Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian (книги бесплатно без регистрации TXT) 📗
Les poules et les poussins passerent sur le tas de fumier et le coq les suivit.
– OEuvre de la Nature! dit-il au concombre. Ces quelques mots convainquirent le concombre que le coq avait de l'education et il en oublia meme que le coq etait en train de le picorer et de le manger. -Quelle belle mort!
Les poules accoururent, les poussins accoururent et vous le savez bien, des que l'un se met a courir les autres font de meme. Les poules caquetaient, les poussins caquetaient et regardaient le coq avec admiration. Ils en etaient fiers, il etait de leur famille.
– Cocorico! chanta-t-il. Les poussins deviendront bientot de grandes poules, il me suffit d'en parler a la basse-cour du monde.
Et les poules caqueterent et les poussins piaillerent.
Le coq leur annonca la grande nouvelle.
– Un coq peut pondre un oeuf! Et savez-vous ce qu'il y a dans un tel oeuf? Un basilic! Personne ne supporte le regard d'un basilic! Les hommes le savent, vous le savez aussi, et maintenant vous savez tout ce que j'ai en moi! Je suis un gaillard, je suis le meilleur coq de toutes les basses-cours du monde!
Et le coq agita ses ailes, secoua sa crete et chanta. Toutes les poules et tous les poussins en eurent froid dans le dos. Et ils etaient tres fiers d'avoir un tel gaillard dans la famille, le meilleur coq de toutes les basses-cours du monde. Les poules caqueterent, les poussins piaillerent pour que meme le coq de girouette les entende. Et il les entendit, mais cela ne le fit meme pas bouger.
– Tout cela n'a aucun sens, se dit le coq de girouette. Jamais le coq de girouette ne pondra un oeuf et je n'en ai pas envie. Si je voulais, je pourrais pondre un oeuf de vent, un oeuf pourri, mais le monde n'en vaut meme pas la peine. Tout cela est inutile!… Maintenant, je n'ai meme plus envie d'etre perche la!
Et le coq se detacha du toit. Mais il ne tua pas le coq de poulailler meme si «c'etait ce qu'il voulait», affirmerent les poules. Et quel enseignement en tirerons-nous?
– Il vaut mieux chanter que d'etre blase et se briser!
Les coureurs
Un prix, deux prix meme, un premier et un second, furent un jour proposes pour ceux qui montreraient la plus grande velocite.
C'est le lievre qui obtint le premier prix.
– Justice m'a ete rendue, dit-il; du reste, j'avais assez de parents et d'amis parmi le jury, et j'etais sur de mon affaire. Mais que le colimacon ait recu le second prix, cela, je trouve que c'est presque une offense pour moi.
– Du tout, observa le poteau, qui avait figure comme temoin lors de la deliberation du jury; il fallait aussi prendre en consideration la perseverance et la bonne volonte: c'est ce qu'ont affirme plusieurs personnes respectables, et j'ai bien compris que c'etait equitable. Le colimacon, il est vrai, a mis six mois pour se trainer de la porte au fond du jardin, et les autres six mois pour revenir jusqu'a la porte; mais, pour ses forces c'est deja une extreme rapidite; aussi dans sa precipitation s'est-il rompu une corne en heurtant une racine. Toute l'annee, il n'a pense qu'a la course et, songez donc, il avait le poids de sa maison sur son dos. Tout cela meritait recompense et voila pourquoi on lui a donne le second prix.
– On aurait bien pu m'admettre au concours, interrompit l'hirondelle. Je pense que personne ne fend l'air, ne vire, ne tourne avec autant d'agilite que moi. J'ai ete au loin, a l'extremite de la terre. Oui, je vole vite, vite, vite.
– Oui, mais c'est la votre malheur, repliqua le poteau. Vous etes trop vagabonde, toujours par monts et par vaux. Vous filez comme une fleche a l'etranger quand il commence a geler chez nous. Vous n'avez pas de patriotisme.
– Mais, dit l'hirondelle, si je me niche pendant l'hiver dans les roseaux des tourbieres, pour y dormir comme la marmotte tout le temps froid, serai-je une autre fois admise a concourir?
