Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗
— Je vais etre laide, pensa-t-elle. Ses larmes se secherent. J’irai garder mon pere, je ne quitterai pas son chevet, reprit-elle.
— Ah ! te voila comme je te voulais, s’ecria Rastignac.
Les lanternes de cinq cents voilures eclairaient les abords de l’hotel de Beauseant. De chaque cote de la porte illuminee piaffait un gendarme. Le grand monde affluait si abondamment, et chacun mettait tant d’empressement a voir cette grande femme au moment de sa chute, que les appartements, situes au rez-de-chaussee de l’hotel, etaient deja pleins quand madame de Nucingen et Rastignac s’y presenterent. Depuis le moment ou toute la cour se rua chez la grande Mademoiselle a qui Louis XIV arrachait son amant, nul desastre de c?ur ne fut plus eclatant que ne l’etait celui de madame de Beauseant. En cette circonstance, la derniere fille de la quasi royale maison de Bourgogne se montra superieure a son mal, et domina jusqu’a son dernier moment le monde dont elle n’avait accepte les vanites que pour les faire servir au triomphe de sa passion. Les plus belles femmes de Paris animaient ses salons de leurs toilettes et de leurs sourires. Les hommes les plus distingues de la cour, les ambassadeurs, les ministres, les gens illustres en tout genre, chamarres de croix, de plaques, de cordons multicolores, se pressaient autour de la vicomtesse. L’orchestre faisait resonner les motifs de sa musique sous les lambris dores de ce palais, desert pour sa reine. Madame de Beauseant se tenait debout devant son premier salon pour recevoir ses pretendus amis. Vetue de blanc, sans [sant] aucun ornement dans ses cheveux simplement nattes, elle semblait calme, et n’affichait ni douleur, ni fierte, ni fausse joie. Personne ne pouvait lire dans son ame. Vous eussiez dit d’une Niobe de marbre. Son sourire a ses intimes amis fut parfois railleur ; mais elle parut a tous semblable a elle-meme, et se montra si bien ce qu’elle etait quand le bonheur la parait de ses rayons, que les plus insensibles l’admirerent, comme les jeunes Romaines applaudissaient le gladiateur qui savait sourire en expirant. Le monde semblait s’etre pare pour faire ses adieux a l’une de ses souveraines.
— Je tremblais que vous ne vinssiez pas, dit-elle a Rastignac.
— Madame, repondit-il d’une voix emue en prenant ce mot pour un reproche, je suis venu pour rester le dernier.
— Bien, dit-elle en lui prenant la main. Vous etes peut-etre ici le seul auquel je puisse me fier. Mon ami, aimez une femme que vous puissiez aimer toujours. N’en abandonnez aucune.
Elle prit le bras de Rastignac et le mena sur un canape, dans le salon ou l’on jouait.
— Allez, dit-elle, chez le marquis. Jacques, mon valet de chambre, vous y conduira et vous remettra une lettre pour lui. Je lui demande ma correspondance. Il vous la remettra tout entiere, j’aime a le croire. Si vous avez mes lettres, montez dans ma chambre. On me previendra.
Elle se leva pour aller au-devant de la duchesse de Langeais, sa meilleure amie qui venait aussi. Rastignac partit, fit demander le marquis d’Ajuda a l’hotel de Rochefide, ou il devait passer la soiree, et ou il le trouva. Le marquis l’emmena chez lui, remit une boite a l’etudiant, et lui dit : — Elles y sont toutes. Il parut vouloir parler a Eugene, soit pour le questionner sur les evenements du bal et sur la vicomtesse, soit pour lui avouer que deja peut-etre il etait au desespoir de son mariage, comme il le fut plus tard, mais un eclair d’orgueil brilla dans ses yeux, et il eut le deplorable courage de garder le secret sur ses plus nobles sentiments. — Ne lui dites rien de moi, mon cher Eugene. Il pressa la main de Rastignac par un mouvement affectueusement triste, et lui fit signe de partir. Eugene revint a l’hotel de Beauseant, et fut introduit dans la chambre de la vicomtesse, ou il vit les apprets d’un depart. Il s’assit aupres du feu, regarda la cassette en cedre, et tomba dans une profonde melancolie. Pour lui, madame de Beauseant avait les proportions des deesses de l’Iliade.
— Ah ! mon ami, dit la vicomtesse en entrant et appuyant sa main sur l’epaule de Rastignac.
Il apercut sa cousine en pleurs, les yeux leves, une main tremblante, l’autre levee. Elle prit tout a coup la boite, la placa dans le feu et la vit bruler.
