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Les Voyages De Gulliver - Swift Jonathan (читать книги онлайн без .txt) 📗

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La connaissance que j’avais des mathematiques m’aida beaucoup a comprendre leur facon de parler et leurs metaphores, tirees la plupart des mathematiques et de la musique, car je suis un peu musicien. Toutes leurs idees n’etaient qu’en lignes et en figures, et leur galanterie meme etait toute geometrique. Si, par exemple, ils voulaient louer la beaute d’une jeune fille, ils disaient que ses dents blanches etaient de beaux et parfaits parallelogrammes, que ses sourcils etaient un arc charmant ou une belle portion de cercle, que ses yeux formaient une ellipse admirable, que sa gorge etait decoree de deux globes asymptotes, et ainsi du reste. Le sinus, la tangente, la ligne courbe, le cone, le cylindre, l’ovale, la parabole, le diametre, le rayon, le centre, le point, sont parmi eux des termes qui entrent dans le langage affectueux.

Leurs maisons etaient fort mal baties: c’est qu’en ce pays-la on meprise la geometrie pratique comme une chose vulgaire et mecanique. Je n’ai jamais vu de peuple si sot, si niais, si maladroit dans tout ce qui regarde les actions communes et la conduite de la vie. Ce sont, outre cela, les plus mauvais raisonneurs du monde, toujours prets a contredire, si ce n’est lorsqu’ils pensent juste, ce qui leur arrive rarement, et alors ils se taisent; ils ne savent ce que c’est qu’imagination, invention, portraits, et n’ont pas meme de mots en leur langue qui expriment ces choses. Aussi tous leurs ouvrages, et meme leurs poesies, semblent des theoremes d’Euclide.

Plusieurs d’entre eux, principalement ceux qui s’appliquent a l’astronomie, donnent dans l’astrologie judiciaire, quoiqu’ils n’osent l’avouer publiquement; mais ce que je trouvai de plus surprenant, ce fut l’inclination qu’ils avaient pour la politique et leur curiosite pour les nouvelles; ils parlaient incessamment d’affaires d’Etat, et portaient sans facon leur jugement sur tout ce qui se passait dans les cabinets des princes. J’ai souvent remarque le meme caractere dans nos mathematiciens d’Europe, sans avoir jamais pu trouver la moindre analogie entre les mathematiques et la politique, a moins que l’on ne suppose que, comme le plus petit cercle a autant de degres que le plus grand, celui qui sait raisonner sur un cercle trace sur le papier peut egalement raisonner sur la sphere du monde; mais n’est-ce pas plutot le defaut naturel de tous les hommes, qui se plaisent naturellement a parler et a raisonner sur ce qu’ils entendent le moins?

Ce peuple parait toujours inquiet et alarme, et ce qui n’a jamais trouble le repos des autres hommes est le sujet continuel de leurs craintes et de leurs frayeurs: ils apprehendent l’alteration des corps celestes; par exemple, que la terre, par les approches continuelles du soleil, ne soit a la fin devoree par les flammes de cet astre terrible; que ce flambeau de la nature ne se trouve peu a peu encroute par son ecume, et ne vienne a s’eteindre tout a fait pour les mortels; ils craignent que la prochaine comete, qui, selon leur calcul, paraitra dans trente et un ans, d’un coup de sa queue ne foudroie la terre et ne la reduise en cendres; ils craignent encore que le soleil, a force de repandre des rayons de toutes parts, ne vienne enfin a s’user et a perdre tout a fait sa substance. Voila les craintes ordinaires et les alarmes qui leur derobent le sommeil et les privent de toutes sortes de plaisirs; aussi, des qu’ils se rencontrent le matin, ils se demandent d’abord les uns aux autres des nouvelles du soleil, comment il se porte et comment il s’est leve et couche.

Chapitre III

Phenomene explique par les philosophes et astronomes modernes. Les Laputiens sont grands astronomes. Comment le roi apaise les seditions.

