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Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian (книги бесплатно без регистрации TXT) 📗

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Toute la societe monta en voiture pour se rendre dans le bois. La jeune fille prit le panier sur ses genoux; entre les plis de la serviette blanche qui le recouvrait, sortait le goulot de la bouteille; il montrait fierement son cachet rouge. Il regardait le visage de la jeune fille, qui jetait a la derobee les yeux sur son voisin, un camarade d'enfance, le fils du peintre de portraits. Il venait de passer avec honneur l'examen de capitaine au long cours, et le lendemain il devait partir sur un navire.

Lorsqu'on fut arrive sous la feuillee, les jeunes gens causerent a part. La bouteille entendit encore moins que les autres ce qu'ils se dirent, car elle etait toujours dans le panier; elle en fut tiree enfin; la premiere chose qu'elle observa, ce fut le changement qui s'etait opere sur le visage de la jeune fille: elle restait aussi silencieuse que dans la voiture; mais elle etait rayonnante de bonheur.

Tout le monde etait joyeux et riait gaiement. Le brave fourreur saisit la bouteille et y appliqua le tire-bouchon. Jamais le goulot n'oublia plus tard le moment solennel ou l'on tira pour la premiere fois le bouchon qui le fermait. Schouap, dit-il avec une nettete de son de bon augure, et puis quel doux glouglou il fit retentir lorsqu'on versa le vin dans les verres!

– Vivent les fiances! s'ecria le fourreur.

Et tous viderent leur verre, et le jeune marin embrassa sa fiancee.

– Que Dieu vous benisse et vous donne le bonheur! reprit le papa.

Le jeune homme remplit de nouveau les verres:

– Buvons a mon heureux retour, dit-il. D'aujourd'hui en un an, nous celebrerons la noce!

Et lorsqu'on eut vide les verres, il prit la bouteille et s'ecria:

– Tu as servi a feter le jour le plus heureux de ma vie. Apres cela, tu ne dois plus remplir d'emploi en ce monde: tu ne retrouverais plus un aussi beau role.

Et il lanca avec force la bouteille en l'air.

La bouteille tomba sans se casser au milieu d'une epaisse touffe de joncs sur le bord d'un petit etang: elle eut le temps d'y reflechir a l'ingratitude du monde.» Moi, je leur ai donne de l'excellent vin, se disait-elle, et en retour ils m'ont rempli d'eau bourbeuse.»

Elle ne voyait plus la joyeuse societe. Mais elle les entendit chanter encore et se rejouir pendant bien des heures. Quand ils furent partis, survinrent deux petits paysans; en furetant dans les joncs, ils apercurent la bouteille et l'emporterent chez eux. Ils avaient vu la veille leur frere aine, un matelot, qui devait s'embarquer le lendemain pour un long voyage, et qui etait venu dire adieu a sa famille.

La mere etait justement occupee a faire pour lui un paquet ou elle fourrait tout ce qu'elle pensait pouvoir lui etre utile pendant la traversee; le pere devait le porter le soir en ville. Une fiole contenant de l'eau-de-vie epuree etait deja enveloppee, lorsque les garcons rentrerent avec la belle grande bouteille qu'ils avaient trouvee. La mere retira la fiole et mit en place la bouteille qu'elle remplit de sa bonne eau-de-vie.

– Comme cela, il en aura plus, dit-elle; c'est assez d'une bouteille pour ne pas avoir une seule fois mal a l'estomac pendant tout le voyage.

Voila donc la bouteille relancee en plein dans le tourbillon du monde. Le matelot, Pierre Jensen, la recut avec plaisir et l'emporta a bord de son batiment, le meme justement que commandait le jeune capitaine dont il vient d'etre parle.

Elle n'avait pas trop dechu; car le breuvage qu'elle contenait paraissait aux matelots aussi exquis qu'aurait pu l'etre pour eux le vin qui s'y trouvait auparavant.»Voila la meilleure des pharmacies!» disaient-ils, chaque fois que Pierre Jensen la tirait pour en verser une goutte aux camarades qui avaient mal a l'estomac.

Aussi longtemps qu'elle renferma une goutte de la precieuse liqueur, on la tint en grand honneur; mais un jour elle se trouva vide, absolument vide. On la fourra dans un coin ou elle resta sans que personne prit garde a elle.

