Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian (книги бесплатно без регистрации TXT) 📗
Comme aucune des fleurs n'avait l'air de voir Sophie, elle se laissa tomber du tiroir sur le parquet dans un grand bruit. Toutes les fleurs accoururent pour l'entourer et lui demander si elle ne s'etait pas fait mal, et elles etaient toutes si aimables avec elle, surtout celles qui avaient couche dans son lit.
Elle ne s'etait pas du tout fait mal, affirmait-elle, et les fleurs d'Ida la remercierent pour le lit douillet. Tout le monde l'aimait et l'attirait juste au milieu du parquet, la ou scintillait la lune, on dansait avec elle et toutes les fleurs faisaient cercle autour. Sophie etait bien contente, elle les pria de conserver son lit.
Mais les fleurs repondirent:
– Nous te remercions mille fois, mais nous ne pouvons pas vivre si longtemps. Demain nous serons tout a fait mortes. Mais dis a la petite Ida qu'elle nous enterre dans le jardin, pres de la tombe de son canari, alors nous refleurirons l'ete prochain et nous serons encore plus belles.
– Non, ne mourez pas, dit Sophie en embrassant les fleurs.
Au meme instant la porte de la salle s'ouvrit et une foule de jolies fleurs entrerent en dansant. Ida ne comprenait pas d'ou elles pouvaient venir, c'etaient surement toutes les fleurs du chateau du roi. En tete s'avancaient deux roses magnifiques portant de petites couronnes d'or: c'etaient un roi et une reine. Puis venaient les plus ravissantes giroflees et des oeillets qui saluaient de tous cotes. Ils etaient accompagnes de musique: des coquelicots et des pivoines soufflaient dans des cosses de pois a en etre cramoisies. Les campanules bleues et les petites niveoles blanches sonnaient comme si elles avaient eu des clochettes. Venaient ensuite quantite d'autres fleurs, elles dansaient toutes ensemble, les violettes bleues et les paquerettes rouges, les marguerites et les muguets. Et toutes s'embrassaient, c'etait ravissant a voir.
A la fin, les fleurs se souhaiterent bonne nuit, la petite Ida se glissa aussi dans son lit et elle reva de tout ce qu'elle avait vu.
Quand elle se leva le lendemain matin, elle courut aussitot a la table pour voir si les fleurs etaient encore la, et elle tira les rideaux du petit lit; oui, elles y etaient mais tout a fait fanees, beaucoup plus que la veille.
Sophie etait couchee dans le tiroir, elle avait l'air d'avoir tres sommeil.
– Te rappelles-tu ce que tu devais me dire? demanda Ida.
Sophie avait l'air stupide et ne repondit pas un mot.
– Tu n'es pas gentille, dit Ida et pourtant elles ont toutes danse avec toi.
Elle prit une petite boite en papier sur laquelle etaient dessines de jolis oiseaux, l'ouvrit et y deposa les fleurs mortes.
– Ce sera votre cercueil, dit-elle, et quand mes cousins norvegiens viendront, ils assisteront a votre enterrement dans le jardin afin que l'ete prochain vous repoussiez encore plus belles.
Les cousins norvegiens etaient deux garcons pleins de sante s'appelant Jonas et Adolphe. Leur pere leur avait fait cadeau de deux arcs, et ils les avaient apportes pour les montrer a Ida. Elle leur raconta l'histoire des pauvres fleurs qui etaient mortes et ils durent les enterrer.
Le goulot de la bouteille
Dans une rue etroite et tortueuse, toute batie de maisons de pietre apparence, il y en avait une particulierement miserable, bien qu'elle fut la plus haute; elle etait tellement vieille, qu'elle semblait etre sur le point de s'ecrouler de toutes parts. Il n'y habitait que de pauvres gens; mais la chambre ou l'indigence etait le plus visible, c'etait une mansarde a une seule petite fenetre, devant laquelle pendait une vieille et mauvaise cage, qui n'avait meme pas un vrai godet; en place se trouvait un goulot de bouteille renverse, et ferme par un bouchon, pour retenir l'eau que venait boire un gentil canari. Sans avoir l'air de s'occuper de sa miserable installation, le petit oiseau sautait gaiement de baton en baton et fredonnait les airs les plus joyeux.
– Oui, tu peux chanter, toi, dit le goulot.
