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Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de (электронную книгу бесплатно без регистрации txt) 📗

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De vray, il n'en doibt pas aller comme des officiers des Roys de Sparte, trompettes, menestriers, cuisiniers, a qui en leurs charges succedoient les enfants, pour ignorants qu'ils fussent, avant les mieux experimentez du mestier. Ceux de Callicut font des nobles, une espece par dessus l'humaine. Le mariage leur est interdit, et toute autre vacation que bellique. De concubines, ils en peuvent avoir leur saoul: et les femmes autant de ruffiens: sans jalousie les uns des autres. Mais c'est un crime capital et irremissible, de s'accoupler a personne d'autre condition que la leur. Et se tiennent pollus, s'ils en sont seulement touchez en passant: et, comme leur noblesse en estant merveilleusement injuriee et interessee, tuent ceux qui seulement ont approche un peu trop pres d'eux. De maniere que les ignobles sont tenus de crier en marchant, comme les Gondoliers de Venise, au contour des rues, pour ne s'entreheurter: et les nobles, leur commandent de se jetter au quartier qu'ils veulent. Ceux cy evitent par la, cette ignominie, qu'ils estiment perpetuelle; ceux la une mort certaine. Nulle duree de temps, nulle faveur de prince, nul office, ou vertu, ou richesse peut faire qu'un roturier devienne noble. A quoy ayde cette coustume, que les mariages sont defendus de l'un mestier a l'autre. Ne peut une de race cordonniere, espouser un charpentier: et sont les parents obligez de dresser les enfants a la vacation des peres, precisement, et non a autre vacation: par ou se maintient la distinction et continuation de leur fortune.

Un bon mariage, s'il en est, refuse la compagnie et conditions de l'amour: il tasche a representer celles de l'amitie. C'est une douce societe de vie, pleine de constance, de fiance, et d'un nombre infiny d'utiles et solides offices, et obligations mutuelles: Aucune femme qui en savoure le goust,

optato quam junxit lumine t?da ,

ne voudroit tenir lieu de maistresse a son mary. Si elle est logee en son affection, comme femme, elle y est bien plus honorablement et seurement logee. Quand il fera l'esmeu ailleurs, et l'empresse, qu'on luy demande pourtant lors, a qui il aymeroit mieux arriver une honte, ou a sa femme ou a sa maistresse, de qui la desfortune l'affligeroit le plus, a qui il desire plus de grandeur: ces demandes n'ont aucun doubte en un mariage sain. Ce qu'il s'en voit si peu de bons, est signe de son prix et de sa valeur. A le bien faconner et a le bien prendre, il n'est point de plus belle piece en nostre societe. Nous ne nous en pouvons passer, et l'allons avilissant. Il en advient ce qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont dehors, desesperent d'y entrer; et d'un pareil soing en sortir, ceux qui sont au dedans. Socrates, enquis, qui estoit plus commode, prendre, ou ne prendre point de femme: Lequel des deux, dit-il, on face, on s'en repentira. C'est une convention a laquelle se rapporte bien a point ce qu'on dit, homo homini , ou Deus , ou lupus . Il faut le rencontre de beaucoup de qualitez a le bastir. Il se trouve en ce temps plus commode aux ames simples et populaires, ou les delices, la curiosite, et l'oysivete, ne le troublent pas tant. Les humeurs desbauchees, comme est la mienne, qui hay toute sorte de liaison et d'obligation, n'y sont pas si propres.

Et mihi dulce magis resoluto vivere collo .

