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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (лучшие книги читать онлайн бесплатно .TXT) 📗

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— Elle a de grosses mains.

— Les beaux yeux !

— Elle a le visage en long.

— Mais la forme longue a de la distinction.

— Cela est heureux pour elle qu’il y en ait la. Voyez comment elle prend et quitte son lorgnon ! Le Goriot perce dans tous ses mouvements, dit la vicomtesse au grand etonnement d’Eugene.

En effet, madame de Beauseant lorgnait la salle et semblait ne pas faire attention a madame de Nucingen, dont elle ne perdait cependant pas un geste. L’assemblee etait exquisement belle. Delphine de Nucingen n’etait pas peu flattee d’occuper exclusivement le jeune, le beau, l’elegant cousin de madame de Beauseant, il ne regardait qu’elle.

— Si vous continuez a la couvrir de vos regards, vous allez faire scandale, monsieur de Rastignac. Vous ne reussirez a rien, si vous vous jetez ainsi a la tete des gens.

— Ma chere cousine, dit Eugene, vous m’avez deja bien protege ; si vous voulez achever votre ouvrage, je ne vous demande plus que de me rendre un service qui vous donnera peu de peine et me fera grand bien. Me voila pris.

— Deja ?

— Oui.

— Et de cette femme ?

— Mes pretentions seraient-elles donc ecoutees ailleurs ? dit-il en lancant un regard penetrant a sa cousine. Madame la duchesse de Carigliano est attachee a madame la duchesse de Berry, reprit-il apres une pause, vous devez la voir, ayez la bonte de me presenter chez elle et de m’amener au bal qu’elle donne lundi. J’y rencontrerai madame de Nucingen, et je livrerai ma premiere escarmouche.

— Volontiers, dit-elle. Si vous vous sentez deja du gout pour elle, vos affaires de c?ur vont tres-bien. Voici de Marsay dans la loge de la princesse Galathionne. Madame de Nucingen est au supplice, elle se depite. Il n’y a pas de meilleur moment pour aborder une femme, surtout une femme de banquier. Ces dames de la Chaussee-d’Antin aiment toutes la vengeance.

— Que feriez-vous donc, vous, en pareil cas ?

— Moi, je souffrirais en silence.

En ce moment le marquis d’Ajuda se presenta dans la loge de madame de Beauseant.

— J’ai mal fait mes affaires afin de venir vous retrouver, dit-il, et je vous en instruis pour que ce ne soit pas un sacrifice.

Les rayonnements du visage de la vicomtesse apprirent a Eugene a reconnaitre les expressions d’un veritable amour, et a ne pas les confondre avec les simagrees de la coquetterie parisienne. Il admira sa cousine, devint muet et ceda sa place a monsieur d’Ajuda en soupirant. « Quelle noble, quelle sublime creature est une femme qui aime ainsi ! se dit-il. Et cet homme la trahirait pour une poupee ! comment peut-on la trahir ? » Il se sentit au c?ur une rage d’enfant. Il aurait voulu se rouler aux pieds de madame de Beauseant, il souhaitait le pouvoir des demons afin de l’emporter dans son c?ur, comme un aigle enleve de la plaine dans son aire une jeune chevre blanche qui tette encore. Il etait humilie d’etre dans ce grand Musee de la beaute sans son tableau, sans une maitresse a lui. « Avoir une maitresse est une position quasi royale, se disait-il, c’est le signe de la puissance ! » Et il regarda madame de Nucingen comme un homme insulte regarde son adversaire. La vicomtesse se retourna vers lui pour lui adresser sur sa discretion mille remerciments dans un clignement d’yeux. Le premier acte etait fini.

— Vous connaissez assez madame de Nucingen pour lui presenter monsieur de Rastignac ? dit elle au marquis d’Ajuda.

— Mais elle sera charmee de voir monsieur, dit le marquis.

Le beau Portugais se leva, prit le bras de l’etudiant, qui en un clin d’?il se trouva aupres de madame de Nucingen.

— Madame la baronne, dit le marquis, j’ai l’honneur de vous presenter le chevalier Eugene de Rastignac, un cousin de la vicomtesse de Beauseant. Vous faites une si vive impression sur lui, que j’ai voulu completer son bonheur en le rapprochant de son idole.

Ces mots furent dits avec un certain accent de raillerie qui en faisait passer la pensee un peu brutale, mais qui, bien sauvee, ne deplait jamais a une femme. Madame de Nucingen sourit, et offrit a Eugene la place de son mari, qui venait de sortir.

— Je n’ose pas vous proposer de rester pres de moi, monsieur, lui dit-elle. Quand on a le bonheur d’etre aupres de madame de Beauseant, on y reste.

— Mais, lui dit a voix basse Eugene, il me semble, madame, que si je veux plaire a ma cousine, je demeurerai pres de vous. Avant l’arrivee de monsieur le marquis, nous parlions de vous et de la distinction de toute votre personne, dit-il a haute voix.

