Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen - Burger Gottfried August (бесплатные версии книг TXT) 📗
Une autre fois, je rencontrai dans une des grandes forets de la Russie un magnifique renard bleu. C’eut ete grand dommage de trouer cette precieuse fourrure d’une balle ou d’une decharge de plomb. Maitre renard etait tapi derriere un arbre. Je retirai aussitot la balle du canon et la remplacai par un bon clou: je fis feu, et si habilement, que la queue du renard se trouva fichee a l’arbre. Alors je m’avancai tranquillement vers lui, je pris mon couteau de chasse et lui fis sur la face une double entaille en forme de croix; je pris ensuite mon fouet et le chassai si joliment hors de sa peau que c’etait plaisir a voir.
Le hasard et la chance se chargent souvent de reparer nos fautes; en voici un exemple. Un jour, je vois dans une epaisse foret une laie et un marcassin qui courent sur moi. Je tire, et les manque. Mais voila le marcassin qui continue sa route, et la laie qui s’arrete immobile comme fichee au sol. Je m’approche pour chercher la cause de cette immobilite, et je m’apercois que j’avais affaire a une laie aveugle, qui tenait entre ses dents la queue du marcassin, lequel, dans sa piete filiale, lui servait de guide. Ma balle, ayant passe entre les deux betes, avait coupe le fil conducteur, dont la vieille laie conservait encore une extremite: ne se sentant plus tiree par son guide, elle s’etait arretee. Je saisis aussitot ce fragment de queue, et je ramenai chez moi, sans peine et sans resistance, la pauvre bete infirme.
Si dangereux que soit cet animal, le sanglier est encore plus redoutable et plus feroce. J’en rencontrai un jour un dans une foret, dans un moment ou je n’etais prepare ni a la defense ni a l’attaque. J’avais a peine eu le temps de me refugier derriere un arbre, que l’animal se jeta sur moi de tout son elan, pour me donner un coup de cote; mais, au lieu de m’entrer dans le corps, ses defenses penetrerent si profondement dans le tronc, qu’il ne put les retirer pour fondre une seconde fois sur moi.
«Ha, ha! pensai-je, a nous deux maintenant!»
Je pris une pierre, et je cognai de toutes mes forces sur ces defenses, de facon qu’il lui fut absolument impossible de se degager. Il n’avait qu’a attendre que je decidasse de son sort: j’allai chercher des cordes et un chariot au village voisin, et le rapportai fortement garrotte et vivant a la maison.
Vous avez assurement entendu parler, messieurs, de saint Hubert, le patron des chasseurs et des tireurs, ainsi que du cerf qui lui apparut dans une foret, portant la sainte croix entre ses cors. Je n’ai jamais manque de feter chaque annee ce saint en bonne compagnie, et j’ai bien souvent vu son cerf represente en peinture dans les eglises, ainsi que sur la poitrine des chevaliers de l’ordre qui porte son nom; aussi, en mon ame et conscience, sur mon honneur de brave chasseur, je n’oserais pas nier qu’il n’y ait eu autrefois des cerfs coiffes de croix, et meme qu’il n’en existe pas encore aujourd’hui. Mais, sans entrer dans cette discussion, permettez-moi de vous raconter ce que j’ai vu de mes propres yeux. Un jour que je n’avais plus de plomb, je donnai, par un hasard inespere, sur le plus beau cerf du monde. Il s’arreta et me regarda fixement, comme s’il eut su que ma poire a plombs etait vide. Aussitot je mis dans mon fusil une charge de poudre, et j’y insinuai une poignee de noyaux de cerises, que j’avais aussi vite que possible debarrasses de leur chair. Je lui envoyais le tout sur le front, entre les deux cors. Le coup l’etourdit: il chancela, puis il se remit et disparut. Un ou deux ans apres, je repassais dans la meme foret, et voila, o surprise! que j’apercois un magnifique cerf portant entre les cors un superbe cerisier, haut de dix pieds, pour le moins. Je me souvins alors de ma premiere aventure, et, considerant l’animal comme une propriete depuis longtemps mienne, d’une balle je l’etendis a terre, de sorte que je gagnai a la fois le roti et le dessert; car l’arbre etait charge de fruits, les meilleurs et les plus delicats que j’eusse manges de ma vie. Qui peut dire, apres cela, que quelque pieux et passionne chasseur, abbe ou eveque, n’ait pas seme de la meme facon la croix entre les cors du cerf de saint Hubert? Dans les cas extremes, un bon chasseur a recours a n’importe quel expedient plutot que de laisser echapper une belle occasion, et je me suis trouve moi-meme maintes fois oblige de me tirer par ma seule habilete des passes les plus perilleuses.
