Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry (книги онлайн бесплатно txt) 📗
Le proprietaire devint furieux, et menaca M. Birn'n de lui faire un proces en dedommagement des degats causes dans son immeuble.
– Est-ce que je avais pas le droit, demanda l'Anglais, de me baigner chez moi?
– Non, monsieur.
– Si je avais pas le droit, c'est bien, dit l'Anglais plein de respect pour la loi du pays ou il vivait. C'est dommage, je amusais beaucoup moi.
Et le soir meme il donna des ordres pour qu'on fit ecouler son ocean. Il n'etait que temps: il y avait deja un banc d'huitres sur le parquet.
Cependant M. Birn'n n'avait pas renonce a la lutte, et cherchait un moyen legal de continuer cette guerre singuliere, qui faisait les delices de tout Paris oisif; car l'aventure avait ete repandue dans les foyers de theatre et autres lieux de publicite. Aussi Dolores tenait-elle a honneur de sortir triomphante de cette lutte, a propos de laquelle des paris etaient engages.
Ce fut alors que M. Birn'n avait imagine le piano. Et ce n'etait point si mal imagine: le plus desagreable des instruments etait de force a lutter contre le plus desagreable des volatiles. Aussi, des que cette bonne idee lui etait venue, s'etait-il depeche de la mettre a execution. Il avait loue un piano, et il avait demande un pianiste. Le pianiste, on se le rappelle, etait notre ami Schaunard. L'anglais lui raconta familierement ses doleances a cause du perroquet de la voisine, et tout ce qu'il avait fait deja pour tacher d'amener l'actrice a composition.
– Mais, milord, dit Schaunard, il y a un moyen de vous debarrasser de cette bete: c'est le persil. Tous les chimistes n'ont qu'un cri pour declarer que cette plante potagere est l'acide prussique de ces animaux; faites hacher du persil sur vos tapis, et faites-les secouer par la fenetre sur la cage de Coco : il expirera absolument comme s'il avait ete invite a diner par le pape Alexandre VI.
– J'y ai pense, mais le bete est garde, repondit l'Anglais; le piano est plus sur.
Schaunard regarda l'Anglais, et ne comprit pas tout d'abord.
– Voici ce que je avais combine, reprit l'Anglais. La comedienne et son bete dormaient jusqu'a midi. Suivez bien mon raisonnement…
– Allez, fit Schaunard, je lui marche sur les talons.
– Je avais entrepris de lui troubler le sommeil. La loi de ce pays me autorise a faire de la musique depuis le matin jusqu'au soir. Comprenez-vous ce que je attends de vous?…
– Mais, dit Schaunard, ce ne serait pas deja si desagreable pour la comedienne, si elle m'entend jouer du piano toute la journee, et gratis encore. Je suis de premiere force, et, si j'avais seulement un poumon attaque…
– Oh! Oh! reprit l'Anglais. Aussi je ne dirai pas a vous de faire de l'excellente musique. Il faudrait seulement taper la-dessus votre instrument. Comme ca, ajouta l'Anglais en essayant une gamme; et toujours, toujours le meme chose, sans pitie, monsieur le musicien, toujours la gamme. Je savais un peu le medecine, cela rend fou. Ils deviendront fou la-dessous, c'est la-dessus que je compte. Allons, monsieur, mettez-vous tout de suite; je payerai bien vous.
– Et voila, dit Schaunard qui avait raconte tous les details que l'on vient de lire, voila le metier que je fais depuis quinze jours. Une gamme, rien que la meme, depuis sept heures du matin jusqu'au soir. Ce n'est point la precisement de l'art serieux; mais que voulez-vous, mes enfants, l'Anglais me paye mon tintamarre deux cents francs par mois; faudrait etre le bourreau de son corps pour refuser une pareille aubaine. J'ai accepte, et dans deux ou trois jours je passe a la caisse pour toucher mon premier mois.
Ce fut a la suite de ces mutuelles confidences que les trois amis convinrent entre eux de profiter de la commune rentree de fonds, pour donner a leurs maitresses l'equipement printanier que la coquetterie de chacune convoitait depuis si longtemps. On etait convenu, en outre, que celui qui toucherait son argent le premier attendrait les autres, afin que les acquisitions se fissent en meme temps, et que mesdemoiselles Mimi, Musette et Phemie pussent jouir ensemble du plaisir de faire peau neuve , comme disait Schaunard.
Or, deux ou trois jours apres ce conciliabule, Rodolphe tenait la corde, son poeme osanore avait ete paye, il pesait quatre-vingts francs. Le surlendemain, Marcel avait emarge chez Medicis le prix de dix-huit portraits de caporaux, a six francs.
Marcel et Rodolphe avaient toutes les peines du monde a dissimuler leur fortune.
– Il me semble que je sue de l'or, disait le poete.
– C'est comme moi, fit Marcel. Si Schaunard tarde longtemps, il me sera impossible de continuer mon role de Cresus anonyme.
Mais le lendemain meme les bohemes virent arriver Schaunard, splendidement vetu d'une jaquette en nankin jaune d'or.
– Ah! mon Dieu, s'ecria Phemie, eblouie en voyant son amant si elegamment relie, ou as-tu trouve cet habit-la?
– Je l'ai trouve dans mes papiers, repondit le musicien en faisant un signe a ses deux amis pour qu'ils eussent a le suivre. J'ai touche leur dit-il, quand ils furent seuls. Voici les piles, et il etala une poignee d'or.
– Eh bien, s'ecria Marcel, en route! Allons mettre les magasins au pillage! Comme Musette va etre heureuse!
– Comme Mimi sera contente! ajouta Rodolphe.
Allons, viens-tu, Schaunard?
