma belle, pour qu'on m'accueille de la sorte. Et vous auriez meilleur temps en persuadant votre pere de mettre sa main dans la mienne.
Les yeux rives a la pointe de ses souliers, Loyse murmura :
— Je ne saurais ! Ce n'est point a une fille de conseiller son pere.
Ce qu'il fait est bien fait...
Dans la poche de son tablier, elle cherchait furtivement son chapelet sur lequel ses doigts se refermerent. Puis elle se detourna pour secouer les buches dans l'atre, faisant bien comprendre a Caboche qu'elle ne souhaitait pas poursuivre l'entretien. Un eclair de colere brilla dans les yeux pales de l'ecorcheur.
— Demain a pareille heure, on sera peut-etre moins fiere, la Loyse, quand mes hommes viendront vous arracher a votre lit pour s'amuser de vous ! Mais soyez tranquille, c'est moi qui serai le premier...
Il recula subitement parce que Gaucher Legoix l'avait saisi au collet pour le tirer dehors. L'orfevre etait blanc de colere et la rage decuplait ses forces. Sous sa main maigre Caboche chancela.
— Hors d'ici, cria-t-il la voix tremblante d'indignation, hors d'ici vil pourceau ! Et que je ne te voie plus roder autour de ma fille !
— Ta fille, ricana Caboche, je l'aurai demain a mon plaisir... et bien d'autres apres moi si tu n'entends pas raison.
A la grande terreur de Catherine, Gaucher fou de rage lui sautait deja au visage mais Cauchon interposa sa robe noire entre les deux hommes, les separant de toute la longueur de ses grands bras.
— Assez ! fit-il froidement. L'heure n'est pas a ce genre de dispute.
Caboche est trop brutal et Legoix trop impulsif, trop entete aussi.
Nous allons nous retirer. La nuit, sans doute, portera conseil a chacun.
Et toi Gaucher Legoix, j'espere que tu entendras la voix ile la raison.
Assis sur une borne, Landry avait ecoute Catherine sans l'interrompre. «
Cette histoire lui donnait a penser et troublait le cours de ses idees.