Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
Elle y trouva Loyse qui, en chemise, blanche d'effroi, tenta de l'arreter. La maison semblait pleine de monde. L'atelier grand ouvert, des hommes eventraient deja les armoires, se battant pour les aiguieres, les bassins d'orfevrerie. Laissant Loyse plaquee contre un mur, petrifiee de terreur, Catherine bondit dehors.
La, Michel se defendait encore au milieu d'un cercle infernal. Une foule hurlante bloquait la maison et le pont tout entier. Il y avait des lumieres a toutes les fenetres. L'etroite ruelle etait eclairee comme en plein jour. Avec horreur Catherine regarda toutes ces faces grimacantes, ces bouches tordues par la haine, ces poings tendus, ces armes brandies dont les fers brillaient sinistrement. Tout cela convergeait vers le prisonnier. Enchaine, il baissait la tete pour proteger autant qu'il le pouvait son visage des coups. Du sang coulait de sa joue, de sa levre fendue. D'affreuses femmes, brandissant des quenouilles, essayaient de lui crever les yeux.
Echappant a Loyse qui essayait de l'enfermer entre ses bras, Catherine plongea dans la foule, au risque de se faire echarper. Mais aucune force humaine n'aurait pu la retenir. Elle hurlait, elle sanglotait, elle suppliait que l'on fit grace tout en essayant, des griffes et des dents, de se frayer un chemin jusqu'a son ami. Quelque chose de chaud coula sur sa joue, suivant une douleur vive. C'etait du sang mais elle n'y preta pas attention. Elle etait au milieu de l'enfer, fragile forme enfantine jetee a des fauves.
— Michel ! criait-elle, Michel !... Attends ! Je viens !
Si grande etait sa volonte de reussir qu'elle gagnait du terrain, pouce par pouce. C'etait une epuisante bataille, le combat dementiel et demesure du passereau contre les vautours, mais l'enfant desesperee allait toujours, soutenue par un miracle de courage et d'amour. Puisque ces brutes allaient tuer Michel, qu'ils la tuent elle aussi et qu'ils s'en aillent ensemble chez Madame la Vierge et Monseigneur Jesus.
Michel cependant succombait sous les coups. Il titubait, tenu encore debout par un prodigieux instinct de conservation. Sourd, aveugle par le sang inondant son visage, il tomba sur les genoux. Son corps deja n'etait plus qu'une plaie saignante. Catherine l'entendit gemir.
— Mon Dieu !... faites-moi misericorde !
Une insulte ignoble lui repondit. A bout de forces, il se laissa glisser a terre. Cette fois c'etait fini. Catherine le sentit a la nouvelle poussee de la foule qui se jetait a la curee. Une voix cria :
— Voila Caboche !... Place, place .
Catherine, qui avait enfoui son visage meurtri dans ses mains pour ne plus voir, releva la tete. C'etait bien l'ecorcheur ! Il fendait la foule de ses epaules puissantes, semblable a un navire de haut bord dans la tempete. Derriere lui venaient le cousin Legoix et la longue figure pale de Pierre Cauchon. Pour lui livrer passage, la foule s'ecarta, degageant le corps de Michel qui apparut, pitoyable, recroqueville sur lui- meme. Avec un sanglot, Catherine courut a lui, profitant du jour ouvert, tomba a genoux et releva doucement la tete blonde poissee de sang. Le visage n'etait plus qu'une abominable bouillie, meconnaissable : le nez ecrase, la bouche dechiree, tumefiee sur les dents brisees, un ?il creve. Il gemissait doucement deja a moitie mort.
— Vous l'avez retrouve, fit, au-dessus d'elle, la voix de Caboche.
Ou etait-il ?
— Dans la cave a Gaucher Legoix. On se doutait bien qu'il etait de leur bord, fit quelqu'un. On va flamber sa baraque !
— Et tout le pont avec ! trancha sechement Caboche. C'est moi qui deciderai de ce qu'on fera.
A sa grande surprise, Catherine sentit un frisson parcourir le corps dechire qu'elle tenait embrasse. Michel murmura peniblement :
— Je me suis cache... chez eux. Ces gens ignoraient... ma presence.
— Ce n'est pas vrai, hurla Catherine. C'est moi qui...
Une main vigoureuse s'appliqua sur sa bouche et elle se sentit enlevee de terre. Elle se retrouva contre Caboche qui, d'un seul bras, la serrait sur sa poitrine.
— Tais-toi ! souffla-t-il dans le tumulte des cris, sinon je ne pourrai sauver aucun de vous... si meme j'y arrive !
