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Contes Merveilleux Tome II - Grimm Jakob et Wilhelm (бесплатные книги онлайн без регистрации txt) 📗

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La, dans la premiere salle, etalee sur un large fauteuil, se trouvait une robe de mariee, si belle qu’elle paraissait tissee d’or et d’argent.

En la voyant, le roi voulut la prendre et l’offrir a sa fiancee, mais Jean veillait. De ses mains gantees de cuir il se saisit de la robe et la jeta dans la cheminee ou brulait un grand feu. De hautes flammes bleues s’eleverent, repandant une odeur epouvantable, mais les serviteurs du roi, saisissant cette nouvelle occasion de nuire a Jean et de le ruiner dans l’esprit de son maitre, s’ecrierent: «Il est devenu fou. Il a brule la robe de la mariee!

«Laissez-le, leur dit le roi, il est mon fidele Jean. Ce qu’il fait ne peut etre que bien fait.» Et pourtant, il commencait a s’etonner de le voir agir de facon si etrange et le priver tour a tour d’un cheval tel qu’il ne pourrait jamais en avoir dans ses ecuries et d’une robe telle qu’aucun tailleur de son royaume n’aurait pu l’imiter.

Quelques jours plus tard, le mariage royal fut celebre en grande pompe. Apres la ceremonie, un fastueux bal fut donne et la mariee fut la premiere a danser. Le fidele Jean ne la quittait pas des yeux et commencait a croire que les corbeaux s’etaient trompes, lorsque soudain, il la vit palir et s’affaisser sur le sol, blanche comme morte. Tous les assistants crierent et s’affolerent, mais le fidele Jean, les ecartant, se precipita, releva le corps inanime et, l’emportant dans la chambre royale, l’etendit sur le lit.

Puis saisissant son poignard, il fit jaillir trois gouttes de sang du poignet droit de la reine et les jeta au loin.

Cette fois, les serviteurs n’eurent meme pas besoin de s’indigner. Le roi avait tout vu et se mit en colere. Il avait des medecins a sa cour, c’etait a eux de soigner la reine, et non a ce vieux serviteur de lui ouvrir les veines avec son poignard sale et d’eparpiller au loin son sang. Peut-etre meme crut-il que Jean allait tuer la reine, comme il avait tue le cheval. On ne sait pas, mais sa colere fut terrible et, designant le fidele Jean a ses gardes: «Qu’on le jette en prison!» ordonna-t-il.

Peu apres, la reine reprenait connaissance, mais ne put faire flechir la colere de son epoux: le fidele Jean fut juge le lendemain et condamne a etre pendu. Il ne s’insurgea pas et dit seulement: «Tout condamne a mort a le droit de parler. Me refuserez-vous ce droit?

– Non, dit le roi. Nous t’ecoutons.

– J’ai ete injustement condamne, sire, dit Jean, car je n’ai jamais cesse de vous etre fidele.» Puis, il repeta la conversation des corbeaux, telle qu’il l’avait surprise a bord du navire, et expliqua comment, pour sauver son maitre, il avait du agir comme il l’avait fait.

«Qu’on lui rende la liberte! s’ecria alors le roi. Comment ai-je pu douter de toi, o mon fidele Jean? Me le pardonneras-tu jamais?»

Mais le fidele Jean ne repondit pas car son corps change en pierre ne pouvait plus bouger et, a la derniere de ses paroles, sa langue elle-meme s’etait petrifiee.

Quand le roi comprit cela, il fut saisi d’un affreux chagrin. Il reconnut que son serviteur avait sauve sa vie et celle de son epouse en sacrifiant la sienne et que rien desormais ne pourrait reparer l’affreuse injustice qu’il venait de commettre. La reine, informee de la chose, partagea ses regrets et ordonna que le corps du fidele Jean, devenu statue de pierre, fut erige sur la place d’honneur, dans la plus belle salle du palais.

La statue resta la dix ans. Dix ans pendant lesquels le roi et la reine eurent trois enfants et gouvernerent sagement leur royaume, mais leur bonheur etait entache de l’incessant regret d’avoir meconnu la fidelite de leur serviteur.

Or, un soir, le roi, assis a sa fenetre, vit voler trois corbeaux et, a sa grande surprise, entendit leur langage.

«Voila dix ans aujourd’hui, disait le premier, que le fidele Jean n’est plus que statue immobile et sans voix.

– Il est un moyen de lui rendre la parole, dit le second, mais le roi ni la reine ne s’y resigneront jamais.

– Helas! non, dit le troisieme, car il leur faudrait sacrifier toutes leurs richesses et en faire don aux pauvres.

– A ce prix pourtant, le fidele Jean recouvrerait la parole et la vue.

– Il est aussi, reprit le premier corbeau, un moyen de faire battre de nouveau son c?ur, mais le roi ni la reine ne sauraient consentir.

– Helas! non, dit le troisieme, car il leur faudrait alors perdre leur couronne et renoncer au trone.

– A ce prix, pourtant, le c?ur du fidele Jean se remettrait a battre.

– Et son corps tout entier pourrait reprendre vie, dit le troisieme, si le roi et la reine abandonnaient leur royaume pour sauver celui qui les a sauves trois fois.

– Helas! ils n’accepteront jamais de partir comme des mendiants, nu-pieds et la besace au dos, vetus de guenilles, eux et leurs enfants.

– Helas! Helas!» croasserent les corbeaux et ils s’en furent tous a tire-d’aile.

Le roi appela la reine, et une heure plus tard un heraut parcourait la ville invitant tous les pauvres a se rendre au chateau pour y recevoir une part du tresor royal. Quand la distribution fut faite, la statue de pierre tourna la tete, ses yeux s’ouvrirent et sa bouche prononca ces mots:

«Je n’ai fait que tenir la promesse faite au roi votre pere.»

Le monarque fut si heureux d’entendre de nouveau la voix de son fidele Jean que, poussant un cri de joie, il saisit un parchemin, et signa son acte d’abdication.

Alors, le c?ur de la statue de pierre se mit a battre, et le fidele Jean dit:

«Sire, ne vous depouillez pas pour moi.

– Je ne puis faire moins pour toi que tu n’as fait pour moi», repondit le roi. Il ota ses riches vetements, se vetit de guenilles et partit avec sa femme et ses enfants pieds nus et besace au dos. Le fidele Jean tenta de le retenir, mais ses jambes de pierre le rivaient au sol, loin de son roi qui refusait de l’ecouter et s’en allait.

Alors la force de son amour l’emporta sur la pesanteur de la matiere et l’on vit Jean, marchant sur ses jambes petrifiees, traverser le palais, descendre le perron et se jeter aux genoux de son maitre pour le supplier de ne pas partir.

«Tu es mon fidele Jean, lui dit alors le roi. Tout ce que tu veux, je le veux», et il remonta sur son trone.

Le tresor du roi demeura vide et Jean conserva ses jambes de pierre, mais a travers le temps et a travers l’espace jamais ne regna un monarque plus heureux que celui-la, qui avait appris qu’un serviteur fidele vaut tous les tresors du monde.

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