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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗

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— Elle est coupable d’aimer M. Eugene de Rastignac, et va de l’avant sans savoir ou ca la menera, pauvre innocente !

Eugene avait ete, pendant la matinee, reduit au desespoir par madame de Nucingen. Dans son for interieur, il s’etait abandonne completement a Vautrin, sans vouloir sonder ni les motifs de l’amitie que lui portait cet homme extraordinaire, ni l’avenir d’une semblable union. Il fallait un miracle pour le tirer de l’abime ou il avait deja mis le pied depuis une heure, en echangeant avec mademoiselle Taillefer les plus douces promesses. Victorine croyait entendre la voix d’un ange, les cieux s’ouvraient pour elle, la maison Vauquer se parait des teintes fantastiques que les decorateurs donnent aux palais de theatre : elle aimait, elle etait aimee, elle le croyait du moins ! Et quelle femme ne l’aurait cru comme elle en voyant Rastignac, en l’ecoutant durant cette heure derobee a tous les argus de la maison ? En se debattant contre sa conscience, en sachant qu’il faisait mal et voulant faire mal, en se disant qu’il racheterait ce peche veniel par le bonheur d’une femme, il s’etait embelli de son desespoir, et resplendissait de tous les feux de l’enfer qu’il avait au c?ur. Heureusement pour lui, le miracle eut lieu : Vautrin entra joyeusement, et lut dans l’ame des deux jeunes gens qu’il avait maries par les combinaisons de son infernal genie, mais dont il troubla soudain la joie en chantant de sa grosse voix railleuse :

Ma Fanchette est charmante

Dans sa simplicite…

Victorine se sauva en emportant autant de bonheur qu’elle avait eu jusqu’alors de malheur dans sa vie. Pauvre fille ! un serrement de mains, sa joue effleuree par les cheveux de Rastignac, une parole dite si pres de son oreille qu’elle avait senti la chaleur des levres de l’etudiant, la pression de sa taille par un bras tremblant, un baiser pris sur son cou, furent les accordailles de sa passion, que le voisinage de la grosse Sylvie, menacant d’entrer dans cette radieuse salle a manger, rendirent plus ardentes, plus vives, plus engageantes que les plus beaux temoignages de devouement racontes dans les plus celebres histoires d’amour. Ces menus suffrages, suivant une jolie expression de nos ancetres, paraissaient etre des crimes a une pieuse jeune fille confessee tous les quinze jours ! En cette heure, elle avait prodigue plus de tresors d’ame que plus tard, riche et heureuse, elle n’en aurait donne en se livrant tout entiere.

— L’affaire est faite, dit Vautrin a Eugene. Nos deux dandies se sont pioches. Tout s’est passe convenablement. Affaire d’opinion. Notre pigeon a insulte mon faucon. A demain, dans la redoute de Clignancourt. A huit heures et demie, mademoiselle Taillefer heritera de l’amour et de la fortune de son pere, pendant qu’elle sera la tranquillement a tremper ses mouillettes de pain beurre dans son cafe. N’est-ce pas drole a se dire ? Ce petit Taillefer est tres-fort a l’epee, il est confiant comme un brelan carre ; mais il sera saigne par un coup que j’ai invente, une maniere de relever l’epee et de vous piquer le front. Je vous montrerai cette botte-la, car elle est furieusement utile.

Rastignac ecoutait d’un air stupide, et ne pouvait rien repondre. En ce moment le pere Goriot, Bianchon et quelques autres pensionnaires arriverent.

— Voila comme je vous voulais, lui dit Vautrin. Vous savez ce que vous faites. Bien, mon petit aiglon ! vous gouvernerez les hommes ; vous etes fort, carre, poilu ; vous avez mon estime.

Il voulut lui prendre la main. Rastignac retira vivement la sienne, et tomba sur une chaise en palissant ; il croyait voir une mare de sang devant lui.

— Ah ! nous avons encore quelques petits langes taches de vertu, dit Vautrin a voix basse. Papa d’Oliban a trois millions, je sais sa fortune. La dot vous rendra blanc comme une robe de mariee, et a vos propres yeux.

Rastignac n’hesita plus. Il resolut d’aller prevenir pendant la soiree messieurs Taillefer pere et fils. En ce moment, Vautrin l’ayant quitte, le pere Goriot lui dit a l’oreille : — Vous etes triste, mon enfant ! je vais vous egayer, moi. Venez ! Et le vieux vermicellier allumait son rat-de-cave a une des lampes. Eugene le suivit tout emu de curiosite.