Monsieur d’Ajuda se retira.

— Vraiment, monsieur, dit la baronne, vous allez me rester ? Nous ferons donc connaissance, madame de Restaud m’avait deja donne le plus vif desir de vous voir.

— Elle est donc bien fausse, elle m’a fait consigner a sa porte.

— Comment ?

— Madame, j’aurai la conscience de vous en dire la raison ; mais je reclame toute votre indulgence en vous confiant un pareil secret. Je suis le voisin de monsieur votre pere. J’ignorais que madame de Restaud fut sa fille. J’ai eu l’imprudence d’en parler fort innocemment, et j’ai fache madame votre s?ur et son mari. Vous ne sauriez croire combien madame la duchesse de Langeais et ma cousine ont trouve cette apostasie filiale de mauvais gout. Je leur ai raconte la scene, elles en ont ri comme des folles. Ce fut alors qu’en faisant un parallele entre vous et votre s?ur, madame de Beauseant me parla de vous en fort bons termes, et me dit combien vous etiez excellente pour mon voisin, monsieur Goriot. Comment, en effet, ne l’aimeriez-vous pas ? il vous adore si passionnement que j’en suis deja jaloux. Nous avons parle de vous ce matin pendant deux heures. Puis, tout plein de ce que votre pere m’a raconte ; ce soir en dinant avec ma cousine, je lui disais que vous ne pouviez pas etre aussi belle que vous etiez aimante. Voulant sans doute favoriser une si chaude admiration, madame de Beauseant m’a amene ici, en me disant avec sa grace habituelle que je vous y verrais.

— Comment, monsieur, dit la femme du banquier, je vous dois deja de la reconnaissance ? Encore un peu, nous allons etre de vieux amis.

— Quoique l’amitie doive etre pres de vous un sentiment peu vulgaire, dit Rastignac, je ne veux jamais etre votre ami.

Ces sottises stereotypees a l’usage des debutants paraissent toujours charmantes aux femmes, et ne sont pauvres que lues a froid. Le geste, l’accent, le regard d’un jeune homme, leur donnent d’incalculables valeurs. Madame de Nucingen trouva Rastignac charmant. Puis, comme toutes les femmes, ne pouvant rien dire a des questions aussi drument posees que l’etait celle de l’etudiant, elle repondit a autre chose.

— Oui, ma s?ur se fait tort par la maniere dont elle se conduit avec ce pauvre pere, qui vraiment a ete pour nous un dieu. Il a fallu que monsieur de Nucingen m’ordonnat positivement de ne voir mon pere que le matin, pour que je cedasse sur ce point. Mais j’en ai long-temps ete bien malheureuse. Je pleurais. Ces violences, venues apres les brutalites du mariage, ont ete l’une des raisons qui troublerent le plus mon menage. Je suis certes la femme de Paris la plus heureuse aux yeux du monde, la plus malheureuse en realite. Vous allez me trouver folle de vous parler ainsi. Mais vous connaissez mon pere, et, a ce titre, vous ne pouvez pas m’etre etranger.

— Vous n’aurez jamais rencontre personne, lui dit Eugene, qui soit anime d’un plus vif desir de vous appartenir. Que cherchez-vous toutes ? le bonheur, reprit-il d’une voix qui allait a l’ame. Eh ! bien, si, pour une femme, le bonheur est d’etre aimee, adoree, d’avoir un ami a qui elle puisse confier ses desirs, ses fantaisies, ses chagrins, ses joies ; se montrer dans la nudite de son ame, avec ses jolis defauts et ses belles qualites, sans craindre d’etre trahie ; croyez-moi, ce c?ur devoue, toujours ardent, ne peut se rencontrer que chez un homme jeune, plein d’illusions, qui peut mourir sur un seul de vos signes, qui ne sait rien encore du monde et n’en veut rien savoir, parce que vous devenez le monde pour lui. Moi, voyez-vous, vous allez rire de ma naivete, j’arrive du fond d’une province, entierement neuf, n’ayant connu que de belles ames, et je comptais rester sans amour. Il m’est arrive de voir ma cousine, qui m’a mis trop pres de son c?ur ; elle m’a fait deviner les mille tresors de la passion ; je suis, comme Cherubin, l’amant de toutes les femmes, en attendant que je puisse me devouer a quelqu’une d’entre elles. En vous voyant, quand je suis entre, je me suis senti porte vers vous comme par un courant. J’avais deja tant pense a vous ! Mais je ne vous avais pas revee aussi belle que vous l’etes en realite. Madame de Beauseant m’a ordonne de ne pas vous tant regarder. Elle ne sait pas ce qu’il y a d’attrayant a voir vos jolies levres rouges, votre teint blanc, vos yeux si doux. Moi aussi, je vous dis des folies, mais laissez-les-moi dire.

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