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Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian (книги бесплатно без регистрации TXT) 📗

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«Dors, dors, chantaient les vents autour de lui. Nous allons te bercer gentiment, puis te secouer si fort que tes branches en craqueront d'aise. Dors bien, dors. C'est ta trois cent soixante-cinquieme nuit. En realite, compare a nous, tu n'es qu'un enfant au berceau. Dors, dors bien! Les nuages vont semer de la neige; ce sera une belle et chaude couverture pour tes racines.

Et le chene perdit toutes ses feuilles, et, en effet, il s'endormit pour tout le long hiver; et il eut bien des reves, ou sa vie passee lui revint en souvenir.

Il se rappela comment il etait sorti d'un gland; comment, etant encore un tout mince arbuste, il avait failli etre devore par une chevre. Puis il avait grandi a merveille; plusieurs fois, les gardes de la foret l'avaient admire et avaient pense a le faire abattre pour en tirer des mats, des poutres, des planches solides. Il etait cependant arrive a son quatrieme siecle, et aujourd'hui personne ne songeait plus a le faire couper; il etait devenu l'ornement de la foret; sa superbe couronne depassait tous les autres arbres; et, de loin on l'apercevait de la mer et il servait de point de repere aux marins. Au printemps, dans ses hautes branches, les ramiers batissaient leur nid; le coucou y etait a demeure et faisait, de la, resonner au loin son cri monotone. L'automne, quand les feuilles de chene, toutes jaunies, ressemblent a des plaques de cuivre, les oiseaux voyageurs s'assemblaient de toutes parts sur ce geant de la foret et s'y reposaient une derniere fois avant d'entreprendre le grand voyage d'outre-mer.

Maintenant donc, l'hiver etait venu; apres avoir longtemps resiste aux aquilons, les feuilles du chene etaient presque toutes tombees; les corbeaux, les corneilles venaient se percher sur ses branches et taillaient des bavettes sur la durete des temps, sur la famine prochaine qui s'annoncait pour eux.

Survint la veille du saint jour de Noel, et ce fut alors que le vieux chene reva le plus beau reve de sa vie. Il avait le sentiment de la fete qui se preparait partout sur la terre, la ou il y a des chretiens; il sentait les vibrations des cloches qui sonnaient de toutes parts. Mais il se croyait en ete, par une splendide journee. Et voici ce qui lui apparut:

Sa haute et vaste couronne etait fraiche et verte; les rayons de soleil y jouaient a travers les branches et le feuillage, et projetaient des reflets dores. L'air etait embaume de senteurs vivifiantes; des papillons aux milles couleurs voltigeaient de toutes parts et jouaient a cache-cache, puis a qui volerait le plus haut. Des myriades d'ephemeres donnaient une sarabande.

Voila qu'un brillant cortege s'avance: c'etaient les personnages que le vieux chene avait vus tour a tour passer devant lui pendant la longue suite d'annees qu'il avait vecues. En tete marchait une cavalcade, des pages, des chevaliers aux armures etincelantes, qui revenaient de la croisade, des chatelains vetus de brocart sur des palefrois caparaconnes, et tenant sur la main des faucons encapuchonnes; le cor de chasse retentit, la meute aboyait, le cerf fuyait. Puis arriva une troupe de reitres et de lansquenets, aux vetements bouffants et barioles, armes de hallebardes et d'arquebuses; ils dresserent leur tente sous le vieux chene, allumerent le feu et, au milieu d'une orgie, ils entonnerent des chants de guerre et des refrains bachiques.

Toute cette bande bruyante disparut, et l'on vit s'avancer en silence un jeune couple; ils avaient des cheveux poudres et la dame etait couverte de rubans aux couleurs tendres; et le monsieur tailla dans l'ecorce du chene les initiales de leurs deux noms; et ils ecouterent avec ravissement les sons doux et etranges de la harpe eolienne qui etait suspendue dans les branches de l'arbre.

Et, tout a coup, le chene eprouva comme si un nouveau et puissant courant de vie partant des extremites de ses racines le traversait de part en part, montant jusqu'a sa cime, jusqu'au bout de ses plus hautes feuilles.

