Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
Tandis que Landry grimpait les marches et disparaissait par la porte basse, l'adolescente jeta un soupir de regret au rayon de lumiere qui, un bref instant, avait glisse sur les marches verdies. Il devait faire si beau la-haut, en ce jour de fin juin ! Barnabe promettait bien que, des que l'on aurait repris Loyse, on quitterait Paris, parce que ce serait plus prudent d'abord, mais ce moment semblait ne jamais vouloir venir. Reprendrait-on seulement Loyse ?
La jeune fille sentait la rage l'envahir quand elle pensait a sa grande s?ur. Elle ne savait pas bien ce qui pouvait arriver a Loyse, mais elle detestait Caboche de tout son c?ur. Il avait toujours ete la quand un malheur lui etait advenu.
L'attente ne fut pas longue. Une heure plus tard, Catherine vit revenir Landry. Il accompagnait un
1. Piper les des (argot coquillart).
homme si epouvantable qu'elle n'eut pas la moindre envie de quitter le renfoncement de la cheminee, eteinte pour le moment, ou Barnabe l'avait consignee, derriere sa mere. Tres souvent, elle avait apercu Machefer quand il presidait, la nuit, aux ripailles de son peuple miserable mais elle l'avait toujours vu dans sa pompe mi-burlesque, mi-sauvage de roi des truands. Jamais encore elle ne l'avait vu dans l'exercice de ses fonctions de mendiant. L'homme qu'elle avait devant elle etait plus petit de la tete que Barnabe. Il s'appuyait sur deux bequilles et la souquenille crasseuse qui le vetait etait monstrueusement distendue, sur le dos, par une bosse enorme remontant plus haut que la tete. Une de ses jambes, enveloppee de chiffons sanieux, etait recroquevillee sous lui et ce qui se voyait de sa peau semblait n'etre qu'une plaie purulente. Les etincelantes dents de carnassier, habilement noircies par place, imitaient a s'y meprendre des trous et paraissaient n'avoir laisse, dans la bouche de l'homme, que quelques chicots branlants. Seul, l'?il unique du truand brillait d'un vif eclat, son autre ?il mort, la seule infirmite de Machefer qui ne fut pas simulee, demeurant cache par un bandeau grisatre. Mais, en haut des marches, Machefer jeta ses bequilles, deplia sa jambe et degringola l'escalier avec l'agilite d'un jeune homme. Catherine retint un cri de stupeur.
— Que veux-tu ? Le gamin m'a dit que tu avais besoin de moi et tout de suite ! fit le truand.
— Il a dit vrai. Ecoute, Machefer, on n'est pas toujours d'accord, toi et moi, mais tu es le chef ici et tu as toujours ete ferme a la manche1. Tu vas certainement rigoler, mais ce que je te propose...
c'est une bonne action.
— Tu te fous de moi ?
I. Incapable de trahir les amis.
— Non. Ecoute plutot !...
Rapidement, Barnabe expliqua la situation a Machefer et ce qu'il attendait de lui. L'autre l'avait ecoute en silence, en se depouillant de ses faux ulceres d'un air meditatif. Quand Barnabe eut fini, il demanda seulement :
— Elle est belle, la fille ?
La main du Coquillart vint presser en silence celle de Jacquette qu'il sentait prete a reagir. Sa voix etait parfaitement unie quand il repondit
: — Gentille, sans plus ! Blonde mais trop pale. Elle ne te plairait pas... et puis elle n'aime pas les hommes. Rien que Dieu ! C'est une future nonne que Caboche a prise de force.
— Y en a qui sont mignonnes, fit Machefer songeur. Et Caboche est puissant pour le moment. S'attaquer a lui, c'est un gros morceau...
— Pas pour toi ! Qu'as-tu a craindre de Caboche, aujourd'hui puissant et qui, demain, ne sera peut-etre plus rien ?
— Possible. Mais j'ai quoi a gagner dans ton histoire, a part des coups ?
— Rien, fit Barnabe sechement. Seulement la gloire. Je ne t'ai jamais rien demande, Machefer, et bientot je retournerai retrouver mon roi a moi, le roi de la Coquille. Veux-tu que je dise a Jacquot de la Mer que Machefer le Borgne ne fait rien sans profit et ne sait pas rendre service a un ami ?
