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Trois Contes - Flaubert Gustave (читаем книги онлайн бесплатно полностью без сокращений .TXT) 📗

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Et bientot entrerent dans la chambre un vieil homme et une vieille femme, courbes, poudreux, en habits de toile, et s'appuyant chacun sur un baton.

Ils s'enhardirent et declarerent qu'ils apportaient a Julien des nouvelles de ses parents.

Elle se pencha pour les entendre.

Mais, s'etant concertes du regard, ils lui demanderent s'il les aimait toujours, s'il parlait d'eux quelquefois.

«Oh! oui!» dit-elle.

Alors, ils s'ecrierent:

«Eh bien! c'est nous!» et ils s'assirent, etant fort las et recrus de fatigue.

Rien n'assurait a la jeune femme que son epoux fut leur fils.

Ils en donnerent la preuve, en decrivant des signes particuliers qu'il avait sur la peau.

Elle sauta hors de sa couche, appela son page, et on leur servit un repas.

Bien qu'ils eussent grand faim, ils ne pouvaient guere manger; et elle observait a l'ecart le tremblement de leurs mains osseuses, en prenant les gobelets.

Ils firent mille questions sur Julien. Elle repondait a chacune, mais eut soin de taire l'idee funebre qui les concernait.

Ne le voyant pas revenir, ils etaient partis de leur chateau; et ils marchaient depuis plusieurs annees, sur de vagues indications, sans perdre l'espoir. Il avait fallu tant d'argent au peage des fleuves et dans les hotelleries, pour les droits des princes et les exigences des voleurs, que le fond de leur bourse etait vide, et qu'ils mendiaient maintenant. Qu'importe, puisque bientot ils embrasseraient leur fils? Ils exaltaient son bonheur d'avoir une femme aussi gentille, et ne se lassaient point de la contempler et de la baiser.

La richesse de l'appartement les etonnait beaucoup; et le vieux, ayant examine les murs, demanda pourquoi s'y trouvait le blason de l'Empereur d'Occitanie.

Elle repliqua:

«C'est mon pere!»

Alors il tressaillit, se rappelant la prediction du Boheme; et la vieille songeait a la parole de l'Ermite. Sans doute la gloire de son fils n'etait que l'aurore des splendeurs eternelles; et tous les deux restaient beants, sous la lumiere du candelabre qui eclairait la table.

Ils avaient du etre tres beaux dans leur jeunesse. La mere avait encore tous ses cheveux, dont les bandeaux fins, pareils a des plaques de neige, pendaient jusqu'au bas de ses joues; et le pere, avec sa taille haute et sa grande barbe, ressemblait a une statue d'eglise.

La femme de Julien les engagea a ne pas l'attendre. Elle les coucha elle-meme dans son lit, puis ferma la croisee; ils s'endormirent. Le jour allait paraitre, et, derriere le vitrail, les petits oiseaux commencaient a chanter.

Julien avait traverse le parc; et il marchait dans la foret d'un pas nerveux, jouissant de la mollesse du gazon et de la douceur de l'air.

Les ombres des arbres s'etendaient sur la mousse. Quelquefois la lune faisait des taches blanches dans les clairieres, et il hesitait a avancer, croyant apercevoir une flaque d'eau, ou bien la surface de mares tranquilles se confondait avec la couleur de l'herbe. C'etait partout un grand silence; et il ne decouvrit aucune des betes qui, peu de minutes auparavant, erraient a l'entour de son chateau.

Le bois s'epaissit, l'obscurite devint profonde. Des bouffees de vent chaud passaient, pleines de senteurs amollissantes. Il enfoncait dans des tas de feuilles mortes, et il s'appuya contre un chene pour haleter un peu.

Tout a coup, derriere son dos, bondit une masse plus noire, un sanglier. Julien n'eut pas le temps de saisir son arc, et il s'en affligea comme d'un malheur.

Puis, etant sorti du bois, il apercut un loup qui filait le long d'une haie.

Julien lui envoya une fleche. Le loup s'arreta, tourna la tete pour le voir et reprit sa course. Il trottait en gardant toujours la meme distance, s'arretait de temps a autre, et, sitot qu'il etait vise, recommencait a fuir.

Julien parcourut de cette maniere une plaine interminable, puis des monticules de sable, et enfin il se trouva sur un plateau dominant un grand espace de pays. Des pierres plates etaient clairsemees entre des caveaux en ruines. On trebuchait sur des ossements de morts; de place en place, des croix vermoulues se penchaient d'un air lamentable. Mais des formes remuerent dans l'ombre indecise des tombeaux; et il en surgit des hyenes, tout effarees, pantelantes. En faisant claquer leurs ongles sur les dalles, elles vinrent a lui et le flairaient avec un baillement qui decouvrait leurs gencives. Il degaina son sabre. Elles partirent a la fois dans toutes les directions, et, continuant leur galop boiteux et precipite, se perdirent au loin sous un flot de poussiere.

Une heure apres, il rencontra dans un ravin un taureau furieux, les cornes en avant, et qui grattait le sable avec son pied. Julien lui pointa sa lance sous les fanons. Elle eclata, comme si l'animal eut ete de bronze; il ferma les yeux, attendant sa mort. Quand il les rouvrit, le taureau avait disparu.

Alors son ame s'affaissa de honte. Un pouvoir superieur detruisait sa force; et, pour s'en retourner chez lui, il rentra dans la foret.

Elle etait embarrassee de lianes; et il les coupait avec son sabre quand une fouine glissa brusquement entre ses jambes, une panthere fit un bond par-dessus son epaule, un serpent monta en spirale autour d'un frene. Il y avait dans son feuillage un choucas monstrueux, qui regardait Julien; et ca et la, parurent entre les branches quantite de larges etincelles, comme si le firmament eut fait pleuvoir dans la foret toutes ses etoiles. C'etaient des yeux d'animaux, des chats sauvages, des ecureuils, des hiboux, des perroquets, des singes.

Julien darda contre eux ses fleches; les fleches, avec leurs plumes, se posaient sur les feuilles comme des papillons blancs. Il leur jeta des pierres; les pierres, sans rien toucher, retombaient. Il se maudit, aurait voulu se battre, hurla des imprecations, etouffait de rage.

Et tous les animaux qu'il avait poursuivis se representerent, faisant autour de lui un cercle etroit. Les uns etaient assis sur leur croupe, les autres dresses de toute leur taille. Il restait au milieu, glace de terreur, incapable du moindre mouvement. Par un effort supreme de sa volonte, il fit un pas; ceux qui perchaient sur les arbres ouvrirent leurs ailes, ceux qui foulaient le sol deplacerent leurs membres; et tous l'accompagnaient.

Les hyenes marchaient devant lui, le loup et le sanglier par-derriere. Le taureau, a sa droite, balancait la tete; et, a sa gauche, le serpent ondulait dans les herbes, tandis que la panthere, bombant son dos, avancait a pas de velours et a grandes enjambees. Il allait le plus lentement possible pour ne pas les irriter; et il voyait sortir de la profondeur des buissons des porcs-epics, des renards, des viperes, des chacals et des ours.

Julien se mit a courir; ils coururent. Le serpent sifflait, les betes puantes bavaient. Le sanglier lui frottait les talons avec ses defenses, le loup l'interieur de ses mains avec les poils de son museau. Les singes le pincaient en grimacant, la fouine se roulait sur ses pieds. Un ours, d'un revers de patte, lui enleva son chapeau; et la panthere, dedaigneusement, laissa tomber une fleche qu'elle portait a sa gueule.

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