A demi etouffee par les enormes muscles de l'ecorcheur, l'adolescente cessa de crier mais supplia a voix basse tandis que ses larmes venaient mouiller la main velue qui la tenait.
— Sauvez-le, je vous en supplie ! Je vous aimerai bien !...
— Je ne peux pas. Et puis, il est trop tard. Seule la mort sera une misericorde dans l'etat ou il est...
Avec horreur, Catherine le vit allonger un coup de pied au corps sanglant tandis qu'il criait :
On l'a retrouve, c'est le principal ! Finissons- en un peu vite ! Viens ici Guillaume Legoix. Montre- nous que tu es toujours un bon boucher malgre ta fortune. Acheve-nous cette charogne !
Le cousin Guillaume s'avanca. Il etait tres rouge lui aussi et il y avait du sang sur sa belle robe de velours brun. Malgre ses vetements couteux, il etait redevenu un ecorcheur comme les autres. Cela se lisait a la joie cruelle de son regard devant le sang repandu, dans le sourire de ses grosses levres humides. Il brandissait un tranchoir de boucher qui avait deja servi.
Caboche sentit se raidir le corps de Catherine dans son bras. Il sentit qu'elle allait crier, la baillonna de sa main libre tandis qu'il se penchait vers Guillaume et chuchotait vivement :
— Fais vite. Acheve-le proprement... a cause de la gamine.
Guillaume hocha la tete, se baissa vers Michel. La main de Caboche remonta misericordieusement de la bouche de Catherine a ses yeux qu'elle masqua. L'enfant ne vit plus rien mais elle entendit un rale sourd, suivi d'un affreux gargouillis. La foule hurla de joie. En se tordant comme une anguille, elle parvint a se glisser des bras de Caboche, tomba sur les genoux. Ses yeux s'agrandirent d'horreur et elle porta ses deux mains a sa bouche.
Devant elle, dans une mare de sang ou trempaient ses genoux, le corps decapite de Michel gisait, achevant de se vider du flux vital qui jaillissait a gros bouillons du cou tranche. Un peu plus loin, un homme portant le hoqueton vert des archers de Bourgogne plantait tranquillement la tete sur un fer de lance.
La vie se retira peu a peu du corps epuise de l'adolescente. En un instant tout en elle fut glace, ses mains, ses pieds. Mais un cri se mit a sortir de sa gorge, un cri atroce, aigu, qui montait vers un paroxysme insoutenable ou il se fixait maintenant, lancinant.
— Fais-la taire ! cria Legoix a Caboche. On dirait un chien qui hurle a la mort !
Caboche se pencha, voulut relever Catherine mais il l'enleva de terre sans qu'elle quittat sa position recroquevillee. Tout son corps etait raidi dans un spasme d'horreur, ses yeux etaient fixes, ses dents claquaient mais le cri inhumain montait toujours. D'une main nerveuse, l'emeutier voulut lui fermer la bouche. Elle tourna alors vers lui des yeux sans vie qui ne reconnaissaient rien. Le cri cessa brusquement mais fit place a un petit haletement de bete aux abois. Le visage convulse de la petite etait devenu gris comme la pierre. Une convulsion la tordit dans les bras de Caboche. Tout son corps etait parcouru d'atroces douleurs, comme si mille couteaux a la fois la dechiraient. Devant ses yeux, il n'y avait plus qu'un brouillard rouge et dans ses oreilles une enorme clameur qui faisait eclater sa tete. Une fulgurante douleur a la nuque lui arracha encore un cri, faible celui-la.
Et, soudain, elle s'amollit dans les bras qui la soutenaient toujours. La voix de Caboche qui appelait « Loyse !... Loyse !... » lui parvint comme venue des profondeurs de la terre.
Ensuite, il n'y eut plus rien qu'un trou noir, vertigineux, au fond duquel Catherine se sentit tomber comme une pierre...
De longs jours, dont Catherine ne vit ni l'aube, ni le crepuscule, ni le passage de la nuit succedant a celui du jour, s'ecoulerent. Elle oscillait entre la vie et la mort, brulee par une fievre cerebrale qui la retranchait deja du nombre des vivants. Elle ne souffrait pas vraiment mais son ame etait absente de son corps et menait entre les fantomes de la peur et du desespoir un epuisant combat. Du fond de l'abime ou elle se debattait, elle revoyait continuellement l'affreuse scene de la mort de Michel, les faces grimacantes des bourreaux menant autour du corps une sarabande fantastique. Et quand, parfois, la lumiere paraissait revenir avec l'apaisement, d'etranges visages inconnus, hideux souvent, se presentaient que, de toutes ses faibles forces, l'adolescente repoussait.