Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗
« Je n’ai ni fausse vanite ni colere avec vous, mon ami. Je vous ai attendu jusqu’a deux heures apres minuit. Attendre un etre que l’on aime ! Qui a connu ce supplice ne l’impose a personne. Je vois bien que vous aimez pour la premiere fois. Qu’est-il donc arrive ? L’inquietude m’a prise. Si je n’avais craint de livrer les secrets de mon c?ur, je serais allee savoir ce qui vous advenait d’heureux ou de malheureux. Mais sortir a cette heure, soit a pied, soit en voiture, n’etait-ce pas se perdre ? J’ai senti le malheur d’etre femme. Rassurez-moi, expliquez-moi pourquoi vous n’etes pas venu, apres ce que vous a dit mon pere. Je me facherai, mais je vous pardonnerai. Etes-vous malade ? pourquoi se loger si loin ? Un mot, de grace. A bientot, n’est-ce pas ? Un mot me suffira si vous etes occupe. Dites : J’accours, ou je souffre. Mais si vous etiez mal portant, mon pere serait venu me le dire ! Qu’est-il donc arrive ?… »
— Oui, qu’est-il arrive ? s’ecria Eugene qui se precipita dans la salle a manger en froissant la lettre sans l’achever. Quelle heure est-il ?
— Onze heures et demie, dit Vautrin en sucrant son cafe.
Le forcat evade jeta sur Eugene le regard froidement fascinateur que certains hommes eminemment magnetiques ont le don de lancer, et qui, dit-on, calme les fous furieux dans les maisons d’alienes. Eugene trembla de tous ses membres. Le bruit d’un fiacre se fit entendre dans la rue, et un domestique a la livree de monsieur Taillefer, et que reconnut sur-le-champ madame Couture, entra precipitamment d’un air effare.
— Mademoiselle, s’ecria-t-il, monsieur votre pere vous demande. Un grand malheur est arrive. Monsieur Frederic s’est battu en duel, il a recu un coup d’epee dans le front, les medecins desesperent de le sauver ; vous aurez a peine le temps de lui dire adieu, il n’a plus sa connaissance.
— Pauvre jeune homme ! s’ecria Vautrin. Comment se querelle-t-on quand on a trente bonnes mille livres de rente ? Decidement la jeunesse ne sait pas se conduire.
— Monsieur ! lui cria Eugene.
— Eh ! bien, quoi, grand enfant ? dit Vautrin en achevant de boire son cafe tranquillement, operation que mademoiselle Michonneau suivait de l’?il avec trop d’attention pour s’emouvoir de l’evenement extraordinaire qui stupefiait tout le monde. N’y a-t-il pas des duels tous les matins a Paris ?
— Je vais avec vous, Victorine, disait madame Couture.
Et ces deux femmes s’envolerent sans chale ni chapeau. Avant de s’en aller, Victorine, les yeux en pleurs, jeta sur Eugene un regard qui lui disait : Je ne croyais pas que notre bonheur dut me causer des larmes !
— Bah ! vous etes donc prophete, monsieur Vautrin ? dit madame Vauquer.
— Je suis tout, dit Jacques Collin.
— C’est-y singulier ! reprit madame Vauquer en enfilant une suite de phrases insignifiantes sur cet evenement. La mort nous prend sans nous consulter. Les jeunes gens s’en vont souvent avant les vieux. Nous sommes heureuses, nous autres femmes, de n’etre pas sujettes au duel, mais nous avons d’autres maladies que n’ont pas les hommes. Nous faisons les enfants, et le mal de mere dure longtemps ! Quel quine pour Victorine ! Son pere est force de l’adopter.
— Voila ! dit Vautrin en regardant Eugene, hier elle etait sans un sou, ce matin elle est riche de plusieurs millions.
— Dites donc, monsieur Eugene, s’ecria madame Vauquer, vous avez mis la main au bon endroit.
A cette interpellation, le pere Goriot regarda l’etudiant et lui vit a la main la lettre chiffonnee.
— Vous ne l’avez pas achevee ! qu’est-ce que cela veut dire ? seriez-vous comme les autres ? lui demanda-t-il.
— Madame, je n’epouserai jamais mademoiselle Victorine, dit Eugene en s’adressant a madame Vauquer avec un sentiment d’horreur et de degout qui surprit les assistants.
Le pere Goriot saisit la main de l’etudiant et la lui serra. Il aurait voulu la baiser.
— Oh, oh ! fit Vautrin. Les Italiens ont un bon mot : col tempo !
— J’attends la reponse, dit a Rastignac le commissionnaire de madame de Nucingen.
