Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗
— Je decampe si cette fille doit continuer a diner avec nous, dit-il a demi-voix.
En un clin d’?il chacun, moins Poiret, approuva la proposition de l’etudiant en medecine, qui, fort de l’adhesion generale, s’avanca vers le vieux pensionnaire.
— Vous qui etes lie particulierement avec mademoiselle Michonneau, lui dit-il, parlez-lui, faites-lui comprendre qu’elle doit s’en aller a l’instant meme.
— A l’instant meme ? repeta Poiret etonne.
Puis il vint aupres de la vieille, et lui dit quelques mots a l’oreille.
— Mais mon terme est paye, je suis ici pour mon argent comme tout le monde, dit-elle en lancant un regard de vipere sur les pensionnaires.
— Qu’a cela ne tienne, nous nous cotiserons pour vous le rendre, dit Rastignac.
— Monsieur soutient Collin, repondit-elle en jetant sur l’etudiant un regard venimeux et interrogateur, il n’est pas difficile de savoir pourquoi.
A ce mot, Eugene bondit comme pour se ruer sur la vieille fille et l’etrangler. Ce regard, dont il comprit les perfidies, venait de jeter une horrible lumiere dans son ame.
— Laissez-la donc, s’ecrierent les pensionnaires.
Rastignac se croisa les bras et resta muet.
— Finissons-en avec mademoiselle Judas, dit le peintre en s’adressant a madame Vauquer. Madame, si vous ne mettez pas a la porte la Michonneau, nous quittons tous votre baraque, et nous dirons partout qu’il ne s’y trouve que des espions et des forcats. Dans le cas contraire, nous nous tairons tous sur cet evenement, qui, au bout du compte, pourrait arriver dans les meilleures societes, jusqu’a ce qu’on marque les galeriens au front, et qu’on leur defende de se deguiser en bourgeois de Paris et de se faire aussi betement farceurs qu’ils le sont tous.
A ce discours, madame Vauquer retrouva miraculeusement la sante, se redressa, se croisa les bras, ouvrit ses yeux clairs et sans apparence de larmes.
— Mais, mon cher monsieur, vous voulez donc la ruine de ma maison ? Voila monsieur Vautrin… Oh ! mon Dieu, se dit-elle en s’interrompant elle-meme, je ne puis pas m’empecher de l’appeler par son nom d’honnete homme ! Voila, reprit-elle, un appartement vide, et vous voulez que j’en aie deux de plus a louer dans une saison ou tout le monde est case.
— Messieurs, prenons nos chapeaux, et allons diner place Sorbonne, chez Flicoteaux, dit Bianchon.
Madame Vauquer calcula d’un seul coup d’?il le parti le plus avantageux, et roula jusqu’a mademoiselle Michonneau.
— Allons, ma chere petite belle, vous ne voulez pas la mort de mon etablissement, hein ? Vous voyez a quelle extremite me reduisent ces messieurs ; remontez dans votre chambre pour ce soir.
— Du tout, du tout, crierent les pensionnaires, nous voulons qu’elle sorte a l’instant.
— Mais elle n’a pas dine, cette pauvre demoiselle, dit Poiret d’un ton piteux.
— Elle ira diner ou elle voudra, crierent plusieurs voix.
— A la porte, la moucharde !
— A la porte, les mouchards !
— Messieurs, s’ecria Poiret, qui s’eleva tout a coup a la hauteur du courage que l’amour prete aux beliers, respectez une personne du sexe.
— Les mouchards ne sont d’aucun sexe, dit le peintre.
— Fameux sexorama !
— A la portorama !
— Messieurs, ceci est indecent. Quand on renvoie les gens, ou doit y mettre des formes. Nous avons paye, nous restons, dit Poiret en se couvrant de sa casquette et se placant sur une chaise a cote de mademoiselle Michonneau, que prechait madame Vauquer.
— Mechant, lui dit le peintre d’un air comique, petit mechant, va !
— Allons, si vous ne vous en allez pas, nous nous en allons, nous autres, dit Bianchon.
Et les pensionnaires firent en masse un mouvement vers le salon.
— Mademoiselle, que voulez-vous donc ? s’ecria madame Vauquer, je suis ruinee. Vous ne pouvez pas rester, ils vont en venir a des actes de violence.
Mademoiselle Michonneau se leva.
— Elle s’en ira ! — Elle ne s’en ira pas ! — Elle s’en ira ! — Elle ne s’en ira pas ! Ces mots dits alternativement, et l’hostilite des propos qui commencaient a se tenir sur elle, contraignirent mademoiselle Michonneau a partir, apres quelques stipulations faites a voix basse avec l’hotesse.
