Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen - Burger Gottfried August (бесплатные версии книг TXT) 📗
Il croissait sur cette ile, ou plutot sur ce fromage, une grande quantite de ble dont les epis, semblables a des champignons, contenaient des pains tout cuits et prets a etre manges. En traversant ce fromage nous rencontrames sept fleuves de lait et deux de vin.
Apres un voyage de seize jours, nous atteignimes le rivage oppose a celui ou nous avions aborde. Nous trouvames dans cette partie de l’ile des plaines entieres de ce fromage bleu a force de vieillesse, dont les amateurs font si grand cas. Mais, au lieu d’y rencontrer des vers, on y voyait croitre de magnifiques arbres fruitiers, tels que cerisiers, abricotiers, pechers, et vingt autres especes que nous ne connaissons point. Ces arbres, qui sont extraordinairement grands et gros, abritaient une immense quantite de nids d’oiseaux. Nous remarquames entre autres un nid d’alcyons, dont la circonference etait cinq fois grande comme la coupole de Saint-Paul a Londres; il etait artistement construit d’arbres gigantesques, et il contenait… – attendez, que je me rappelle bien le chiffre! – il contenait cinq cents ?ufs dont le plus petit etait au moins aussi gros qu’un muid. Nous ne pumes pas voir les jeunes qui etaient dedans, mais nous les entendimes siffler. Ayant ouvert a grand-peine un de ces ?ufs, nous en vimes sortir un petit oiseau sans plumes, gros environ comme vingt de nos vautours. A peine avions-nous fait eclore le jeune oiseau que le vieux alcyon se jeta sur nous, saisit notre capitaine dans une de ses serres, l’enleva a la hauteur d’une bonne lieue, le frappa violemment avec ses ailes et le laissa tomber dans la mer.
Les Hollandais nagent comme des rats d’eau; aussi le capitaine nous eut-il bientot rejoints, et nous regagnames tous ensemble notre navire. Mais nous ne retournames pas par le meme chemin, ce qui nous permit de faire de nouvelles observations. Dans le gibier que nous tuames, il y avait deux buffles d’une espece particuliere qui ne possedait qu’une seule corne, placee entre les deux yeux. Nous regrettames plus tard de les avoir tues, car nous apprimes que les habitants les apprivoisaient et s’en servaient en guise de cheval de trait ou de selle. On nous assura que la chair en etait exquise, mais absolument inutile a un peuple qui ne vit que de lait et de fromage.
Deux jours avant d’atteindre notre navire, nous vimes trois individus pendus par les jambes a de grands arbres. Je demandai quel crime leur avait valu cette terrible punition, et j’appris qu’ils etaient alles a l’etranger, et qu’a leur retour ils avaient raconte a leurs amis une foule de mensonges, leur decrivant des lieux qu’ils n’avaient pas vus, et des aventures qui leur etaient pas arrivees. Je trouvai cette punition bien meritee, car le premier devoir d’un voyageur, c’est de ne s’ecarter jamais de la verite.
Quand nous eumes erre trois jours durant, Dieu sait ou – car nous manquions toujours de boussole -, nous arrivames dans une mer qui semblait toute noire: nous goutames ce que nous prenions pour de l’eau sale, et nous reconnumes que c’etait de l’excellent vin! Nous eumes toutes les peines du monde a empecher nos matelots de se griser. Mais notre joie ne fut pas de longue duree, car, quelques heures apres, nous nous trouvames entoures de baleines et d’autres poissons non moins gigantesques: il y en avait un d’une longueur si prodigieuse que meme avec une lunette d’approche nous n’en pumes voir le bout. Malheureusement nous n’apercumes le monstre qu’au moment ou il etait tout pres de nous: il avala d’un trait notre batiment avec ses mats dresses et toutes ses voiles dehors.