— Toutes ces discussions exasperaient Catherine. Elle brulait d'impatience de les voir se mettre a l'?uvre. Pourquoi tant de mots depenses, alors qu'il n'y avait qu'a courir chez la mere Caboche en force et en arracher Loyse ? Les reflexions de Machefer tiraient pourtant a leur fin. Assis sur la derniere marche, il fourrageait dans sa tignasse et se tirait l'oreille. Il se racla la gorge, cracha a cinq pas, puis se leva : Ca va ! Je suis ton homme ! Faut causer de tout ca et voir ce qu'on peut faire.
— Je savais bien qu'on pouvait compter sur toi. Allons chez Isabeau-la-Gourbaude1 boire un bol de cervoise. On en parlera en attendant la nuit. C'est la Saint-Jean d'ete. Il y aura plus a faire autour des feux, cette nuit que dans la journee...
Les deux hommes sortirent pour gagner le cabaret que tenait, sur la Cour meme, une fille folle qui savait comme personne attirer la pratique. Jacquette les avait regardes sortir avec des yeux agrandis.
Elle retenait une violente envie de pleurer.
— Dire qu'il faut confier le salut de ma fille a un pareil homme !...
— L'important, fit Catherine avec assurance, c'est de la retrouver.
Sara, a son tour, intervint. Souriante, elle attira l'adolescente contre elle et caressa les magnifiques cheveux dont, depuis la maladie de Catherine, elle avait pris l'habitude de s'occuper. La Tzingara eprouvait un plaisir presque sensuel a manier les epaisses nattes d'or roux, a les brosser, a les lisser avec des gestes doux et caressants.
— La petite a raison, dit-elle. Elle aura toujours raison, surtout contre les hommes. Parce qu'elle sera belle a en mourir d'amour.
Catherine la regarda gravement. Elle etait etonnee d'entendre dire qu'elle serait belle parce que, jusqu'ici, personne ne le lui avait jamais laisse supposer. On s'extasiait sur ses cheveux, parfois sur ses yeux qui etonnaient, mais rien de plus. Meme les garcons ne le lui disaient jamais. Ni Landry... ni Michel ! I ,a pensee du jeune mort vint soudain assombrir l'etonnement vaguement joyeux que lui causaient les paroles de Sara ; au fond, qu'elle fut belle ou pas I. La gourmande.
quand elle serait grande, quelle importance est-ce que cela pouvait avoir, puisque Michel ne le verrait pas ? Il etait le seul pour qui elle eut voulu etre vraiment tres belle. Maintenant, c'etait trop tard ! Mais elle dut lutter contre l'envie de pleurer qui la prenait chaque fois qu'elle pensait a lui.
Le souvenir du jeune homme lui faisait toujours mal et la blessure laisserait sans doute une cicatrice sensible.
— Cela m'est egal d'etre belle ou non, declara- t-elle enfin. Meme, je n'en ai pas envie du tout. Les hommes courent apres les belles. Ils leur font du mal... tellement de mal !
Malgre l'etonnement qu'elle lisait dans les yeux de Sara, elle ne s'expliqua pas davantage. Elle se sentait rougir, subitement, au souvenir des scenes nocturnes surprises tous ces derniers temps par le soupirail, au dechainement bestial dont la beaute de certaines filles entrevues les avaient rendues victimes. Les yeux de Sara ne la quittaient pas, comme si la fille des lointaines tribus possedait le pouvoir de lire aisement dans l'esprit de sa petite amie. Elle ne posa, d'ailleurs, aucune question, se contenta de sourire a sa maniere lente :
— Que tu le veuilles ou non, tu seras tres belle, Catherine.
Souviens-toi bien de ce que je te dis a cette heure ; tres belle, plus meme que tu ne le souhaiterais pour ton repos. Et tu n'aimeras qu'un seul homme... mais celui-la tu l'aimeras passionnement. Tu perdras pour lui le boire et le manger, tu quitteras pour lui ton lit et ta maison, tu t'en iras sur les routes a sa recherche, sans meme savoir s'il t'accueillera. Tu l'aimeras plus que toi-meme, plus que tout, plus que la vie...
Jamais je n'aimerai aucun homme, et surtout pas comme cela ! s'ecria l'adolescente en frappant furieusement du pied. Le seul que j'aurais voulu aimer est mort !
Elle s'interrompit, effrayee de ce qu'elle venait de dire et regarda vivement vers sa mere pour voir comment elle reagissait. Mais Jacquette n'avait pas entendu.