Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
1 Dont Chateaubriand a fait les Abencerages.
Amina est une Zegris, une raison de plus pour Zobeida, qui protege les Banu Saradj, de la detester. Tu n'imagines pas les perturbations que les querelles de ces deux familles nous valent et si le Calife Muhammad a deja perdu deux fois son trone, on peut dire sans crainte qu'il le devait aux Zegris !
— Et, revenu une troisieme fois au pouvoir, il ne les a pas punis ?
Fatima haussa les epaules.
— Comment le pourrait-il ? Le sultan merinide, qui regne a Fes sur le puissant Maghreb aux terres immenses, est son ami. Executer Zegris serait dechainer sa colere redoutable et les sauvages cavaliers du desert seraient vite sous nos murs. Non, Muhammad a prefere composer avec son ennemi. La douceur et la bonte d'Amina, tres attachee a sa famille mais passionnement eprise de son epoux, ont fait beaucoup pour l'espece de traite qui a ete conclu. Voila pourquoi Muhammad supporte que Mansour ben Zegris demeure la, couche a sa porte, comme un molosse pret a mordre.
La voix de Fatima s'eteignit. Le silence regna un moment entre les deux femmes. Catherine songeait a tout ce qu'elle venait d'entendre.
Ces informations, anodines en apparence, pouvaient se reveler pleines d'interet pour quelqu'un qui brulait de s'engager dans une dangereuse aventure. Elle nota soigneusement dans sa memoire les noms etrangers qu'elle venait d'entendre : Amina, la sultane qu'Abou-al-Khayr avait sauvee de la mort, Mansour ben Zegris, le cousin amoureux d'Amina et la famille rivale que protegeait Zobeida, les Banu Saradj. Elle se les repeta, mentalement, plusieurs fois pour etre certaine de ne plus les oublier.
Elle ouvrait la bouche pour poser a Fatima une nouvelle question, mais un puissant ronflement lui coupa la parole. Fatiguee par une journee de bon travail, la grosse Ethiopienne avait glisse en arriere sur les coussins repandus a meme le sol et, la bouche grande ouverte, les mains nouees sur son enorme ventre, elle entamait vigoureusement sa nuit. Catherine sourit puis, se calant dans les coussins, reprit sa reverie.
Huit jours plus tard, Catherine etait transformee. La vie calme, indolente et confortable qu'elle avait menee chez Fatima, la nourriture riche, les longues heures de paresse dans les piscines, tiedes, chaudes ou froides, et surtout les soins habiles, incroyablement compliques que lui avait prodigues l'Ethiopienne avaient fait merveille. Son corps avait perdu sa maigreur tragique, sa chair avait retrouve son splendide epanouissement, sa peau etait redevenue aussi fine et douce qu'un petale de fleur, enfin elle s'etait accoutumee aux etranges vetements du pays et prenait maintenant plaisir a les porter.
Plusieurs fois, au cours de ce sejour, Abou-al-Khayr etait venu lui rendre visite pour se rendre compte des progres accomplis, mais Gauthier ni Josse n'avaient pu l'accompagner. Ses visites etaient rapides, assez ceremonieuses car il prenait bien soin de garder son attitude de dilettante qui vient voir ou en est la reparation de l'objet rare qu'il a deniche.
Il s'etait bien arrange pour lui chuchoter qu'il n'avait pas encore decouvert le bon moyen de l'introduire au palais, qu'il avait des projets en vue, mais cela n'avait guere calme l'impatience de Catherine. Elle se sentait tout a fait prete. Les grands miroirs d'argent poli des salles de massage lui renvoyaient maintenant une image exquise dont elle avait hate d'experimenter le nouveau pouvoir. Mais Fatima, apparemment, n'etait pas encore satisfaite.
— Patience ! disait-elle en maquillant son visage avec un soin d'enlumineur. Tu n'as pas encore atteint la perfection que je souhaite.
Elle cachait soigneusement sa belle cliente au fond de sa maison et, seuls, ses servantes ou ses eunuques pouvaient l'approcher quand elle recevait des visites.