Que dites-vous, par exemple, du cas suivant?
Je me trouvais, a la tombee de la nuit, a bout de munitions, dans une foret de Pologne. Je m’en retournais a la maison, lorsqu’un ours enorme, furieux, la gueule ouverte, pret a me devorer, me barre le passage. En vain je cherche dans toutes mes poches de la poudre et du plomb. Je ne trouve rien que deux pierres a fusil, que j’ai l’habitude d’emporter par precaution. J’en lance violemment une dans la gueule de l’animal, qui penetre jusqu’au fond de son gosier. Ce traitement n’etant pas du gout du monstre, ma bete fait demi-tour, ce qui me permet de jeter une seconde pierre contre sa porte de derriere. L’expedient reussit admirablement. Non seulement le second silex arriva a son adresse, mais il rencontra le premier: le choc produisit du feu, et l’ours eclata avec une explosion terrible. Je suis sur qu’un argument a priori lance ainsi contre un argument a posteriori ferait, au moral, un effet analogue sur plus d’un savant.
Il etait ecrit que je devais etre attaque par les betes les plus terribles et les plus feroces, precisement dans les moments ou j’etais le moins en etat de leur tenir tete, comme si leur instinct les eut averties de ma faiblesse. C’est ainsi qu’une fois que je venais de devisser la pierre de mon fusil pour la raviver, un monstre d’ours s’elance en hurlant vers moi. Tout ce que je pouvais faire, c’etait de me refugier sur un arbre, afin de me preparer a la defense. Malheureusement, en grimpant, je laissai tomber mon couteau, et je n’avais plus rien que mes doigts, ce qui etait insuffisant, pour visser ma pierre. L’ours se dressait au pied de l’arbre, et je m’attendais a etre devore d’un moment a l’autre.
J’aurais pu allumer mon amorce en tirant du feu de mes yeux, comme je l’avais fait dans une circonstance precedente; mais cet expedient ne me tentait que mediocrement: il m’avait occasionne un mal d’yeux dont je n’etais pas encore completement gueri. Je regardai desesperement mon couteau pique dans la neige; mais tout mon desespoir n’avancait pas les choses d’un cran. Enfin il me vint une idee aussi heureuse que singuliere. Vous savez tous par experience que le vrai chasseur porte toujours, comme le philosophe, tout son bien avec lui: quant a moi, ma gibeciere est un veritable arsenal qui me fournit des ressources contre toutes les eventualites. J’y fouillai et en tirai d’abord une pelote de ficelle, puis un morceau de fer recourbe, puis une boite pleine de poix: la poix etant durcie par le froid, je la placai contre ma poitrine pour la ramollir. J’attachai ensuite a la corde le morceau de fer que j’enduisis abondamment de poix, et le laissai rapidement tomber a terre. Le morceau de fer enduit de poix se fixa au manche du couteau d’autant plus solidement que la poix, se refroidissant a l’air, formait comme un ciment; je parvins de la sorte, en man?uvrant avec precaution, a remonter le couteau. A peine avais-je revisse ma pierre, que maitre Martin se mit en devoir d’escalader l’arbre.
«Parbleu, pensai-je, il faut etre ours pour choisir si bien son moment!»
Et je l’accueillis avec une si belle decharge, qu’il perdit du coup l’envie de plus jamais monter aux arbres.