Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
Une mauvaise porte aux planches disjointes fermait le galetas. La lueur d'une chandelle passait au travers et Catherine n'eut aucune peine a l'ouvrir. Une simple poussee suffit mais elle etait si basse que la jeune fille dut se plier en deux pour passer. Elle se trouva alors dans un reduit obscur, sans fenetre et tout encombre par la charpente enchevetree de la maison. Sous une grosse solive, aupres d'une chandelle de suif qui puait et coulait dans un plat d'etain, il y avait un grabat sur lequel Barnabe etait couche, une cruche de vin a portee de la main. Il etait tres rouge mais il n'etait pas ivre car son regard etait clair quand il se posa, avec stupeur, sur la jeune fille.
— Toi ? Mais qu'est-ce que tu viens f... ici, mauviette... et a cette heure ?
Il se soulevait sur un coude et ramenait pudiquement sa chemise en loque sur la toison grise de sa poitrine.
— J'ai besoin de toi, Barnabe. Alors je viens te trouver comme tu m'avais dit de le faire, fit Catherine avec simplicite en se laissant tomber sur le pied du matelas qui perdait ses entrailles de paille par plus d'un trou. Est-ce que tu es blesse ? ajouta-t-elle en designant le pansement crasseux autour du front du Coquillart, tout macule de traces graisseuses de baume et de sang seche.
Il haussa les epaules avec insouciance.
— Rien ! Un coup de beche que m'a assene un vilain que je priais poliment de me laisser compter ses economies avec lui. C'est deja presque gueri.
— Tu ne changeras donc jamais ? soupira Catherine.
Elle n'etait pas choquee par cette confession. C'etait peut-etre a cause de la flamme joyeuse qui brillait toujours dans les yeux de son vieil ami que les pires enormites sorties de sa bouche prenaient, comme par enchantement, un aspect inoffensif et presque amusant.
Que Barnabe fut un voleur, pire peut-etre, ne changeait rien pour la jeune fille. Il etait son ami, c'etait tout ce qui comptait et, en dehors de cela, il pouvait bien etre tout ce qu'il voulait. Mais, par acquit de conscience, elle se crut obligee d'ajouter :
— Si tu n'y prends garde, tu te retrouveras un matin sur le Morimont entre maitre Blaigny et une bonne corde de chanvre. Et moi j'en aurai bien de la peine.
D'un geste vague, Barnabe rejeta au loin la deplaisante image, but un bon coup de vin, reposa sa cruche et s'essuya les levres avec sa manche en loque.
Puis il se cala confortablement dans ses chiffons crasseux.
— Allez, maintenant, raconte ce qui t'amene... Quoique je m'en doute.
— Tu sais ? fit Catherine sincerement surprise...
— Je sais en tout cas ceci : le duc Philippe t'ordonne d'epouser Garin de Brazey et pour obliger ce grand bourgeois a convoler avec la niece d'un Mathieu Gautherin, il te donne une dot considerable. Le duc Philippe sait toujours ce qu'il fait...
La stupeur arrondit, en cercles presque parfaits, les yeux changeants de la jeune fille. Barnabe avait une maniere a lui de dire les choses comme si elles etaient toutes normales et comme s'il etait tres naturel qu'un truand fut si bien au courant de ce qui se passait dans le palais des princes.
— Comment sais-tu tout cela, balbutia-t-elle.
— Je le sais, cela doit te suffire ! Et je vais meme t'en dire plus, petite. Si le duc veut te marier, c'est parce qu'il est plus commode, dans une ville comme celle-ci ou la bourgeoisie est puissante, de faire sa maitresse d'une femme mariee que d'une jouvencelle. Il est prudent, le duc, et entend mettre toutes les chances de son cote.
— Alors, fit Catherine, je ne comprends plus. Le sire de Brazey ne semble guere du bois dont on fait les maris complaisants.
C'etait l'evidence meme et la justesse de ce raisonnement frappa Barnabe. Il se gratta la tete, esquissa une affreuse grimace.
— Je reconnais que tu as raison et je comprends mal pourquoi il a choisi son grand argentier plutot qu'un autre en dehors du fait qu'il n'est pas marie. Garin de Brazey est tout ce qu'on veut, sauf facile a manier. Peut-etre le duc n'avait-il personne d'autre sous la main parmi ses fideles ! Car il est evident qu'il desire surtout, par ce mariage, t'introduire a sa Cour. Je suppose que tu as accepte. Une union pareille ne se refuse pas.