Je demandai au roi la permission de voir les curiosites de l’ile; il me l’accorda et ordonna a un de ses courtisans de m’accompagner. Je voulus savoir principalement quel secret naturel ou artificiel etait le principe de ces mouvements divers, dont je vais rendre au lecteur un compte exact et philosophique.

L’ile volante est parfaitement ronde; son diametre est de sept mille huit cent trente-sept demi-toises, c’est-a-dire d’environ quatre mille pas, et par consequent contient a peu pres dix mille acres. Le fond de cette ile ou la surface de dessous, telle qu’elle parait a ceux qui la regardent d’en bas, est comme un large diamant, poli et taille regulierement, qui reflechit la lumiere a quatre cents pas. Il y a au-dessus plusieurs mineraux, situes selon le rang ordinaire des mines, et par-dessus est un terrain fertile de dix ou douze pieds de profondeur.

Le penchant des parties de la circonference vers le centre de la surface superieure est la cause naturelle que toutes les pluies et rosees qui tombent sur l’ile sont conduites par de petits ruisseaux vers le milieu, ou ils s’amassent dans quatre grands bassins, chacun d’environ un demi-mille de circuit. A deux cents pas de distance du centre de ces bassins, l’eau est continuellement attiree et pompee par le soleil pendant le jour, ce qui empeche le debordement. De plus, comme il est au pouvoir du monarque d’elever l’ile au-dessus de la region des nuages et des vapeurs terrestres, il peut, quand il lui plait, empecher la chute de la pluie et de la rosee, ce qui n’est au pouvoir d’aucun potentat d’Europe, qui, ne dependant de personne, depend toujours de la pluie et du beau temps.

Au centre de l’ile est un trou d’environ vingt-cinq toises de diametre, par lequel les astronomes descendent dans un large dome, qui, pour cette raison, est appele Flandola Gahnole, ou la Cave des Astronomes, situee a la profondeur de cinquante toises au-dessus de la surface superieure du diamant. Il y a dans cette cave vingt lampes sans cesse allumees, qui par la reverberation du diamant repandent une grande lumiere de tous cotes. Ce lieu est orne de sextants, de cadrans, de telescopes, d’astrolabes et autres instruments astronomiques; mais la plus grande curiosite, dont depend meme la destinee de l’ile, est une pierre d’aimant prodigieuse taillee en forme de navette de tisserand.

Elle est longue de trois toises, et dans sa plus grande epaisseur elle a au moins une toise et demie. Cet aimant est suspendu par un gros essieu de diamant qui passe par le milieu de la pierre, sur lequel elle joue, et qui est place avec tant de justesse qu’une main tres faible peut le faire tourner; elle est entouree d’un cercle de diamant, en forme de cylindre creux, de quatre pieds de profondeur, de plusieurs pieds d’epaisseur et de six toises de diametre, place horizontalement et soutenu par huit piedestaux, tous de diamant, hauts chacun de trois toises. Du cote concave du cercle il y a une mortaise profonde de douze pouces, dans laquelle sont placees les extremites de l’essieu, qui tourne quand il le faut.

Aucune force ne peut deplacer la pierre, parce que le cercle et les pieds du cercle sont d’une seule piece avec le corps du diamant qui fait, la base de l’ile.

C’est par le moyen de cet aimant que l’ile se hausse, se baisse et change de place; car, par rapport a cet endroit de la terre sur lequel le monarque preside, la pierre est munie a un de ses cotes d’un pouvoir attractif, et a l’autre d’un pouvoir repulsif. Ainsi, quand il lui plait que l’aimant soit tourne vers la terre par son pole ami, l’ile descend; mais quand le pole ennemi est tourne vers la meme terre, l’ile remonte. Lorsque la position de la terre est oblique, le mouvement de l’ile est pareil; car, dans cet aimant, les forces agissent toujours en ligne parallele a sa direction; c’est par ce mouvement oblique que l’ile est conduite aux differentes parties des domaines du monarque.

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