— Dites que j’irai.
L’homme s’en alla. Eugene etait dans un violent etat d’irritation qui ne lui permettait pas d’etre prudent. — Que faire ? disait-il a haute voix, en se parlant a lui-meme. Point de preuves !
Vautrin se mit a sourire. En ce moment la potion absorbee par l’estomac commencait a operer. Neanmoins le forcat etait si robuste qu’il se leva, regarda Rastignac, lui dit d’une voix creuse : — Jeune homme, le bien nous vient en dormant.
Et il tomba roide mort.
— Il y a donc une justice divine, dit Eugene.
— Eh ! bien, qu’est-ce qui lui prend donc, a ce pauvre cher monsieur Vautrin ?
— Une apoplexie, cria mademoiselle Michonneau.
— Sylvie, allons, ma fille, va chercher le medecin, dit la veuve. Ah ! monsieur Rastignac, courez donc vite chez monsieur Bianchon ; Sylvie peut ne pas rencontrer notre medecin, monsieur Grimprel.
Rastignac, heureux d’avoir un pretexte de quitter cette epouvantable caverne, s’enfuit en courant.
— Christophe, allons, trotte chez l’apothicaire demander quelque chose contre l’apoplexie.
Christophe sortit.
— Mais, pere Goriot, aidez-nous donc a le transporter la-haut, chez lui.
Vautrin fut saisi, man?uvre a travers l’escalier et mis sur son lit.
— Je ne vous suis bon a rien, je vais voir ma fille, dit monsieur Goriot.
— Vieil egoiste ! s’ecria madame Vauquer, va, je te souhaite de mourir comme un chien.
— Allez donc voir si vous avez de l’ether, dit a madame Vauquer mademoiselle Michonneau qui aidee par Poiret avait defait les habits de Vautrin.
Madame Vauquer descendit chez elle et laissa mademoiselle Michonneau maitresse du champ de bataille.
— Allons, otez-lui donc sa chemise et retournez-le vite ! Soyez donc bon a quelque chose en m’evitant de voir des nudites, dit-elle a Poiret. Vous restez la comme Baba.
Vautrin retourne, mademoiselle Michonneau appliqua sur l’epaule du malade une forte claque, et les deux fatales lettres reparurent en blanc au milieu de la place rouge.
— Tiens, vous avez bien lestement gagne votre gratification de trois mille francs, s’ecria Poiret en tenant Vautrin debout, pendant que mademoiselle Michonneau lui remettait sa chemise. — Ouf ! il est lourd, reprit-il en le couchant.
— Taisez-vous. S’il y avait une caisse ? dit vivement la vieille fille dont les yeux semblaient percer les murs, tant elle examinait avec avidite les moindres meubles de la chambre. — Si l’on pouvait ouvrir ce secretaire, sous un pretexte quelconque ? reprit-elle.
— Ce serait peut-etre mal, repondit Poiret.
— Non. L’argent vole, ayant ete celui de tout le monde, n’est plus a personne. Mais le temps nous manque, repondit-elle. J’entends la Vauquer.
— Voila de l’ether, dit madame Vauquer. Par exemple, c’est aujourd’hui la journee aux aventures. Dieu ! cet homme-la ne peut pas etre malade, il est blanc comme un poulet.
— Comme un poulet ? repeta Poiret.
— Son c?ur bat regulierement dit la veuve en lui posant la main sur le c?ur.
— Regulierement ? dit Poiret etonne.
— Il est tres-bien.
— Vous trouvez ? demanda Poiret.
— Dame ! il a l’air de dormir. Sylvie est allee chercher un medecin. Dites donc mademoiselle Michonneau, il renifle [reniffle] a l’ether. Bah ! c’est un se-passe(un spasme). Son pouls est bon. Il est fort comme un Turc. Voyez donc mademoiselle, quelle palatine il a sur l’estomac il vivra cent ans cet homme-la ! Sa perruque tient bien tout de meme. Tiens, elle est collee, il a de faux cheveux, rapport a ce qu’il est rouge. On dit qu’ils sont tout bons ou tout mauvais, les rouges ! Il serait donc bon lui ?
— Bon a pendre, dit Poiret.
— Vous voulez dire au cou d’une jolie femme, s’ecria vivement mademoiselle Michonneau. Allez-vous-en donc monsieur Poiret. Ca nous regarde, nous autres, de vous soigner quand vous etes malades. D’ailleurs, pour ce a quoi vous etes bon, vous pouvez bien vous promener, ajouta-t-elle. Madame Vauquer et moi, nous garderons bien ce cher monsieur Vautrin.