– Permettez-moi de reflechir, repondit le musicien. En couvrant ces dames des mille caprices de la mode, nous allons peut-etre faire une folie. Songez-y. Quand elles ressembleront aux gravures de l'Echarpe d'Iris , ne craignez-vous pas que ces splendeurs n'exercent une deplorable influence sur leur caractere? Et convient-il a des jeunes hommes comme nous d'agir avec les femmes comme si nous etions des Mondors caducs et rides? Ce n'est pas que j'hesite a sacrifier quatorze ou dix-huit francs pour habiller Phemie; mais je tremble; quand elle aura un chapeau neuf elle ne voudra plus me saluer peut-etre! Une fleur dans ses cheveux, elle est si bien! Qu'en penses-tu, philosophe? interrompit Schaunard en s'adressant a Colline qui etait entre depuis quelques instants.
– L'ingratitude est fille du bienfait, dit le philosophe.
– D'un autre cote, continua Schaunard, quand vos maitresses seront bien mises, quelle figure ferez-vous a leur bras dans vos costumes delabres? Vous aurez l'air de leurs femmes de chambre. Ce n'est pas pour moi que je dis cela, interrompit Schaunard en se carrant dans son habit de nankin; car, Dieu merci, je puis me presenter partout maintenant.
Cependant, malgre l'esprit d'opposition de Schaunard, il fut convenu de nouveau que l'on depouillerait le lendemain tous les bazars du voisinage au benefice de ces dames.
Et le lendemain matin, en effet, a l'heure meme ou nous avons vu, au commencement de ce chapitre, Mademoiselle Mimi se reveiller tres-etonnee de l'absence de Rodolphe, le poete et ses deux amis montaient les escaliers de l'hotel, accompagnes par un garcon des Deux Magots et par une modiste, qui portaient des echantillons. Schaunard, qui avait achete la fameuse trompe, marchait devant en jouant l'ouverture de la Caravane .
Musette et Phemie, appelees par Mimi qui habitait l'entresol, sur la nouvelle qu'on leur apportait des chapeaux et des robes, descendirent les escaliers avec la rapidite d'une avalanche. En voyant toutes ces pauvres richesses etalees devant elles, les trois femmes faillirent devenir folles de joie. Mimi etait prise d'une quinte d'hilarite et sautait comme une chevre, en faisant voltiger une petite echarpe de barege. Musette s'etait jetee au cou de Marcel, ayant dans chaque main une petite bottine verte, qu'elle frappait l'une contre l'autre comme des cymbales. Phemie regardait Schaunard en sanglotant, elle ne savait que dire:
– Ah! Mon Alexandre, mon Alexandre!
– Il n'y a point de danger qu'elle refuse les presents d'Artaxerces, murmurait le philosophe Colline.
Apres le premier elan de joie passe, quand les choix furent faits et les factures acquittees, Rodolphe annonca aux trois femmes qu'elles eussent a s'arranger pour essayer leur toilette nouvelle le lendemain matin.
– On ira a la campagne, dit-il.
– La belle affaire! s'ecria Musette, ce n'est point la premiere fois que j'aurais achete, taille, cousu et porte une robe le meme jour. Et d'ailleurs nous avons la nuit. Nous serons pretes, n'est-ce pas, mesdames?
– Nous serons pretes! s'ecrierent a la fois Mimi et Phemie.
Sur-le-champ elles se mirent a l'?uvre, et pendant seize heures, elles ne quitterent ni les ciseaux ni l'aiguille.
Le lendemain matin etait le premier jour du mois de mai. Les cloches de paques avaient sonne depuis quelques jours la resurrection du printemps, et de tous les cotes il arrivait empresse et joyeux; il arrivait, comme dit la ballade allemande, leger ainsi que le jeune fiance qui va planter le mai sous la fenetre de sa bien-aimee. Il peignait le ciel en bleu, les arbres en vert, et toutes choses en belles couleurs. Il reveillait le soleil engourdi qui dormait couche dans son lit de brouillards, la tete appuyee sur les nuages gros de neige qui lui servaient d'oreiller et il lui criait: ha! he! l'ami! c'est l'heure, et me voici! vite a la besogne! Mettez sans plus de retard votre bel habit fait de beaux rayons neufs, et montrez-vous tout de suite a votre balcon pour annoncer mon arrivee.
Sur quoi, le soleil s'etait en effet mis en campagne, et se promenait fier et superbe comme un seigneur de la cour. Les hirondelles, revenues de leur pelerinage d'orient, emplissaient l'air de leur vol; l'aubepine blanchissait les buissons; la violette embaumait l'herbe des bois, ou l'on voyait deja tous les oiseaux sortir de leurs nids avec un cahier de romances sous leurs ailes. C'etait le printemps en effet, le vrai printemps des poetes et des amoureux, et non pas le printemps de Matthieu Laensberg, un vilain printemps qui a le nez rouge, l'onglee aux doigts, et qui fait encore frissonner le pauvre au coin de son atre, ou les dernieres cendres de sa derniere buche sont depuis longtemps eteintes. Les brises attiedies couraient dans l'air transparent, et semaient dans la ville les premieres odeurs des campagnes environnantes. Les rayons du soleil, clairs et chaleureux, allaient frapper aux vitres des fenetres. Au malade ils disaient: ouvrez, nous sommes la sante! Et dans la mansarde de la fillette penchee a son miroir, cet innocent et premier amour des plus innocentes, ils disaient: ouvre, la belle, que nous eclairions ta beaute! Nous sommes les messagers du beau temps; tu peux maintenant mettre ta robe de toile, ton chapeau de paille et chausser ton brodequin coquet: voici que les bosquets ou l'on danse sont panaches de belles fleurs nouvelles, et les violons vont se reveiller pour le bal du dimanche. Bonjour, la belle!