Voila qu'un jour s'eleve une tempete; d'enormes et lourdes vagues soulevent le batiment avec violence. Le grand mat se brise, une voie d'eau se declare; les pompes restent impuissantes. Il faisait nuit noire. Le navire sombra.

Mais au dernier moment le jeune capitaine ecrivit a la lueur des eclairs sur un bout de papier: «Au nom du Christ! Nous perissons.» Il ajouta le nom du navire, le sien, celui de sa fiancee. Puis il glissa le papier dans la premiere bouteille vide venue, la reboucha ferme, et la lanca au milieu des flots en fureur. Elle qui lui avait naguere verse la joie et le bonheur, elle contenait maintenant cet affreux message de mort.

Le navire disparut, tout l'equipage disparut; la bouteille rebondissait de vague en vague, legere et alerte comme il convient a une messagere qui porte un dernier billet doux. Dans ces peregrinations elle eut le bonheur de n'etre ni poussee contre des rochers, ni avalee par un requin.

Le papier qu'elle contenait, ce dernier adieu du fiance a la fiancee, ne devait qu'apporter la desolation en parvenant entre les mains de celle a laquelle il etait destine. Apres tout, le chagrin et le desespoir qu'il devait provoquer eussent encore mieux valu que les angoisses de l'incertitude qui accablaient la jeune fille. Ou etait elle? Dans quelle direction voguer pour atteindre son pays?

La bouteille n'en savait rien. Elle continua a se laisser ballotter de droite et de gauche.

Tout a coup elle vint echouer sur le sable d'une plage; on la recueillit. Elle ne saisit pas un mot de ce que disaient les assistants; le pays, en effet, etait eloigne de bien des centaines de lieues de celui d'ou elle etait originaire.

On la ramassa donc, et apres l'avoir bien examinee de tous cotes, on l'ouvrit pour en retirer le papier qu'elle contenait. On le tourna et retourna dans tous les sens, personne ne put comprendre ce qu'il y avait ecrit. Ils devinaient bien qu'elle provenait d'un batiment qui avait fait naufrage, qu'il etait question de cela sur le billet, mais voila tout. Apres avoir consulte en vain le plus savant d'entre eux, ils remirent le papier dans la bouteille, qui fut placee dans la grande armoire d'une grande chambre, dans une grande maison.

Chaque fois qu'il venait des etrangers, on prenait le papier pour le leur montrer, mais aucun d'eux ne savait la langue dans laquelle etait ecrit le billet. A force de passer de mains en mains, l'ecriture, qui n'etait tracee qu'au crayon, s'effaca, devint de plus en plus difficile a distinguer et finit par disparaitre entierement.

Apres etre restee une annee dans l'armoire, la bouteille fut portee au grenier, ou elle se trouva bientot couverte de poussiere et de toiles d'araignee. Elle se souvenait avec amertume des beaux jours ou elle versait le divin jus de la treille la-bas sous les frais ombrages des bois, puis du temps ou elle se balancait sur les flots, portant un tragique secret, un dernier soupir d'adieu.

Elle resta vingt annees entieres a se morfondre dans la solitude du grenier; elle aurait pu y demeurer un siecle, si l'on n'avait demoli la maison pour la reconstruire. Quand on enleva la toiture, on l'apercut, et l'on parut se rappeler qui elle etait. Mais elle continua de ne comprendre absolument rien de ce qui se disait.» Si j'etais cependant restee en bas, pensait-elle, j'aurais fini par apprendre la langue du pays; la-haut, toute seule avec les rats et les souris, il etait impossible de m'instruire.»

On la lava et la rinca, ce n'etait pas de trop. Enfin, elle se sentit de nouveau toute propre et transparente; son ancienne gaiete lui revint. Quant au papier, qu'elle avait jusqu'alors garde fidelement, il perit dans la lessive.

On la remplit de semences de plantes du Sud qu'on expedia au Nord; bien bouchee, bien calfeutree et enveloppee, elle fut placee sur un navire, dans un coin obscur, ou elle n'apercut pendant tout le voyage ni lumiere, ni lanterne, ni, a plus forte raison, le soleil ni la lune.»De cette facon, se dit-elle, quel fruit retirerai-je de mon voyage?»

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