— Je vais chez madame Buneaud, dit-elle d’un air menacant.
— Allez ou vous voudrez, mademoiselle, dit madame Vauquer, qui vit une cruelle injure dans le choix qu’elle faisait d’une maison avec laquelle elle rivalisait, et qui lui etait consequemment odieuse. Allez chez la Buneaud, vous aurez du vin a faire danser les chevres, et des plats achetes chez les regrattiers.
Les pensionnaires se mirent sur deux files dans le plus grand silence. Poiret regarda si tendrement mademoiselle Michonneau, il se montra si naivement indecis, sans savoir s’il devait la suivre ou rester, que les pensionnaires, heureux du depart de mademoiselle Michonneau, se mirent a rire en se regardant.
— Xi, xi, xi, Poiret, lui cria le peintre. Allons, houpe la, haoup !
L’employe au Museum se mit a chanter comiquement ce debut d’une romance connue :
Partant pour la Syrie,
Le jeune et beau Dunois…
— Allez donc, vous en mourez d’envie, trahit sua quemque voluptas, dit Bianchon.
— Chacun suit sa particuliere, traduction libre de Virgile, dit le repetiteur.
Mademoiselle Michonneau ayant fait le geste de prendre le bras de Poiret en le regardant, il ne put resister a cet appel, et vint donner son appui a la vieille. Des applaudissements eclaterent, et il y eut une explosion de rires. — Bravo, Poiret ! — Ce vieux Poiret ! — Apollon-Poiret. — Mars-Poiret. — Courageux Poiret !
En ce moment, un commissionnaire entra, remit une lettre a madame Vauquer, qui se laissa couler sur sa chaise, apres l’avoir lue.
— Mais il n’y a plus qu’a bruler ma maison, le tonnerre y tombe. Le fils Taillefer est mort a trois heures. Je suis bien punie d’avoir souhaite du bien a ces dames au detriment de ce pauvre jeune homme. Madame Couture et Victorine me redemandent leurs effets, et vont demeurer chez son pere. Monsieur Taillefer permet a sa fille de garder la veuve Couture comme demoiselle de compagnie. Quatre appartements vacants, cinq pensionnaires de moins ! Elle s’assit et parut pres de pleurer. Le malheur est entre chez moi, s’ecria-t-elle.
Le roulement d’une voiture qui s’arretait retentit tout a coup dans la rue.
— Encore quelque chape-chute, dit Sylvie.
Goriot montra soudain une physionomie brillante et coloree de bonheur, qui pouvait faire croire a sa regeneration.
— Goriot en fiacre, dirent les pensionnaires, la fin du monde arrive.
Le bonhomme alla droit a Eugene, qui restait pensif dans un coin, et le prit par le bras : — Venez, lui dit-il d’un air joyeux.
— Vous ne savez donc pas ce qui se passe ? lui dit Eugene. Vautrin etait un forcat que l’on vient d’arreter, et le fils Taillefer est mort.
— Eh ! bien, qu’est-ce que ca nous fait ? repondit le pere Goriot. Je dine avec ma fille, chez vous, entendez-vous ? Elle vous attend, venez !
Il tira si violemment Rastignac par le bras, qu’il le fit marcher de force, et parut l’enlever comme si c’eut ete sa maitresse.
— Dinons, cria le peintre.
En ce moment chacun prit sa chaise et s’attabla.
— Par exemple, dit la grosse Sylvie, tout est malheur aujourd’hui, mon haricot de mouton s’est attache. Bah ! vous le mangerez brule, tant pire !
Madame Vauquer n’eut pas le courage de dire un mot en ne voyant que dix personnes au lieu de dix-huit autour de sa table ; mais chacun tenta de la consoler et de l’egayer. Si d’abord les externes s’entretinrent de Vautrin et des evenements de la journee, ils obeirent bientot a l’allure serpentine de leur conversation, et se mirent a parler des duels, du bagne, de la justice, des lois a refaire, des prisons. Puis ils se trouverent a mille lieues de Jacques Collin, de Victorine et de son frere. Quoiqu’ils ne fussent que dix, ils crierent comme vingt, et semblaient etre plus nombreux qu’a l’ordinaire ; ce fut toute la difference qu’il y eut entre ce diner et celui de la veille. L’insouciance habituelle de ce monde egoiste qui, le lendemain, devait avoir dans les evenements quotidiens de Paris une autre proie a devorer, reprit le dessus, et madame Vauquer elle-meme se laissa calmer par l’esperance, qui emprunta la voix de la grosse Sylvie.