C'est-a-dire il ne le dit pas tout haut, vu qu'il ne savait pas plus parler que tout autre goulot; mais il le pensait tout bas, comme quand nous autres humains nous nous parlons a nous-memes.
– Rien ne t'empeche de chanter, reprit-il. Tu as conserve tes membres entiers. Mais je voudrais voir ce que tu ferais si, comme moi, tu avais perdu tout ton arriere-train, si tu n'avais plus que le cou et la bouche, et celle-la encore fermee d'un bouchon. Tu ne chanterais certes pas. Mais va toujours; ce n'est pas un mal qu'il y ait au moins un etre un peu gai dans cette maison.
«Moi je n'ai aucune raison de chanter, et je ne le pourrais pas, du reste. Autrefois, quand j'etais une bouteille entiere, il m'arrivait de chanter aussi quand on me frottait adroitement avec un bouchon. Et puis les gens chantaient en mon honneur, ils me fetaient. Dieu sait combien on me dit d'agreables choses, lorsque je fus de la partie de campagne ou la fille du fourreur fut fiancee! Il me semble que ce n'est que d'hier. Et cependant que d'aventures j'ai eprouvees depuis lors! Quelle vie accidentee que la mienne! J'ai ete dans le feu, dans l'eau, dans la terre, et plus dans les airs que la plupart des creatures de ce monde. Voyons, que je recapitule une fois pour toutes les circonstances de ma curieuse histoire.»
Et il pensa au four en flammes ou la bouteille avait pris naissance, a la facon dont on l'avait, en soufflant, formee d'une masse liquide et bouillante. Elle etait encore toute chaude, lorsqu'elle regarda dans le feu ardent d'ou elle sortait; elle eut le desir de rouler et de s'y replonger. Mais a mesure qu'elle se refroidit elle eprouva du plaisir a figurer dans le monde comme un etre particulier et distinct, a ne plus etre perdue et confondue dans une masse.
On l'aligna dans les rangs de tout un regiment d'autres bouteilles, ses soeurs, tirees toutes du meme four; elles etaient de grandeur et de forme les plus diverses, les unes bouteilles a champagne, les autres simples bouteilles de biere. Elles etaient separees les unes des autres selon leur destination. Plus tard, dans le cours de la vie, il peut fort bien se faire qu'une bouteille fabriquee pour recevoir de la vulgaire piquette soit remplie du plus precieux Lacrima-Christi, tandis qu'une bouteille a champagne en arrive a ne contenir que du cirage. Mais cela n'empeche pas qu'on reconnaisse toujours sa noble origine.
On expedia les bouteilles dans toutes les directions; soigneusement entourees de foin elles furent placees dans des caisses. Le transport se fit avec beaucoup de precaution; notre bouteille y vit la marque d'un grand respect pour elle, et certes elle ne s'imaginait pas qu'elle finirait apres avoir ete traitee avec tant de deference, par servir d'abreuvoir au serin d'une pauvresse.
La caisse ou elle se trouvait fut descendue dans la cave d'un marchand de vin; on la deballa, et pour la premiere fois elle fut rincee. Ce fut pour elle une sensation singuliere. On la rangea de cote, vide et sans bouchon; elle n'etait pas a son aise; il lui manquait quelque chose, elle ne savait pas quoi. Enfin elle fut remplie d'excellent vin, d'un cru celebre; elle recut un bouchon qui fut recouvert de cire, et une etiquette avec ces mots: Premiere qualite. Elle etait aussi fiere qu'un collegien qui a remporte le prix d'honneur: le vin etait bon et la bouteille aussi etait d'un verre solide et sans soufflure.
On la monta a la boutique. Quand on est jeune, on est porte au lyrisme; en effet elle sentait fermenter en elle toutes sortes d'idees de choses qu'elle ne connaissait pas, des reminiscences des montagnes ensoleillees ou pousse la vigne, des refrains joyeux. Tout cela resonnait en elle confusement.
Un beau jour, on vint l'acheter; ce fut l'apprenti d'un fourreur qui l'emporta. On la mit dans un panier a provisions avec un jambon, des saucissons, un fromage, du beurre le plus fin, du pain blanc et savoureux. Ce fut la fille meme du fourreur qui emballa tout cela. C'etait la plus jolie fille de la ville.