Pourtant, un matin ou Catherine, ruisselante d'eau, sortait de la piscine, elle avait vu Fatima en grande conversation avec une vieille femme somptueusement vetue de brocart vert dont les yeux de fouine avaient insolemment detaille son anatomie. Les deux femmes semblaient discuter aprement et Catherine aurait volontiers jure qu'elle etait l'objet de cette discussion, mais, apres un signe de tete approbateur, la vieille avait disparu en faisant claquer ses babouches sur le dallage et, lorsque Catherine avait interroge Fatima a son sujet, l'Ethiopienne s'etait contentee de hausser les epaules.
— Une vieille amie a moi ! Mais, si elle revient, il faudra te montrer douce et aimable... car elle peut beaucoup pour toi, si tu desires un maitre plus... vaillant que le petit medecin !
Fatima n'avait rien voulu dire de plus et il avait bien fallu que «
Lumiere de l'Aurore » se contentat de ses mysterieuses paroles, dont a vrai dire elle devinait a moitie le sens. Abou ne lui avait-il pas dit que Fatima etait la reine des entremetteuses ? Elle s'etait, alors, contentee de remarquer doucement :
— Un maitre plus vaillant, certes... mais je serais tout a fait heureuse si, grace a ce maitre, je pouvais enfin decouvrir les merveilles d'Al Hamra !
— Ce n'est pas impossible, avait alors repondu Fatima d'un ton rogue, et Catherine, cette fois, n'avait plus insiste.
Au lendemain de la visite de la vieille au brocart vert, la jeune femme avait obtenu de Fatima la permission de sortir pour se rendre dans les souks. Elle aimait flaner dans l'atmosphere chaude, poussiereuse et magnifique de ces interminables rues couvertes de roseaux ou les merveilles jaillissaient continuellement de toutes ces minuscules boutiques. Et, deux ou trois fois, Fatima lui avait permis de sortir, soigneusement voilee bien entendu, flanquee de .deux servantes qui ne quittaient pas ses cotes et suivie d'un grand eunuque portant sous le bras une longue courbache en cuir d'hippopotame tresse.
Il en avait ete de meme ce matin-la et, avec son escorte habituelle, la jeune femme, sous un grand voile de satin leger couleur de miel qui ne laissait voir que ses yeux fardes, se dirigeait d'un pas tranquille vers le grand sotik des soieries qui ouvrait presque au pied de la rampe d'acces d'Al Hamra. La journee s'annoncait torride. Une brume bleutee enveloppait la ville et, un peu partout, les citadins arrosaient les ruelles a grande eau pour tenter de garder un peu de fraicheur et fixer la poussiere. Il etait encore tres tot. Le jour etait leve depuis deux heures a peine, mais c'etait le seul moment, avec l'heure relativement douce du crepuscule, ou il etait agreable de quitter l'ombre fraiche des maisons. Ce qui n'empechait nullement l'agitation habituelle aux jours de marche de s'emparer de Grenade.
Catherine, quittant l'ombre d'une mosquee, allait s'engouffrer sous l'arche qui ouvrait le souk et s'avancait dans l'espace decouvert, inonde de soleil, qui precedait Bab-el-Ajuar, le grand arc rouge, garde de Nubiens gigantesques, qui constituait la premiere porte d'Al Hamra, quand une musique stridente, guerriere, dechira ses oreilles.
Une troupe d'hommes a cheval, soufflant dans des ghaitas 1 ou frappant a pleins poings le tar 2, venaient de franchir la porte, precedant une puissante troupe armee. Des soldats au teint sombre, aux yeux sauvages, la lance a la cuisse et montant de rapides petits chevaux
andalous,
entouraient
un
groupe
de
cavaliers
somptueusement vetus et portant tous, sur leur poing gauche gante de cuir epais, un faucon ou un gerfaut. Les capuchons qui aveuglaient les rapaces etaient de soie pourpre scintillante de pierreries, les robes des cavaliers faites de brocarts precieux et leurs armes etaient bosselees de gemmes enormes. De grands seigneurs sans doute. Tous avaient des visages fins et fiers., de courtes barbes noires, des yeux de braise.
1 Sorte de musette.
1 Petit tambour rond.
Un seul montrait un visage nu, une tete sans turban. Il chevauchait un peu en avant des autres, silencieux, hautain, retenant d'une main nonchalante sa fringante monture, une bete d'un blanc neigeux dont l'eclat accrocha le regard de Catherine. Instantanement, du cheval, les yeux de la jeune femme monterent au cavalier. Elle etouffa un cri : la monture, c'etait Morgane, le cavalier, c'etait Arnaud...