— C'est ce qui te trompe. J'ai refuse jusqu'ici...
Patiemment, Catherine refit alors pour son vieil ami le recit de son aventure de Flandres. Parce qu'elle sentait que les secrets n'etaient plus de mise, elle raconta tout ; comment elle avait rencontre Arnaud de Montsalvy, comment, retrouvant vivant le souvenir qu'elle croyait bien mort, elle s'etait eprise de lui au premier regard, comment l'appel de Mathieu l'avait arrachee de ses bras au moment ou elle allait se donner a lui. Elle parlait, parlait sans effort, tout naturellement, ayant aboli toute pudeur. Assise sur le coin du matelas, les mains nouees autour des genoux, les yeux perdus dans l'ombre noire des solives, elle semblait reciter pour elle-meme une belle histoire d'amour. Barnabe retenait sa respiration pour ne pas rompre le charme, car il comprenait qu'a cet instant, Catherine l'avait oublie.
Quand la voix de la jeune fille s'eteignit, le silence s'etendit entre les deux interlocuteurs. Catherine avait ramene son regard sur son vieil ami. La tete sur la poitrine, Barnabe reflechissait.
— Si je comprends bien, dit-il au bout d'un moment, tu refuses Garin de Brazey parce que tu veux te garder toute a ce garcon qui te hait, te meprise et t'a tout juste epargnee parce que tu es femme... ou bien parce que, dans cette auberge et blesse par surcroit, il craignait de ne pas s'en tirer. Tu n'es pas un peu folle, dis-moi ?
— Crois-le ou ne le crois pas, riposta Catherine sechement, mais il en est ainsi. Je ne veux pas appartenir a un autre homme.
Tu diras ca au duc, grogna Barnabe. Je me demande ce qu'il en pensera. Quant a Garin, comment comptes-tu t'en tirer ? Pas d'illusions, il est pret a obeir au duc. C'est un trop fidele serviteur pour ca... et aussi tu es une trop belle fille pour qu'on te refuse. Toi, tu n'as pas davantage le droit de dire non sous peine d'attirer sur les tiens la colere du seigneur. Et il n'est pas tendre notre bon duc. Alors ?
— C'est pour ca que je suis venue te voir...
Catherine s'etait relevee et s'etirait, engourdie par sa position courbee. Sa fine silhouette s'allongea dans ; la lueur dansante et rouge de la chandelle. La masse doree, fulgurante de sa chevelure l'enveloppait d'une sorte de gloire qui serra soudain le c?ur du Coquillart.
La beaute de cette fille devenait insoutenable et Barnabe du fond de son affection plus inquiete qu'il ne voulait bien l'admettre, sentit qu'elle etait de celles qui dechainaient les guerres, font s'entre-tuer les hommes et apportent bien rarement le bonheur a leurs proprietaires, tant l'exces en tout peut devenir dangereux. Il n'est jamais bon de depasser de si haut le niveau commun...
Il acheva de vider le pot de vin puis le jeta a terre d'un geste indifferent. Le pot se brisa et quelques debris roulerent dans la poussiere loin du grabat.
— Qu'attends-tu de moi ? demanda-t-il calmement.
— Que tu rendes impossible ce mariage. Je sais que tu disposes de moyens nombreux... et d'hommes aussi. Il est peut-etre possible de m'empecher de me marier sans que j'aie a refuser et sans que Garin de Brazey ait a se dresser contre son seigneur.
— Ce qu'il ne fera pas. Alors, ma chere, je ne vois qu'un seul moyen : la mort. Pour toi ou pour Garin. Je suppose que tu ne tiens pas a mourir ?
Incapable de repondre, Catherine secoua la tete, les yeux obstinement baisses sur ses souliers poussiereux. Barnabe ne se trompa pas a ce silence.
— Alors, c'est pour lui ! C'est bien ca, n'est-ce pas ? Pour rester fidele a je ne sais quel amour stupide, tu condamnes froidement un homme a mort... et quelques autres avec, car tu ne supposes pas qu'une fois le grand argentier defunt, le Prevot ducal se croisera les bras ?