— Ils dansent ! ils sont venus tous bien exactement, tandis que la mort viendra tard. Chut ! mon ami, dit-elle en mettant un doigt sur la bouche de Rastignac pret a parler. Je ne verrai plus jamais ni Paris ni le monde. A cinq heures du matin, Je vais partir pour aller m’ensevelir au fond de la Normandie. Depuis trois heures apres midi, j’ai ete obligee de faire mes preparatifs, signer des actes, voir a des affaires, je ne pouvais envoyer personne chez… Elle s’arreta. Il etait sur qu’on le trouverait chez… Elle s’arreta encore accablee de douleur. En ces moments tout est souffrance, et certains mots sont impossibles a prononcer. — Enfin, reprit-elle, je comptais sur vous ce soir pour ce dernier service. Je voudrais vous donner un gage de mon amitie. Je penserai souvent a vous, qui m’avez paru bon et noble, jeune et candide au milieu de ce monde ou ces qualites sont si rares. Je souhaite que vous songiez quelquefois a moi. Tenez, dit-elle en jetant les yeux autour d’elle, voici le coffret ou je mettais mes gants. Toutes les fois que j’en ai pris avant d’aller au bal ou au spectacle, je me sentais belle, parce que j’etais heureuse, et je n’y touchais que pour y laisser quelque pensee gracieuse : il y a beaucoup de moi la-dedans, il y a toute une madame de Beauseant qui n’est plus. Acceptez-le. J’aurai soin qu’on le porte chez vous, rue d’Artois. Madame de Nucingen est fort bien ce soir, aimez-la bien. Si nous ne nous voyons plus, mon ami, soyez sur que je ferai des v?ux pour vous, qui avez ete bon pour moi. Descendons, je ne veux pas leur laisser croire que je pleure. J’ai l’eternite devant moi, j’y serai seule, et personne ne m’y demandera compte de mes larmes. Encore un regard a cette chambre. Elle s’arreta. Puis, apres s’etre un moment cache les yeux avec sa main, elle se les essuya, les baigna d’eau fraiche, et prit le bras de l’etudiant. Marchons ! dit-elle.
Rastignac n’avait pas encore senti d’emotion aussi violente que le fut le contact de cette douleur si noblement contenue. En rentrant dans le bal, Eugene en fit le tour avec madame de Beauseant, derniere et delicate attention de cette gracieuse femme. En entrant dans la galerie ou l’on dansait, Rastignac fut surpris de rencontrer un de ces couples que la reunion de toutes les beautes humaines rend sublimes a voir. Jamais il n’avait eu l’occasion d’admirer de telles perfections. Pour tout exprimer en un mot, l’homme etait un Antinous vivant, et ses manieres ne detruisaient pas le charme qu’on eprouvait a le regarder. La femme etait une fee, elle enchantait le regard, elle fascinait l’ame, irritait les sens les plus froids. La toilette s’harmoniait chez l’un et chez l’autre avec la beaute. Tout le monde les contemplait avec plaisir et enviait le bonheur qui eclatait dans l’accord de leurs yeux et de leurs mouvements.
— Mon Dieu, quelle est cette femme ? dit Rastignac.
— Oh ! la plus incontestablement belle, repondit la vicomtesse. C’est lady Brandon, elle est aussi celebre par son bonheur que par sa beaute. Elle a tout sacrifie a ce jeune homme. Ils ont, dit-on, des enfants. Mais le malheur plane toujours sur eux. On dit que lord Brandon a jure de tirer une effroyable vengeance de sa femme et de cet amant. Ils sont heureux, mais ils tremblent sans cesse.
— Et lui ?
— Comment ! vous ne connaissez pas le beau colonel Franchessini ?
— Celui qui s’est battu…
— Il y a trois jours, oui. Il avait ete provoque par le fils d’un banquier : il ne voulait que le blesser, mais par malheur il l’a tue.
— Oh !
— Qu’avez-vous donc ? vous frissonnez, dit la vicomtesse.
— Je n’ai rien, repondit Rastignac.
Une sueur froide lui coulait dans le dos. Vautrin lui apparaissait avec sa figure de bronze. Le heros du bagne donnant la main au heros du bal changeait pour lui l’aspect de la societe. Bientot il apercut les deux s?urs, madame de Restaud et madame de Nucingen. La comtesse etait magnifique avec tous ses diamants etales, qui, pour elle, etaient brulants sans doute, elle les portait pour la derniere fois. Quelque puissants que fussent son orgueil et son amour, elle ne soutenait pas bien les regards de son mari. Ce spectacle n’etait pas de nature a rendre les pensees de Rastignac moins tristes. S’il avait revu Vautrin dans le colonel italien, il revit alors, sous les diamants des deux s?urs, le grabat sur lequel gisait le pere Goriot. Son attitude melancolique ayant trompe la vicomtesse, elle lui retira son bras.