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Trois Contes - Flaubert Gustave (читаем книги онлайн бесплатно полностью без сокращений .TXT) 📗

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Une ironie percait dans leurs allures sournoises.

Tout en l'observant du coin de leurs prunelles, ils semblaient mediter un plan de vengeance; et, assourdi par le bourdonnement des insectes, battu par des queues d'oiseau, suffoque par des haleines, il marchait les bras tendus et les paupieres closes comme un aveugle, sans meme avoir la force de crier grace.

Tout a coup, le chant d'un coq vibra dans l'air. D'autres y repondirent. C'etait le jour; et il reconnut, au-dela des orangers, le faite de son palais.

Puis, au bord d'un champ, il vit, a trois pas d'intervalles, des perdrix rouges qui voletaient dans les chaumes. Il degrafa son manteau, et l'abattit sur elles comme un filet. Quand il les eut decouvertes, il n'en trouva qu'une seule, et morte depuis longtemps, pourrie.

Cette deception l'exaspera plus que toutes les autres. Sa soif de carnage le reprenait; les betes manquant, il aurait voulu massacrer des hommes.

Il gravit les trois terrasses, enfonca la porte d'un coup de poing; mais, au bas de l'escalier, le souvenir de sa chere femme detendit son c?ur. Elle dormait sans doute, et il allait la surprendre.

Ayant retire ses sandales, il tourna doucement la serrure, et entra.

Les vitraux garnis de plomb obscurcissaient la paleur de l'aube. Julien se prit les pieds dans des vetements, par terre; un peu plus loin, il heurta une credence encore chargee de vaisselle. «Sans doute, elle aura mange», se dit-il; et il avancait vers le lit, perdu dans les tenebres au fond de la chambre. Quand il fut au bord, afin d'embrasser sa femme, il se pencha sur l'oreiller ou les deux tetes reposaient l'une pres de l'autre. Alors, il sentit contre sa bouche l'impression d'une barbe.

Il se recula, croyant devenir fou; mais il revint pres du lit, et ses doigts, en palpant, rencontrerent des cheveux qui etaient tres longs. Pour se convaincre de son erreur, il repassa lentement la main sur l'oreiller. C'etait bien une barbe, cette fois, et un homme! un homme couche avec sa femme!

Eclatant d'une colere demesuree, il bondit sur eux a coups de poignard. Et il trepignait, ecumait, avec des hurlements de bete fauve. Puis il s'arreta. Les morts, perces au c?ur tout de suite, n'avaient pas meme bouge. Il ecoutait attentivement leurs deux rales presque egaux, et, a mesure qu'ils s'affaiblissaient, un autre, tout au loin, les continuait. Incertaine d'abord, cette voix plaintive longuement poussee, se rapprochait, s'enfla, devint cruelle; et il reconnut, terrifie, le bramement du grand cerf noir.

Et comme il se retournait, il crut voir dans l'encadrure de la porte, le fantome de sa femme, une lumiere a la main.

Le tapage du meurtre l'avait attiree. D'un large coup d'?il, elle comprit tout, et s'enfuyant d'horreur laissa tomber son flambeau.

Il le ramassa.

Son pere et sa mere etaient devant lui, etendus sur le dos, avec un trou dans la poitrine; et leurs visages, d'une majestueuse douceur, avaient l'air de garder comme un secret eternel. Des eclaboussures et des flaques de sang s'etalaient au milieu de leur peau blanche, sur les draps du lit, par terre, le long d'un Christ d'ivoire suspendu dans l'alcove. Le reflet ecarlate du vitrail, alors frappe par le soleil, eclairait ces taches rouges, et en jetait de plus nombreuses dans tout l'appartement. Julien marcha vers les deux morts en se disant, en voulant croire, que cela n'etait pas possible, qu'il s'etait trompe, qu'il y a parfois des ressemblances inexplicables. Enfin, il se baissa legerement pour voir de tout pres le vieillard; et il apercut, entre ses paupieres mal fermees, une prunelle eteinte qui le brula comme du feu. Puis il se porta de l'autre cote de la couche, occupe par l'autre corps, dont les cheveux blancs masquaient une partie de la figure.

Julien lui passa les doigts sous ses bandeaux, leva sa tete; et il la regardait, en la tenant au bout de son bras roidi, pendant que de l'autre main, il s'eclairait avec le flambeau. Des gouttes, suintant du matelas, tombaient une a une sur le plancher.

A la fin du jour, il se presenta devant sa femme, et d'une voix differente de la sienne, il lui commanda premierement de ne pas lui repondre, de ne pas l'approcher, de ne plus meme le regarder, et qu'elle eut a suivre, sous peine de damnation, tous ses ordres qui etaient irrevocables.

Les funerailles seraient faites selon les instructions qu'il avait laissees par ecrit, sur un prie-Dieu, dans la chambre des morts. Il lui abandonnait son palais, ses vassaux, tous ses biens, sans meme retenir les vetements de son corps, et ses sandales, que l'on trouverait au haut de l'escalier.

Elle avait obei a la volonte de Dieu, en occasionnant son crime, et devait prier pour son ame, puisque desormais il n'existait plus.

On enterra les morts avec magnificence, dans l'eglise d'un monastere a trois journees du chateau. Un moine en cagoule rabattue suivit le cortege, loin de tous les autres, sans que personne osat lui parler.

Il resta pendant la messe, a plat ventre au milieu du portail, les bras en croix, et le front dans la poussiere.

Apres l'ensevelissement, on le vit prendre le chemin qui menait aux montagnes. Il se retourna plusieurs fois, et finit par disparaitre.

III

Il s'en alla, mendiant sa vie par le monde.

Il tendait sa main aux cavaliers sur les routes, avec des genuflexions s'approchait des moissonneurs, ou restait immobile devant la barriere des cours; et son visage etait si triste que jamais on ne lui refusait l'aumone.

Par esprit d'humilite, il racontait son histoire; alors tous s'enfuyaient, en faisant des signes de croix. Dans les villages ou il avait deja passe, sitot qu'il etait reconnu, on fermait les portes, on lui criait des menaces, on lui jetait des pierres. Les plus charitables posaient une ecuelle sur le bord de leur fenetre, puis fermaient l'auvent pour ne pas l'apercevoir.

Repousse de partout, il evita les hommes; et il se nourrit de racines, de plantes, de fruits perdus, et de coquillages qu'il cherchait le long des greves.

Quelquefois, au tournant d'une cote, il voyait sous ses yeux une confusion de toits presses, avec des fleches de pierre, des ponts, des tours, des rues noires s'entrecroisant, et d'ou montait jusqu'a lui un bourdonnement continuel. Le besoin de se meler a l'existence des autres le faisait descendre dans la ville. Mais l'air bestial des figures, le tapage des metiers, l'indifference des propos glacaient son c?ur. Les jours de fete, quand le bourdon des cathedrales mettait en joie des l'aurore le peuple entier, il regardait les habitants sortir de leurs maisons, puis les danses sur les places, les fontaines de cervoise dans les carrefours, les tentures de damas devant le logis des princes, et le soir venu, par le vitrage des rez-de-chaussee, les longues tables de famille ou des aieux tenaient des petits enfants sur leurs genoux; des sanglots l'etouffaient, et il s'en retournait vers la campagne.

Il contemplait avec des elancements d'amour les poulains dans les herbages, les oiseaux dans leurs nids, les insectes sur les fleurs; tous, a son approche, couraient plus loin, se cachaient effares, s'envolaient bien vite.

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