De mon dessein, j'eusse fuy d'espouser la sagesse mesme, si elle m'eust voulu: Mais nous avons beau dire: la coustume et l'usage de la vie commune, nous emporte. La plus part de mes actions se conduisent par exemple, non par choix. Toutesfois je ne m'y conviay pas proprement: On m'y mena, et y fus porte par des occasions estrangeres. Car non seulement les choses incommodes, mais il n'en est aucune si laide et vitieuse et evitable, qui ne puisse devenir acceptable par quelque condition et accident: Tant l'humaine posture est vaine. Et y fus porte, certes plus mal prepare lors, et plus rebours, que je ne suis a present, apres l'avoir essaye. Et tout licencieux qu'on me tient, j'ay en verite plus severement observe les loix de mariage, que je n'avois ny promis ny espere. Il n'est plus temps de regimber quand on s'est laisse entraver. Il faut prudemment mesnager sa liberte: mais depuis qu'on s'est submis a l'obligation, il s'y faut tenir soubs les loix du debvoir commun, aumoins s'en efforcer. Ceux qui entreprennent ce marche pour s'y porter avec hayne et mespris, font injustement et incommodement: Et cette belle reigle que je voy passer de main en main entre elles, comme un sainct oracle,

Sers ton mary comme ton maistre,

Et t'en garde comme d'un traistre :

Qui est a dire: Porte toy envers luy, d'une reverence contrainte, ennemye, et deffiante (cry de guerre et de deffi) est pareillement injurieuse et difficile. Je suis trop mol pour desseins si espineux. A dire vray, je ne suis pas encore arrive a cette perfection d'habilete et galantise d'esprit, que de confondre la raison avec l'injustice, et mettre en risee tout ordre et reigle qui n'accorde a mon appetit: Pour hayr la superstition, je ne me jette pas incontinent a l'irreligion. Si on ne fait tousjours son debvoir, au moins le faut il tousjours aymer et recognoistre: c'esttrahison, se marier sans s'espouser. Passons outre.

Nostre poete represente un mariage plein d'accord et de bonne convenance, auquel pourtant il n'y a pas beaucoup de loyaute. A il voulu dire, qu'il ne soit pas impossible de se rendre aux efforts de l'amour, et ce neantmoins reserver quelque devoir envers le mariage: et qu'on le peut blesser, sans le rompre tout a faict? Tel valet ferre la mule au maistre qu'il ne hayt pas pourtant. La beaute, l'oportunite, la destinee (car la destinee y met aussi la main)

fatum est in partibus illis

Quas sinus abscondit: nam si tibi sidera cessent,

Nil faciet longi mensura incognita nervi ,

l'ont attachee a un estranger: non pas si entiere peut estre, qu'il ne luy puisse rester quelque liaison par ou elle tient encore a son mary. Ce sont deux desseins, qui ont des routes distinguees, et non confondues: Une femme se peut rendre a tel personnage, que nullement elle ne voudroit avoir espouse: je ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour celles mesmes de la personne. Peu de gens ont espouse des amies qui ne s'en soyent repentis. Et jusques en l'autre monde, quel mauvais mesnage fait Jupiter avec sa femme, qu'il avoit premierement pratiquee et jouye par amourettes? C'est ce qu'on dit, chier dans le panier, pour apres le mettre sur sa teste.

J'ay veu de mon temps en quelque bon lieu, guerir honteusement et deshonnestement, l'amour, par le mariage: les considerations sont trop autres. Nous aymons, sans nous empescher, deux choses diverses, et qui se contrarient. Isocrates disoit, que la ville d'Athenes plaisoit a la mode que font les dames qu'on sert par amour; chacun aymoit a s'y venir promener, et y passer son temps: nul ne l'aymoit pour l'espouser: c'est a dire, pour s'y habituer et domicilier J'ay avec despit, veu des maris hayr leurs femmes, de ce seulement, qu'ils leur font tort: Aumoins ne les faut il pas moins aymer, de nostre faute: par repentance et compassion aumoins, elles nous en devroient estre plus cheres.

Ce sont fins differentes, et pourtant compatibles, dit-il, en quelque facon. Le mariage a pour sa part, l'utilite, la justice, l'honneur, et la constance: un plaisir plat, mais plus universel. L'amour se fonde au seul plaisir: et l'a de vray plus chatouilleux, plus vif, et plus aigu: un plaisir attize par la difficulte: il y faut de la piqueure et de la cuison: Ce n'est plus amour, s'il est sans fleches et sans feu. La liberalite des dames est trop profuse au mariage, et esmousse la poincte de l'affection et du desir. Pour fuir a cet inconvenient, voyez la peine qu'y prennent en leurs loix Lycurgus et Platon.