— Entrons chez vous, dit le bonhomme, qui avait demande la clef de l’etudiant a Sylvie. Vous avez cru ce matin qu’elle ne vous aimait pas, hein ! reprit-il. Elle vous a renvoye de force, et vous vous en etes alle fache, desespere. Nigaudinos ! elle m’attendait. Comprenez-vous ? Nous devions aller achever d’arranger un bijou d’appartement dans lequel vous irez demeurer d’ici a trois jours. Ne me vendez pas. Elle veut vous faire une surprise, mais je ne tiens pas a vous cacher plus long-temps le secret. Vous serez rue d’Artois, a deux pas de la rue Saint-Lazare. Vous y serez comme un prince. Nous vous avons eu des meubles comme pour une epousee. Nous avons fait bien des choses depuis un mois, en ne vous en disant rien. Mon avoue s’est mis en campagne, ma fille aura ses trente-six mille francs par an, l’interet de sa dot, et je vais faire exiger le placement de ses huit cent mille francs en bons biens au soleil.

Eugene etait muet et se promenait, les bras croises, de long en long, dans sa pauvre chambre en desordre. Le pere Goriot saisit un moment ou l’etudiant lui tournait le dos, et mit sur la cheminee une boite en maroquin rouge, sur laquelle etaient imprimees en or les armes de Rastignac.

— Mon cher enfant, disait le pauvre bonhomme, je me suis mis dans tout cela jusqu’au cou. Mais, voyez-vous, il y avait a moi bien de l’egoisme, je suis interesse dans votre changement de quartier. Vous ne me refuserez pas, hein ! si je vous demande quelque chose ?

— Que voulez-vous ?

— Au-dessus de votre appartement, au cinquieme, il y a une chambre qui en depend, j’y demeurerai, pas vrai ? Je me fais vieux, je suis trop loin de mes filles. Je ne vous generai pas. Seulement je serai la. Vous me parlerez d’elle tous les soirs. Ca ne vous contrariera pas, dites ? Quand vous rentrerez, que je serai dans mon lit, je vous entendrai, je me dirai : Il vient de voir ma petite Delphine. Il l’a menee au bal, elle est heureuse par lui. Si j’etais malade, ca me mettrait du baume dans le c?ur de vous ecouter revenir, vous remuer, aller. Il y aura tant de ma fille en vous ! Je n’aurai qu’un pas a faire pour etre aux Champs-Elysees, ou elles passent tous les jours, je les verrai toujours, tandis que quelquefois j’arrive trop tard. Et puis elle viendra chez vous peut-etre ! je l’entendrai, je la verrai dans sa douillette du matin, trottant, allant gentiment comme une petite chatte. Elle est redevenue, depuis un mois, ce qu’elle etait, jeune fille, gaie, pimpante. Son ame est en convalescence, elle vous doit le bonheur. Oh ! je ferais pour vous l’impossible. Elle me disait tout a l’heure en revenant : « Papa, je suis bien heureuse ! » Quand elles me disent ceremonieusement : Mon pere, elles me glacent ; mais quand elles m’appellent papa, il me semble encore les voir petites, elles me rendent tous mes souvenirs. Je suis mieux leur pere. Je crois qu’elles ne sont encore a personne ! Le bonhomme s’essuya les yeux, il pleurait. Il y a long-temps que je n’avais entendu cette phrase, long-temps qu’elle ne m’avait donne le bras. Oh ! oui, voila bien dix ans que je n’ai marche cote a cote avec une de mes filles. Est-ce bon de se frotter a sa robe, de se mettre a son pas, de partager sa chaleur ! Enfin, j’ai mene Delphine, ce matin, partout. J’entrais avec elle dans les boutiques. Et je l’ai reconduite chez elle. Oh ! gardez-moi pres de vous. Quelquefois vous aurez besoin de quelqu’un pour vous rendre service, je serai la. Oh ! si cette grosse souche d’Alsacien mourait, si sa goutte avait l’esprit de remonter dans l’estomac, ma pauvre fille serait-elle heureuse ! Vous seriez mon gendre, vous seriez ostensiblement son mari. Bah ! elle est si malheureuse de ne rien connaitre aux plaisirs de ce monde, que je l’absous de tout. Le bon Dieu doit etre du cote des peres qui aiment bien. Elle vous aime trop ! dit-il en hochant la tete apres une pause. En allant, elle causait de vous avec moi : « N’est-ce pas, mon pere, il est bien ! il a bon c?ur ! Parle-t-il de moi ? » Bah, elle m’en a dit, depuis la rue d’Artois jusqu’au passage des Panoramas, des volumes ! Elle m’a enfin verse son c?ur dans le mien. Pendant toute cette bonne matinee, je n’etais plus vieux, je ne pesais pas une once. Je lui ai dit que vous m’aviez remis le billet de mille francs. Oh ! la cherie, elle en a ete emue aux larmes. Qu’avez-vous donc la sur votre cheminee ? dit enfin le pere Goriot qui se mourait d’impatience en voyant Rastignac immobile.

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