Il lui semblait qu'il grandissait comme autrefois, que, du sein de la terre, il puisait une nouvelle vigueur; et, en effet, son tronc s'elancait, sa couronne s'etendait en dome, et montait toujours plus haut vers le ciel; et plus le chene s'elevait, plus il eprouvait de bonheur, et il ne desirait que monter encore au-dela, jusqu'au soleil, dont les rayons brillants le penetraient d'une chaleur bienfaisante. Et sa couronne etait deja parvenue au-dessus des nuages qui, comme une troupe de grands cygnes blancs, flottaient sous le bleu firmament.

C'etait en plein jour, et cependant les etoiles devinrent visibles; elles luisaient de leur plus bel eclat; elles rappelaient au vieux chene les yeux brillants des joyeux enfants qui souvent etaient venus s'ebattre autour de lui.

Au spectacle de cette immensite, on etait transporte de la felicite la plus pure. Mais le vieux chene sentait qu'il lui manquait quelque chose; il eprouvait l'ardent desir de voir les autres arbres de la foret, les plantes, les fleurs et jusqu'aux moindres broussailles enlevees comme lui et mises en presence de toutes ces splendeurs. Oui, pour qu'il fut entierement heureux, il les lui fallait voir tous autour de lui, grands et petits, prenant part a sa felicite.

Et ce sentiment agitait, faisait vibrer ses branches, ses moindres feuilles; sa couronne s'inclina vers la terre, comme s'il avait voulu adresser un signal aux muguets et aux violettes caches sous la mousse, aussi bien qu'aux autres chenes, ses compagnons.

Il lui sembla apercevoir tout a coup un grand mouvement; les cimes de la foret se soulevaient, les arbres se mirent a pousser, a grandir jusqu'a percer les nues. Les ronces, les plantes, pour s'elever plus vite, quittaient terre avec leurs racines et accouraient au vol. Les plus vite arrives, ce furent les bouleaux; leurs troncs droits et blancs traversaient les airs comme des fleches, presque comme des eclairs. Et l'on vit arriver les joncs, les genets, les fougeres, et aussi les oiseaux qui, emerveilles du voyage, chantaient a tue-tete leurs plus beaux airs de fete. Les sauterelles juchees sur les brins d'herbes jouaient leur petite musique, accompagnees par les grillons, le susurrement des abeilles et le faux bourdon des hannetons. Tout ce joyeux concert faisait une delicieuse harmonie.

– Mais, dit le chene, ou est donc restee la petite fleur bleue qui borde le ruisseau, et la clochette, et la paquerette?

– Nous y sommes tous, tous! disaient en choeur les fleurettes, les arbres, les plantes, les habitants de la foret.

Le vieux chene jubilait.

– Oui, tous, grands et petits, disait-il, pas un ne manque. Nous nageons dans un ocean de delices! Quel miracle!

Et il se sentit de nouveau grandir; soudainement ses racines se detacherent de terre.» C'est ce qu'il y a de mieux, pensa-t-il; me voila degage de tous liens; je puis m'elancer vers la lumiere eternelle et m'y precipiter avec tous les etres cheris qui m'entourent, grands et petits, tous!

– Tous! dit l'echo. Ce fut la fin du reve du vieux chene. Une tempete terrible soufflait sur mer et sur terre.

Des vagues enormes assaillaient la falaise, enlevant des quartiers de roche; les vents hurlaient et secouaient le vieux chene; sa vigueur eprouvee luttait contre la tourmente, mais un dernier coup de vent l'ebranla et l'enleva de terre avec sa racine; il tomba, au moment ou il revait qu'il s'elancait vers l'immensite des cieux. Il gisait la; il avait peri apres ses trois cent soixante-cinq ans, comme l'ephemere apres sa journee d'existence.

Le matin, lorsque le soleil vint eclairer le saint jour de Noel, l'ouragan s'etait apaise. De toutes les eglises retentissait le son des cloches; meme dans la plus humble cabane regnait l'allegresse. La mer s'etait calmee; a bord d'un grand navire qui, toute la nuit, avait lutte, tous les mats etaient decores, tous les pavillons hisses pour celebrer la grande fete.

– Tiens, dit un matelot, l'arbre de la falaise, le grand chene, qui nous servait de point de repere pour reconnaitre la cote, a disparu. Hier encore, je l'ai apercu de loin; c'est la tempete qui l'a abattu.

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