Apres que nous eumes passe quelque temps dans sa gueule, il la rouvrit pour engloutir une enorme masse d’eau: notre navire, souleve par ce courant, fut entraine dans l’estomac du monstre, ou nous nous trouvions comme si nous eussions ete a l’ancre pris d’un calme plat.
L’air etait, il faut en convenir, chaud et lourd. Nous vimes dans cet estomac des ancres, des cables, des chaloupes, des barques et bon nombre de navires, les uns charges, les autres vides, qui avaient subi le meme sort que nous. Nous etions obliges de vivre a la lumiere des torches; il n’y avait plus pour nous ni soleil, ni lune, ni planetes. Ordinairement nous nous trouvions deux fois par jour a flot et deux fois a sec. Quand la bete buvait nous etions a flot, lorsqu’elle lachait l’eau nous etions a sec. D’apres les calculs exacts que nous fimes, la quantite d’eau qu’elle avalait a chaque gorgee eut suffi a remplir le lit du lac de Geneve, dont la circonference est de trente milles.
Le second jour de notre captivite dans ce tenebreux royaume, je me hasardai avec le capitaine et quelques officiers a faire une petite excursion au moment de la maree basse, comme nous disions. Nous nous etions munis de torches, et nous rencontrames successivement pres de dix mille hommes de toutes nations qui se trouvaient dans la meme position que nous. Ils s’appretaient a deliberer sur les moyens a employer pour recouvrer leur liberte. Quelques-uns d’entre eux avaient deja passe plusieurs annees dans l’estomac du monstre. Mais au moment ou le president nous instruisait de la question qui allait s’agiter, notre diable de poisson eut soif et se mit a boire; l’eau se precipita avec tant de violence que nous eumes tout juste le temps de retourner a nos navires: plusieurs des assistants, moins prompts que les autres, furent meme obliges de se mettre a la nage.
Quand le poisson se fut vide, nous nous reunimes de nouveau. On me choisit president: je proposai de reunir bout a bout deux des plus grands mats, et, lorsque le monstre ouvrirait la gueule, de les dresser de facon a l’empecher de la refermer. Cette motion fut acceptee a l’unanimite, et cent hommes choisis parmi les plus vigoureux furent charges de la mettre a execution. A peine les deux mats etaient-ils disposes selon mes instructions, qu’il se presenta une occasion favorable. Le monstre se prit a bailler; nous dressames aussitot nos deux mats de maniere que l’extremite inferieure se trouvait plantee dans sa langue, et que l’autre extremite penetrait dans la voute de son palais: il lui etait des lors impossible de rapprocher ses machoires.
Des que nous fumes a flot, nous armames les chaloupes qui nous remorquerent et nous ramenerent dans le monde. Ce fut avec une joie inexprimable que nous revimes la lumiere du soleil dont nous avions ete prives pendant ces quinze jours de captivite. Lorsque tout le monde fut sorti de ce vaste estomac, nous formions une flotte de trente-cinq navires de toutes les nations. Nous laissames nos deux mats plantes dans la gorge du poisson, pour preserver d’un accident semblable au notre ceux qui se trouveraient entraines vers ce gouffre.
Une fois delivres, notre premier desir fut de savoir dans quelle partie du monde nous etions; il nous fallut longtemps avant de parvenir a une certitude. Enfin, grace a mes observations anterieures, je reconnus que nous nous trouvions dans la mer Caspienne. Comme cette mer est entouree de tous cotes par la terre et qu’elle ne communique avec aucune autre nappe d’eau, nous ne pouvions comprendre comment nous y etions arrives. Un habitant de l’ile de fromage, que j’avais emmene avec moi, nous expliqua la chose fort raisonnablement. Selon lui, le monstre dans l’estomac duquel nous avions erre si longtemps s’etait rendu dans cette mer par quelque route souterraine. Bref, nous y etions et fort contents d’y etre; nous nous dirigeames a toutes voiles vers la terre. Je descendis le premier.
A peine avais-je pose le pied sur la terre ferme, que je me vis assailli par un gros ours.