Les femmes n'ont pas tort du tout, quand elles refusent les reigles de vie, qui sont introduites au monde: d'autant que ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles. Il y a naturellement de la brigue et riotte entre elles et nous. Le plus estroit consentement que nous ayons avec elles, encores est-il tumultuaire et tempestueux. A l'advis de nostre autheur, nous les traictons inconsiderement en cecy. Apres que nous avons cogneu, qu'elles sont sans comparaison plus capables et ardentes aux effects de l'amour que nous, et que ce prestre ancien l'a ainsi tesmoigne, qui avoit este tantost homme, tantost femme:

Venus huic erat utraque nota :

Et en outre, que nous avons appris de leur propre bouche, la preuve qu'en firent autrefois, en divers siecles, un Empereur et une Emperiere de Rome, maistres ouvriers et fameux en cette besongne: luy despucela bien en une nuict dix vierges Sarmates ses captives: mais elle fournit reelement en une nuict, a vingt et cinq entreprinses, changeant de compagnie selon son besoing et son goust,

adhuc ardens rigid? tentigine vulv?:

Et lassata viris, nondum satiata recessit .

Et que sur le different advenu a Cateloigne, entre une femme, se plaignant des efforts trop assiduelz de son mary (Non tant a mon advis qu'elle en fust incommodee, car je ne crois les miracles qu'en foy, comme pour retrancher soubs ce pretexte, et brider en ce mesme, qui est l'action fondamentale du mariage, l'authorite des maris envers leurs femmes: Et pour montrer que leurs hergnes, et leur malignite passent outre la couche nuptiale, et foulent aux pieds les graces et douceurs mesmes de Venus) a laquelle plainte, le mary respondoit, homme vrayement brutal et desnature, qu'aux jours mesme de jeusne il ne s'en scauroit passer a moins de dix: Intervint ce notable arrest de la Royne d'Aragon: par lequel, apres meure deliberation de conseil, cette bonne Royne, pour donner reigle et exemple a tout temps, de la moderation et modestie requise en un juste mariage: ordonna pour bornes legitimes et necessaires, le nombre de six par jour: Relaschant et quitant beaucoup du besoing et desir de son sexe, pour establir, disoit elle, une forme aysee, et par consequent permanante et immuable. En quoy s'escrient les docteurs, quel doit estre l'appetit et la concupiscence feminine, puisque leur raison, leur reformation, et leur vertu, se taille a ce prix? considerans le divers jugement de nos appetits: Car Solon patron de l'eschole legiste ne taxe qu'a trois fois par mois, pour ne faillir point, cette hantise conjugale. Apres avoir creu (dis-je) et presche cela, nous sommes allez, leur donner la continence peculierement en partage: et sur peines dernieres et extremes.

Il n'est passion plus pressante, que cette cy, a laquelle nous voulons qu'elles resistent seules: Non simplement, comme a un vice de sa mesure: mais comme a l'abomination et execration, plus qu'a l'irreligion et au parricide: et nous nous y rendons ce pendant sans coulpe et reproche. Ceux mesme d'entre nous, qui ont essaye d'en venir a bout, ont assez avoue, quelle difficulte, ou plustost impossibilite il y avoit, usant de remedes materiels, a mater, affoiblir et refroidir le corps. Nous au contraire, les voulons saines, vigoreuses, en bon point, bien nourries, et chastes ensemble: c'est a dire, et chaudes et froides. Car le mariage, que nous disons avoir charge de les empescher de bruler, leur aporte peu de refraichissement, selon nos moeurs. Si elles en prennent un, a qui la vigueur de l'aage boult encores, il fera gloire de l'espandre ailleurs:

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