– Oh, certainement! declara le poteau. Mais il vous faudra apporter une attestation de la vieille sorciere qui regne sur les tourbieres, comme quoi vous aurez passe reellement l'hiver dans votre pays et non dans les pays chauds a l'etranger.
– J'aurais bien merite le premier prix et non le second, grommela le colimacon. Je sais une chose: ce qui faisait courir le lievre comme un derate, c'est la pure couardise; partout, il voit des ennemis et du danger. Moi, au contraire, j'ai choisi la course comme but de ma vie, et j'y ai gagne une cicatrice honorable. Si, donc, quelqu'un etait digne du premier prix, c'etait bien moi. Mais je ne sais pas me faire valoir, flatter les puissants.
– Ecoutez, dit la vieille borne qui avait ete membre du jury, les prix ont ete adjuges avec equite et discernement. C'est que je procede toujours avec ordre et apres mure reflexion. Voila deja sept fois que je fais partie du jury, mais ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai fait admettre mon avis par la majorite.
«Cependant chaque fois je basais mon jugement sur des principes. Tenez, admirez mon systeme. Cette fois, comme nous etions le 12 du mois, j'ai suivi les lettres de l'alphabet depuis l'a, et j'ai compte jusqu'a douze; j'etais arrive a l: C'etait donc au lievre que revenait le premier prix. Quant au second, j'ai recommence mon petit manege; et, comme il etait trois heures au moment du vote, je me suis arrete au c et j'ai donne mon suffrage au colimacon. La prochaine fois, si on maintient les dates fixees, ce sera l'f qui remportera le premier prix et le d le second. En toutes choses, il faut de la regularite et un point de depart fixe.
– Je suis bien de votre avis, dit le mulet; et si je n'avais pas ete parmi le jury, je me serais donne ma voix a moi-meme. Car enfin, la velocite n'est pas tout; il y a encore d'autres qualites, dont il faut tenir compte: par exemple, la force musculaire qui me permet de porter un lourd fardeau tout en trottant d'un bon pas. De cela, il n'etait pas question etant donne les concurrents. Je n'ai pas non plus pris en consideration la prudence, la ruse du lievre, son adresse.
«Ce qui m'a surtout preoccupe, c'etait de tenir compte de la beaute, qualite si essentielle. A merite egal, m'etais-je dit, je donnerai le prix au plus beau. Or qu'y a-t-il au monde de plus beau que les longues oreilles du lievre, si mobiles, si flexibles? C'est un vrai plaisir que de les voir retomber jusqu'au milieu du dos; il me semblait que je me revoyais tel que j'etais aux jours de ma plus tendre enfance. De cela, il n'etait pas question etant donne les concurrents. Je n'ai pas non plus pris en consideration la prudence, la ruse du lievre, son adresse.
– Pst! dit la mouche, permettez-moi une simple observation. Des lievres, moi qui vous parle, j'en ai rattrape pas mal a la course. Je me place souvent sur la locomotive des trains; on y est a son aise pour juger de sa propre velocite. Naguere, un jeune levraut des plus ingambes, galopait en avant du train; j'arrive et il est bien force de se jeter de cote et de me ceder la place. Mais il ne se gare pas assez vite et la roue de la locomotive lui enleve l'oreille droite. Voila ce que c'est que de vouloir lutter avec moi. Votre vainqueur, vous voyez bien comme je le battrais facilement; mais je n'ai pas besoin de prix, moi.
– Il me semble cependant, pensa l'eglantine, il me semble que c'est le rayon de soleil qui aurait merite de recevoir le premier prix d'honneur et aussi le second. En un clin d'oeil, il fait l'immense trajet du soleil a la terre, et il y perd si peu de sa force que c'est lui qui anime toute la nature. C'est a lui que moi, et les roses, mes soeurs, nous devons notre eclat et notre parfum. La haute et savante commission du jury ne parait pas s'en etre doutee. Si j'etais rayon de soleil, je leur lancerais un jet de chaleur qui les rendrait tout a fait fous. Mais je n'irai pas critiquer tout haut leur arret. Du reste, le rayon de soleil aura sa revanche; il vivra plus longtemps qu'eux tous.